Défaut d’intérêt à agir du cessionnaire en cas d’inobservation de la procédure d’agrément

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Mots-clés

cession de parts sociales, procédure d’agrément, nullité de la cession, cessionnaire, intérêt à agir, nullité relative, inopposabilité

Rubriques

Droit des sociétés

Texte

Rendue par la cour d’appel de Lyon le 31 janvier 2019, cette décision vient rappeler une solution constante quant à l’impossibilité pour le cessionnaire de se prévaloir de l’inobservation de la procédure d’agrément et permet de revenir sur la question des intérêts protégés par ce mécanisme.

En l’espèce, l’un des associés d’une SARL détenant 99 des 100 parts de la structure – sa femme détenant une part – cède 10 parts à un tiers. Un peu moins de deux ans plus tard, le cessionnaire devenu associé sollicite de son cédant une restitution du prix des titres, arguant à cet effet le non-respect de la procédure d’agrément en amont de la cession dont il a bénéficié. Le cédant assigné à cette fin devant le tribunal de commerce de Lyon voit son ex-épouse intervenir à l’instance en vue de voir annuler la cession. Alors que la demande de cette dernière est accueillie par le tribunal, celle du cessionnaire est jugée irrecevable eu égard justement à cette qualité ne lui conférant pas d’intérêt à agir en nullité de la cession. Le cessionnaire et l’associée minoritaire interjettent appel, mais, avant que la cour ne statue sur leurs demandes, l’ex-épouse se désiste de l’instance. Le cessionnaire demande alors à la cour d’écarter le désistement d’instance en ce que celui‑ci aurait été obtenu de manière déloyale par le cédant, ainsi que de confirmer la nullité de la cession des titres en raison de l’inobservation de la procédure d’agrément. Ne remettant pas en cause la validité du désistement d’instance de l’associée minoritaire, la cour d’appel de Lyon repousse les prétentions du cessionnaire tendant au prononcé de la nullité de la cession. Pour cause, il est de principe constant que les tiers ne se voient pas reconnaître d’intérêt à agir eu égard aux questions relatives au déroulement de la procédure d’agrément.

Même si la solution rendue par la cour d’appel semble s’inscrire dans la jurisprudence consacrée depuis plusieurs décennies et maintes fois réaffirmée (Cass. com., 11 février 1992, n° 89‑14.596, Droit des sociétés, 1992, com. H. Le Nabasque ; BJS, 1992, §141, p. 442, note P. Le Cannu ; Cass. com., 20 mai 2014, n° 13-16.187, Droit des sociétés, 2014, n°8-9, com. D. Gallois‑Cochet ; JCP E, 2014, n° 1515, note M. Caffin-Moi ; Cass.com., 16 octobre 2019, n° 17-18.494, Dr. sociétés, 2020, n° 1, com. 2, R. Mortier), elle permet de faire de nouveau le point sur la nature des actions fondées sur l’inobservation de la procédure d’agrément.

Il est certain que le cessionnaire, ne revêtant de fait pas la qualité d’associé, ne peut se voir reconnaître un intérêt à agir en se prévalant du non-respect d’une procédure dans laquelle il n’avait pas vocation à intervenir. L’objet d’une telle procédure est en effet de permettre aux associés de donner leur consentement – ou non – au projet de cession présenté par l’un d’entre eux et par ce biais de se prononcer sur l’entrée d’un tiers acquéreur dans leur relation. De ce fait l’action est ouverte aux associés dont le consentement est requis, mais pas aux cessionnaires qui doivent être agréés. Cette impossibilité pour le cessionnaire de se prévaloir de l’inobservation de la procédure est rappelée de manière claire par la cour d’appel de Lyon : en tant que tiers avant son acquisition de parts, le cessionnaire ne peut solliciter la nullité de la cession sur ce fondement.

Il convient cependant ici de s’attarder quelque peu sur la sanction sollicitée par le demandeur. En effet, si la nullité est directement prévue par les textes en matière d’agrément de cession d’actions (art. L. 228-23 et L. 227-15 C.com), aucune disposition ne prévoit expressément la sanction en matière de cessions de parts sociales. Ainsi dans une SNC, en application de la maxime « pas de nullité sans texte », la Cour de cassation a récemment écarté la nullité au profit de l’inopposabilité de la cession de parts aux associés et à la société (Cass.com., 16 mai 2018, n° 16.16‑498, Dr. sociétés, 2018, com. 142, note C. Coupet ; JCP E, 2018, 1374, note B. Dondero ; JCP G, 2018, act. 645, obs. C. Barrillo ; BJS, 2018, p. 422, note J.-F. Barbièri ; JCP E, 2018, 1631, chron. M. Caffin-Moi). Si l’opportunité d’une telle sanction est déplorée en ce que, dans une telle hypothèse, le cessionnaire se verrait reconnaître la propriété des titres sans pouvoir se prévaloir de la qualité d’associé, les conséquences d’une telle substitution de motifs sur le fonctionnement de la société pourraient, en pratique, être moins délicates à mettre en œuvre. Pour cause, alors que la nullité est imposée, l’inopposabilité de la cession permettrait à la société et aux associés de renoncer à s’en prévaloir à l’égard de certains actes et ainsi éviterait les délicates conséquences d’une remise en cause rétroactive de l’usage de ses prérogatives financières et politiques par le cessionnaire.

Ces considérations quant à la nature de la sanction applicable n’ont cependant pas d’incidence sur l’intérêt à agir du cessionnaire : en tant que tiers à la société, il ne peut pas plus soulever l’inopposabilité que la nullité de la cession intervenue en violation d’une procédure d’agrément. La cour d’appel ne s’est d’ailleurs pas contentée de rappeler ce principe. Elle affirme que « seuls les associés et la société elle-même sont recevables à invoquer ladite nullité ». Or, si la logique est implacable concernant l’attribution de cette action aux associés à l’exclusion de ceux qui ne revêtent pas encore cette qualité au jour où la procédure a été ou aurait dû être mise en œuvre, elle l’est moins concernant l’ouverture de cette action à la structure sociale. Pour cause, si le projet doit bien être notifié à la société, seuls les associés sont appelés à se prononcer sur l’agrément. Cependant, il ne s’agit pas ici d’une innovation prononcée par les juges du fond, lesquels ne font que reprendre une solution controversée, mais retenue elle aussi de longue date par la Cour de cassation (Cass. com., 11 février 1992, op. cit., loc. cit ; Cass. civ. 3e, 6 octobre 2004, n° 01‑00.896, BJS, 2005, p. 114, note P. Le Cannu).

Abstraction faite de la spécificité de l’espèce tenant à la remise en cause du désistement de l’associée minoritaire qui, en cette qualité, pouvait légitimement solliciter la nullité de la cession litigieuse, cette décision s’inscrit dans la problématique des nullités relatives en droit des sociétés. En réservant l’intérêt à agir aux seuls associés et à la société, la jurisprudence semble consacrer le caractère relatif de l’action fondée sur l’inobservation de la procédure d’agrément. L’inopposabilité préférée à la nullité par des arrêts récents s’inscrit à cet égard parfaitement dans la distinction entre effet relatif et opposabilité consacrée par l’article 1199 du Code civil issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. Mais peut-on vraiment affirmer de manière certaine le caractère relatif de cette action ? Aux termes des articles 1180 et 1181 du Code civil, si la nullité relative peut faire l’objet d’une confirmation, ce n’est pas le cas pour la nullité absolue. Or, plusieurs arrêts sont venus refuser la confirmation des actes de cession de titres sociaux en cas d’inobservation de la procédure d’agrément (Cass. com., 21 mars 1995, n° 93-14.564, Rev. Sociétés, 1996, p. 77, note Y. Chartier ; Cass. com., 21 janvier 2014, n° 12‑29.221, Dr. sociétés, 2014 ; com. 64, note D. Gallois-Cochet ; BJS, 2014, p. 250, note B. Saintourens ; Rev. Sociétés, 2014, 437, note A. Lecourt ; D., 2014, 273, obs. A. Lienhard), laissant ainsi, dans une lecture a contrario de ces décisions, subsister le doute quant au caractère relatif de l’action.

De nombreuses interrogations restent donc en suspens tant à l’égard de la nature de l’action que de la sanction attachée à l’inobservation de la procédure d’agrément dans les sociétés dont le capital est composé de parts sociales. Toutefois, cet arrêt permet de réaffirmer que ce mécanisme, imaginé pour protéger les associés déjà en place dans la structure, ne saurait voir son déroulement remis en cause par des personnes n’ayant pas encore la qualité d’associé au moment où il aurait dû être suivi.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 3e chambre A, 31 janv. 2019, RG n° 16/05387

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Citer cet article

Référence électronique

Solène Saint Genis, « Défaut d’intérêt à agir du cessionnaire en cas d’inobservation de la procédure d’agrément », Bulletin des arrêts de la Cour d'appel de Lyon [En ligne], 14 | 2020, mis en ligne le 01 janvier 2020, consulté le 18 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2389

Auteur

Solène Saint Genis

Docteur, université Jean Moulin Lyon 3

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