BACALy

L’acte de commerce isolé et la clause attributive de compétence

Solène Saint Genis


1Aux termes de l’article 48 du Code de procédure civile, à moins qu’elle n’ait été convenue entre deux commerçants, une clause attributive de compétence territoriale sera sanctionnée par son caractère non‑écrit. Dans cette hypothèse, l’article 86 du même Code précise que « la cour renvoie l'affaire à la juridiction qu'elle estime compétente ». Ainsi, très logiquement, la clause – réputée n’avoir jamais existé – sera suppléée par les règles de droit commun en matière de compétence. Partant, en cas de litige mixte, opposant un commerçant et un non‑commerçant, ce dernier devra être attrait devant les juridictions civiles de son lieu de résidence – soit le lieu du siège social s’il s’agit d’une personne morale. Ces règles de principe ne semblent pas, en elles-mêmes, soulever de difficulté. Encore faut-il s’assurer de la qualité des parties en litige, et notamment de celle de commerçant du défendeur. La cour d’appel de Lyon réaffirme dans cette décision en date du 3 septembre 2019 une solution constante tant eu égard aux clauses attributives de compétence territoriale, qu’en ce qui concerne la compétence matérielle des juridictions civiles et commerciales.

2Une société civile immobilière dont le siège social est situé en Savoie voit prononcer à son encontre une injonction de payer au profit d’une entreprise d’architecture par le président du tribunal de commerce de Chambéry. La SCI s’opposant à cette ordonnance, le créancier a demandé que l’affaire soit renvoyée devant le tribunal de commerce de Saint-Étienne qu’il estimait compétent en raison de la clause attributive de compétence stipulée au contrat liant les deux parties. La SCI soulève alors une exception d’incompétence, demandant le renvoi de l’affaire devant le tribunal de commerce de Chambéry. Elle a cependant été déboutée de sa demande, le tribunal estimant la clause litigieuse opposable à la défenderesse. Cette dernière a donc interjeté appel de ce jugement, soulevant, outre l’incompétence territoriale du tribunal de commerce de Saint-Étienne, l’incompétence matérielle des juridictions commerciales.

3Le raisonnement syllogistique suivi par la cour dans cette saisine est implacable. Après avoir excipé l’absence de qualité de commerçant de la SCI, elle en tire toutes les conséquences en matière de compétence juridictionnelle.

4Le contrat en cause consistait en la réalisation d’une étude sur l’extension d’un magasin par une société commerciale par la forme au profit d’une société civile immobilière. Sans se prononcer définitivement sur la nature de ce contrat, la cour d’appel mobilise un acquis jurisprudentiel constant : l’acte de commerce réalisé à titre isolé ne confère pas la qualité de commerçant à son auteur (Cass. com., 10 février 1981, n° 79-15687, Gaz. Pal., 1981, 2, 475, note Dupichot ; Cass. com., 1er avril 1981, n° 79-16509). Pour cause, la qualité de commerçant suppose notamment l’exercice habituel d’actes de commerce. Si une société civile peut bien réaliser des actes de commerce à titre accessoire, elle ne revêt pour autant pas la qualité de commerçant. Que le contrat en litige soit qualifié d’acte de commerce, celui-ci n’en reste pas moins un acte isolé n’emportant pas de conséquence sur le caractère non commercial de l’activité de la structure. De ce constat s’évincent deux conclusions nécessaires.

5D’une part, en application stricte de l’article 48 du Code de procédure civile, la clause attributive de compétence territoriale insérée dans le contrat en cause ne lui est pas opposable. Le siège social de la société défenderesse se trouvant en Savoie, elle doit donc être attraite devant les juridictions se situant dans ce ressort territorial.

6D’autre part, seuls les tribunaux civils sont compétents pour connaître des litiges mixtes dans lesquels le défendeur n’a pas la qualité de commerçant (Cass. civ., 6 mai 1930, DH, 1930, p. 363 ; Cass. civ., 22 juin 1943, DC, 1944, p. 83). Cette règle distributive de compétence matérielle retenue par la jurisprudence est d’ailleurs partiellement consacrée par l’article L. 721‑3 du Code de commerce qu’une lecture a contrario vient confirmer. Si d’aventure la partie civile est assignée devant une juridiction commerciale, une exception d’incompétence peut être soulevée par elle (Cass. com., 24 octobre 1996, n° 94‑10.661, RTD Com., 1996, p. 324, obs. Bouloc). Cette incompétence ne peut pas être relevée d’office par la juridiction saisie (CA, Orléans, 27 décembre 2001, RJDA, 2002, n° 1342). La SCI, non commerçante, ayant décliné la compétence du tribunal de commerce, doit être attraite devant les juridictions civiles.

7C’est donc de manière justifiée au regard d’un précédent jurisprudentiel acquis de longue date que la cour d’appel de Lyon renvoie l’affaire devant le tribunal de grande instance de Chambéry, compétent matériellement et territorialement.

8En définitive, si cet arrêt ne constitue pas une nouveauté en matière de compétence, il a le mérite de rappeler de manière claire les enjeux de la distinction fondamentale entre acte de commerce et qualité de commerçant. L’acte de commerce réalisé par une société civile ne lui confère pas la qualité de commerçant. Cette qualification évince le caractère écrit de la clause attributive de compétence territoriale, laquelle n’est opposable qu’entre commerçants. La clause doit donc être suppléée par les règles de droit commun des articles 42 du Code de procédure civile (compétence territoriale) et L. 721-3 du Code de commerce (compétence matérielle), lesquelles seront mises en œuvre, en vertu de l’article 86 du Code de procédure civile, par la cour à laquelle est soumise la question du renvoi.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 8chambre, 3 septembre 2019, RG 19/02178



Citer ce document


Solène Saint Genis, «L’acte de commerce isolé et la clause attributive de compétence», BACALy [En ligne], n°14, Publié le : 01/01/2020,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2290.

Auteur


À propos de l'auteur Solène Saint Genis

Docteure, université Jean Moulin Lyon 3


BACALy