Le refus d’indemniser la perte de chance d’obtenir une aide d’État illicite

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Mots-clés

responsabilité, préjudice, licéité, perte de chance, aides d’État, effet direct, énergies renouvelables, obligation de rachat

Rubriques

Droit des affaires

Texte

En 2010, un agriculteur à la retraite décide de faire installer des panneaux photovoltaïques sur des bâtiments lui appartenant. Il confie le montage de l’opération à un intermédiaire chargé tant de sa réalisation technique que juridique. En vertu de l’arrêté du 12 janvier 2010 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil, il en escomptait un prix avantageux. Néanmoins, l’opération fut compromise par le délai de traitement du dossier de raccordement par l’opérateur national du réseau électrique. Ce dernier, qui disposait de trois mois pour faire part de sa réponse, a tardé à renvoyer le dossier technique au prestataire, qui ne l’a lui-même transmis à son client que le 7 décembre 2010. Ces retards n’auraient sans doute pas justifié une action en justice si un moratoire n’avait pas suspendu pour trois mois l’arrêté fixant les conditions d’achat d’électricité photovoltaïque, et ce pour tous les contrats dont la proposition technique et tarifaire avait été retournée au gestionnaire après le 2 décembre. Ce n’est donc pas à ces conditions, mais à celles – moins avantageuses – de l’arrêté du 4 mars 2011 qu’il doit donc vendre son électricité.

S’estimant lésé, il assigne l’opérateur du réseau électrique devant le tribunal de grande instance de Saint-Étienne afin d’être indemnisé de la perte de chance de vendre son électricité aux conditions antérieures au moratoire. Il y a obtenu, à titre principal, 90 000 euros de dommages-intérêts. C’est donc l’opérateur qui interjette appel.

Il nie avoir commis une quelconque faute, considérant que même si la proposition technique et financière avait été reçue à temps, l’intimé n’aurait pas eu le temps de retourner le document signé avant le 1er décembre 2010 à minuit. Il avance également que ce dernier ne démontre pas l’existence d’un lien de causalité entre le dommage et le préjudice. Si ces deux arguments peinent à convaincre, celui relatif au préjudice s’avère en revanche décisif.

En effet, selon l’appelant, les conditions fixées par le premier arrêté constituaient une aide d’État prohibée par le droit de l’Union européenne, ce qui explique au passage sa suspension. Par conséquent, le préjudice n’était pas réparable, faute d’être licite. Adhérant à cet argumentaire situé au confluent du droit civil et du droit économique, la cour d’appel dédit le jugement de première instance, rappelant qu’il revient aux juridictions nationales de préserver l’effet direct de l’article 108 § 3 du TFUE relatif à la règlementation des aides d’État.

Celle-ci implique la réunion de quatre facteurs. Pour constituer une aide d’État, une ressource doit d’abord bénéficier à une entreprise. Contrairement à ce que laisse entendre la cour lorsqu’elle évoque les mécanismes de compensation des surcoûts dus aux obligations de rachat d’électricité imposées à certaines entreprises, ce n’est pas l’opérateur historique mais bien l’intimé qui, en l’espèce, constitue le bénéficiaire de ces aides. Si, de prime abord, considérer qu’un agriculteur retraité constitue une entreprise peut surprendre, il n’y a là rien que de très normal compte tenu du pragmatisme du droit de l’Union. Après tout, l’intimé n’en poursuit pas moins une activité économique de production d’énergie, ce qui suffit à emporter la qualification d’entreprise.

On regrettera davantage que les juges du fond se soient contentés d’une formule lapidaire pour démontrer en quoi ces dispositifs d’incitation étaient à la fois susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et de fausser la concurrence. Pour satisfaire cette exigence de minimis, sans doute ne suffit-il pas de constater que le marché de l’électricité a été libéralisé.

Mais c’est essentiellement sur le critère de la provenance étatique de l’aide que la décision appelle quelques remarques. Puisque le versement de l’aidée en question se réalise par son intermédiaire, c’est d’abord le statut de l’appelant qui est en cause. Sur ce point, il est certain que son passage, lors de l’adoption de la loi n° 2004-803 du 9 août 2004, du statut d’établissement public à caractère industriel ou commercial à celui de société anonyme n’exclut pas à lui seul l’origine étatique de la ressource. En effet, le droit de l’Union privilégie une approche pragmatique – basée sur la notion de contrôle – à une analyse purement formelle. Dans la mesure où cette même loi prévoit que la participation de l’État français ne saurait être inférieure à 70 % du capital de la société, il est certain que son statut de personne morale de droit privé ne saurait faire obstacle à ce premier critère.

Reste qu’une vision tout aussi pragmatique implique également d’observer que si ce contrat avait été conclu avec n’importe quelle autre entreprise, la qualification d’aide d’État n’aurait pas été retenue (CJCE, 13 mars 2001, aff. C-379/98, PreussenElektra : Rec. CJCE 2001, I, p. 2099). La position de la cour d’appel revient donc à traiter différemment des entreprises soumises sans distinction aux arrêtés fixant les conditions de rachat de l’électricité photovoltaïque. Ne pouvait-on pas considérer qu’en l’espèce, l’État agit comme un opérateur ordinaire ? Un tel raisonnement aurait non seulement remis en cause la compétence des juges du fond quant à la qualification d’aides d’État (TPICE, 27 janv. 1998, aff. T-67/94, Ladbroke Racing c/ Comm. : Rec. CJCE 1998, II, p. 1), mais surtout évité que l’on ne sanctionne l’intimé de n’avoir pas choisi le bon cocontractant…

Arrêt commenté :
CA Lyon, 8 octobre 2020, RG n° 17/05318

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Citer cet article

Référence électronique

Florent Berthillon, « Le refus d’indemniser la perte de chance d’obtenir une aide d’État illicite », Bulletin des arrêts de la Cour d'appel de Lyon [En ligne], 16 | 2021, mis en ligne le 01 mars 2021, consulté le 18 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2706

Auteur

Florent Berthillon

Docteur en droit privé, équipe de recherche Louis Josserand, université Jean Moulin Lyon 3

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