Refus d’indemniser la perte de chance pour un orphelin de bénéficier de l’assistance et de l’éducation de ses parents

Civ. 2e, 3 mai 2018, n° 16-18.315 (arrêt seul)

Index

Mots-clés

orphelin, préjudices patrimoniaux par ricochet

Rubriques

Victime indirecte : préjudices en cas de décès de la victime principale

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 29 février 2016), rendu sur renvoi après cassation (Civ. 2e, 28 février 2013, pourvois n° 11-25.927 et 11-25.446), que le 6 octobre 2002, Mujadin Y… et son épouse, Alerdrika Y…, ont trouvé la mort dans un accident de la circulation impliquant le véhicule conduit par M. Z…, assuré auprès de la société M. (l’assureur) ; qu’ils laissaient leur fille, Laura Y…, alors âgée d’un an ; que M. B…, son grand-père maternel, a été désigné tuteur de celle-ci ; qu’un arrêt irrévocable du 26 janvier 2007 a statué sur la réparation de ses préjudices moraux ; que M. B…, agissant tant en son nom personnel qu’au nom de l’enfant, a assigné M. Z… et l’assureur en indemnisation des préjudices patrimoniaux de celle-ci en présence de la caisse primaire d’assurance maladie de Seine-Saint-Denis ;

Attendu que M. B…, ès qualités, fait grief à l’arrêt d’infirmer le jugement en ce qu’il a condamné in solidum M. Z… et l’assureur à lui payer une somme de 1 307 000 euros en indemnisation du préjudice de l’enfant lié à la nécessité de recourir à une tierce personne, et, statuant à nouveau, de rejeter ce chef de demande, alors, selon le moyen :

1°/ que ne constitue pas un poste de préjudice lié à l’assistance par une tierce personne de la victime directe de l’accident, mais un préjudice patrimonial spécifique de l’enfant victime par ricochet, la privation, sa vie durant, de l’entretien, de l’éducation et de l’assistance quotidienne de ses deux parents, victimes directes de l’accident dans lequel ils sont décédés ; qu’en l’espèce, à la suite du décès des deux parents de Laura Y…, alors âgée d’un an, dans un accident de voiture dont M. Z… a été reconnu responsable, M. B…, en qualité de tuteur de Laura Y…, sa petite-fille, a sollicité la condamnation in solidum de M. Z… et de l’assureur à lui payer une somme de 1 307 000 euros, au titre de la « perte de chance, pour Laura Y…, victime par ricochet, de bénéficier de l’assistance, de l’éducation viagère de ses parents », cette privation « constitu[ant] un préjudice exceptionnel, de nature patrimoniale, justifiant l’indemnité accordée par le tribunal » ; que pour débouter M. B… de cette demande indemnitaire, la cour d’appel, statuant sur renvoi après cassation, a retenu que l’accident du 6 octobre 2002 n’avait causé à Laura aucune blessure ni aucun déficit permanent conditionnant l’existence d’un éventuel préjudice lié à l’assistance d’une tierce personne, et que « le préjudice résultant du fait que l’éducation de Laura Y… [devait] être assurée par son aïeul et tuteur, et non par ses parents, résid[ait] en réalité dans la disparition irrémédiable de ces derniers qui [était] indemnisée au titre du préjudice moral » ; qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le préjudice subi par ricochet par Laura Y… du fait du décès de ses deux parents, dont M. B…, ès qualités, demandait réparation, n’était pas constitutif d’un préjudice patrimonial spécifique résultant de la perte, par Laura Y…, victime par ricochet, du bénéfice de l’éducation et de l’assistance viagère de ses parents, victimes directes de l’accident causé par M. Z… dans lequel ils étaient décédés, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du Code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale ;

2°/ que le préjudice doit être intégralement réparé, sans perte ni profit pour la victime, et que constitue un préjudice patrimonial spécifique de l’enfant victime par ricochet, la privation, sa vie durant, de l’entretien, de l’éducation et de l’assistance quotidienne de ses deux parents, victimes directes de l’accident dans lequel ils sont décédés ; qu’en l’espèce, à la suite du décès des deux parents de Laura Y…, alors âgée d’un an, dans un accident de voiture dont M. Z… a été reconnu responsable, M. B…, en qualité de tuteur de Laura Y…, sa petite-fille, a sollicité la condamnation in solidum de M. Z… et de l’assureur à lui payer une somme de 1 307 000 euros, au titre de la « perte de chance, pour Laura Y…, victime par ricochet, de bénéficier de l’assistance, de l’éducation viagère de ses parents », cette privation « constitu[ant] un préjudice exceptionnel, de nature patrimoniale, justifiant l’indemnité accordée par le tribunal » ; que pour débouter M. B… de cette demande indemnitaire, la cour d’appel, statuant sur renvoi après cassation, a retenu que M. B… ne justifiait d’aucun préjudice indemnisable de Laura Y… distinct des préjudices moral et économique dont elle avait été indemnisée par les décisions irrévocables déjà rendues, l’accident du 6 octobre 2002 n’ayant causé à Laura aucune blessure ni aucun déficit permanent conditionnant l’existence d’un éventuel préjudice lié à l’assistance d’une tierce personne ; qu’en statuant ainsi, cependant que, par arrêt en date du 26 janvier 2007, la cour d’appel de Versailles avait indemnisé le préjudice moral de Laura Y… et que, par arrêt en date du 12 juillet 2011, la cour d’appel de Versailles a, dans ses dispositions devenues définitives, exclusivement condamné in solidum M. Z… et l’assureur à payer à M. B…, en qualité de tuteur de Laura Y… la somme de 33 263,15 euros en réparation du préjudice économique de cette enfant résultant de la perte de revenus induite par le décès de ses deux parents, et, dans ses dispositions annulées par la Cour de cassation, indemnisé l’assistance par une tierce personne sur laquelle M. B…, ès qualités, ne fondait plus sa demande d’indemnisation devant la cour de renvoi, la cour d’appel, qui n’a pas expliqué en quoi le préjudice patrimonial spécifique subi par ricochet par Laura Y… à la suite du décès de ses deux parents, résidant dans la perte du soutien, de l’éducation et de l’assistance que ces derniers auraient dû lui apporter, dont M. B…, ès qualités, demandait réparation, n’était pas distinct des préjudices moral et économique déjà réparés, a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du Code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale ;

3°/ que le préjudice doit être intégralement réparé, sans perte ni profit pour la victime ; qu’en l’espèce, à la suite du décès des deux parents de Laura Y…, alors âgée d’un an, dans un accident de voiture dont M. Z… a été reconnu responsable, M. B…, en qualité de tuteur de Laura Y…, sa petite-fille, a sollicité la condamnation in solidum de M. Z… et de l’assureur à lui payer une somme de 1 307 000 euros, au titre de la « perte de chance, pour Laura Y…, victime par ricochet, de bénéficier de l’assistance, de l’éducation viagère de ses parents », cette privation « constitu[ant] un préjudice exceptionnel, de nature patrimoniale, justifiant l’indemnité accordée par le tribunal » ; que pour débouter M. B… de cette demande indemnitaire, la cour d’appel a retenu que l’éducation de Laura Y… devait en toute hypothèse être assurée par son aïeul et tuteur et non par ses parents, celui-ci étant investi de l’obligation légale de prendre soin de la personne de sa pupille mineure, et les conditions de son entretien et de son éducation étant légalement réglées par le conseil de famille, et que la tutelle destinée à assurer la protection due à l’enfant était une charge publique, et un devoir des familles et de la collectivité publique et les frais d’assistance et d’accompagnement liés à la minorité faisant partie des charges tutélaires, dont le pupille n’avait pas à indemniser ou rémunérer son tuteur ; qu’en statuant ainsi, cependant que constitue un préjudice patrimonial spécifique réparable, la perte, par un enfant, du bénéfice de l’entretien, de l’éducation et de l’assistance viagère qui auraient dû lui être dispensés par ses parents victimes directes de l’accident dans lequel ils sont décédés, et que M. B… agissait, non à titre personnel, mais en qualité de tuteur de sa petite-fille Laura Y…, pour laquelle il demandait réparation, la cour d’appel a violé l’article 1382 du Code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale ;

Mais attendu qu’ayant relevé que le préjudice résultant du fait que l’éducation de l’enfant doit être assurée par son tuteur et non par ses parents est consécutif à la disparition irrémédiable de ceux-ci, que c’est par une obligation légale qu’il incombe au tuteur de prendre soin de la personne de la mineure et que la tutelle destinée à assurer la protection qui lui est due est une charge publique et un devoir des familles, les conditions de son entretien et de son éducation étant réglées par le conseil de famille, c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation que la cour d’appel, devant laquelle il n’était pas allégué que ces charges avaient donné lieu à la fixation, au bénéfice du tuteur, d’une indemnité prélevée sur le patrimoine du mineur, a, sans méconnaître le principe de la réparation intégrale, estimé qu’il n’était pas justifié de l’existence d’un préjudice indemnisable distinct des préjudices moral et économique dont l’enfant a été indemnisé ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Citer cet article

Référence électronique

« Refus d’indemniser la perte de chance pour un orphelin de bénéficier de l’assistance et de l’éducation de ses parents », Actualité juridique du dommage corporel [En ligne], 16 | 2018, mis en ligne le 21 septembre 2018, consulté le 28 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/ajdc/index.php?id=1097

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