Preuve du lien de causalité entre le fait dommageable et les troubles psychiatriques présentés par la victime à la suite de celui-ci

Civ. 2e, 23 novembre 2017, n° 16-22.479 et 16-22.480

DOI : 10.35562/ajdc.1003

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Mots-clés

troubles psychiatriques révélés par le fait dommageable

Rubriques

État antérieur

Par principe, le juge ne doit indemniser que les préjudices résultant directement du fait dommageable à l’exclusion des préjudices imputables à un état pathologique antérieur (B. Mornet, L’Indemnisation des préjudices en cas de blessures ou de décès, septembre 2017, p. 29). Pour autant, l’appréciation du lien de causalité entre le fait dommageable et des troubles, notamment psychiatriques ou psychologiques, apparus postérieurement à l’accident peut s’avérer malaisée, notamment si lesdits troubles ont été révélés par le fait dommageable.

Ainsi, en l’espèce, la victime a percuté un arbre après s’être endormie au volant de son véhicule. La cour d’appel d’Aix-en-Provence, selon un arrêt du 18 décembre 2014, a jugé que la victime avait droit à la réparation intégrale de son préjudice, en ce inclus les troubles et séquelles psychiatriques, et ordonné, avant dire droit sur l’évaluation de cet entier dommage corporel, une expertise complémentaire. Par arrêt du 23 juin 2016, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a liquidé le préjudice de la victime. L’assureur forme deux pourvois contre chacun de ces deux arrêts que la Cour de cassation rejette dans sa décision du 23 novembre 2017.

« [Elle juge] qu’ayant souverainement retenu que [la victime] ne présentait aucun antécédent psychiatrique connu, que préalablement à l’accident, [elle] travaillait à plein temps sans difficultés et avait une vie personnelle et sociale normale et que le trouble psychotique litigieux était apparu dans les semaines qui avaient suivi l’accident, alors qu’une telle symptomatologie clinique ne s’était jamais manifestée auparavant, la cour d’appel a pu en déduire, sans inverser la charge de la preuve, l’existence d’un lien de causalité entre l’accident et les troubles psychotiques de [la victime]. »

Cette décision du 23 novembre 2017 appelle deux remarques.

D’une part, il est constant que les juges du fond apprécient souverainement les circonstances de nature à caractériser l’existence d’un lien de causalité entre le fait dommageable et le préjudice (V. not. : Civ. 2e, 29 novembre 2005, n° 03-18.905 ; Civ. 2e, 24 mai 2006, n° 04-18.589 ; Civ. 2e, 9 février 2012, n° 11-10.016 ; Civ. 2e, 27 mars 2014, n° 12-22.339). Ils peuvent, par exemple, librement s’écarter des conclusions d’un rapport d’expertise (Civ. 1re, 17 novembre 2011, n° 09-17.168), dont ils apprécient souverainement la valeur probante et la portée sous réserve de ne pas le dénaturer. Néanmoins, pour les dommages apparus postérieurement à l’accident, il n’existe pas de présomption d’imputabilité desdits dommages au fait générateur (Civ. 2e, 24 janvier 1996, n° 94-13.678 ; Civ. 2e, 6 novembre 1996, n° 95-11.437). Il appartient donc à la victime de démontrer l’existence d’un lien de causalité certain et direct entre les troubles révélés postérieurement au fait dommageable et l’accident, surtout lorsqu’un expert a exclu toute imputabilité entre les troubles et le fait dommageable (Civ. 2e, 13 janvier 2012, n° 11-10.297).

D’autre part, le droit de la victime à obtenir l’indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d’une prédisposition pathologique lorsque l’affection qui en est issue n’a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable (Civ. 2e, 10 novembre 2009, n° 08-16.920 ; Civ. 2e, 8 juillet 2010, n° 09-67.592 ; Civ. 2e, 27 mars 2014, n° 12-22.339 ; Civ. 2e, 14 avril 2016, n° 14-27.980 ; Civ. 2e, 19 mai 2016, n° 15-18.784). L’état antérieur renvoie donc à deux situations différentes. Soit l’état antérieur se caractérise par des prédispositions pathologiques latentes, et celles-ci n’ont été révélées que par le fait dommageable. Le juge fera alors abstraction de cet état antérieur puisque l’évènement traumatique est la cause de l’entier dommage de la victime. Soit l’état antérieur se manifeste par une capacité déjà réduite ou des prédispositions pathologiques déjà révélées avant l’accident. Le juge devra alors déterminer, sur la base du rapport d’expertise, le préjudice imputable au fait générateur compte tenu de l’état antérieur de la victime, car dans cette hypothèse, l’indemnisation est limitée au seul préjudice imputable à l’accident, sauf à ce que ce dernier change la nature de l’invalidité (Civ. 1re, 28 octobre 1997, n° 95-17.274).

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Référence électronique

Geoffroy Hilger, « Preuve du lien de causalité entre le fait dommageable et les troubles psychiatriques présentés par la victime à la suite de celui-ci », Actualité juridique du dommage corporel [En ligne], 14 | 2017, mis en ligne le 16 septembre 2018, consulté le 19 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/ajdc/index.php?id=1003

Auteur

Geoffroy Hilger

Université de Lille, Centre de recherche droit et perspectives du droit, CRDP, EA 4487, F-59024, Lille, France

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