L’impossibilité psychologique de poursuivre une activité de loisirs caractérise un préjudice d’agrément

Civ. 2e, 5 juillet 2018, n° 16-21.776

DOI : 10.35562/ajdc.1320

Index

Mots-clés

préjudice d’agrément, activité de loisir, état psychologique

Rubriques

Victime directe blessée : préjudices patrimoniaux

Selon la nomenclature Dintilhac, le préjudice d’agrément vise « exclusivement à réparer le préjudice […] spécifique lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs ». « Ce poste de préjudice doit être apprécié in concreto en tenant compte de tous les paramètres individuels de la victime » (J.-P. Dintilhac (dir.), Rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels, La documentation française, 2005, p. 39). Pour la Cour de cassation, le préjudice d’agrément est celui qui résulte d’un trouble spécifique lié à l’impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité sportive ou de loisirs (V. not. : Civ. 1re, 8 février 2017, n° 15-21.528).

En 2018, la Cour de cassation a affiné sa jurisprudence sur la définition et la portée du préjudice d’agrément. Elle a, d’une part, jugé que « le préjudice d’agrément est constitué par l’impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs » et que « ce poste de préjudice inclut la limitation de la pratique antérieure » (Civ. 2e, 29 mars 2018, n° 17-14.499). Il s’ensuit que la simple limitation d’une pratique sportive ou de loisirs antérieure constitue un préjudice d’agrément indemnisable (B. Mornet, L’indemnisation des préjudices en cas de blessures ou de décès, septembre 2018, p. 63).

Elle a, d’autre part, considéré que s’il n’existe pas d’inaptitude fonctionnelle à la pratique des activités sportives ou de loisirs, l’état psychologique de la victime à la suite de l’accident peut caractériser pour cette dernière l’impossibilité de continuer à pratiquer régulièrement cette activité sportive ou de loisirs (Civ. 2e, 5 juillet 2018, n° 16-21.776). Elle a en effet jugé le 5 juillet 2018 que :

« Mais attendu qu’ayant souverainement constaté que même si l’expert judiciaire avait relevé qu’il n’existait pas d’inaptitude fonctionnelle à la pratique des activités de loisirs auxquelles Mme Y… se livrait avant l’accident, cette dernière n’avait cependant pas repris celle de la moto compte tenu de son état psychologique à la suite de l’accident, la cour d’appel, qui a ainsi caractérisé l’impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement cette activité sportive ou de loisirs, a décidé à bon droit de l’indemniser de ce préjudice. »

Par conséquent, la caractérisation du préjudice d’agrément ne dépend plus de la seule atteinte à l’intégrité physique de la victime. Elle peut désormais résulter pour celle-ci d’une impossibilité psychologique à reprendre l’activité sportive ou de loisirs. Un parallélisme est ainsi fait avec les éléments composant le déficit fonctionnel permanent. Puisque celui-ci correspond à une réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel, ou intellectuel résultant de l’atteinte à l’intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable (J.-P. Dintilhac (dir.), Rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels, La documentation française, 2005, p. 38 ; B. Mornet, L’indemnisation des préjudices en cas de blessures ou de décès, septembre 2018, p. 60), il est cohérent que cette réduction du potentiel physique, psychosensoriel, ou intellectuel permette de démontrer l’existence d’un préjudice d’agrément en cas d’impossibilité à reprendre une activité antérieure sportive ou de loisirs ou de limitation dans la pratique de celle-ci.

Cet arrêt est enfin l’occasion de rappeler que le principe de la réparation intégrale et le principe indemnitaire conduisent à une « étroite personnalisation de l’indemnisation » tant dans la stricte détermination des préjudices subis que dans leur évaluation (Y. Lambert-Faivre, S. Porchy-Simon, Droit du dommage corporel. Systèmes d’indemnisation, 8e éd., Paris, Dalloz, 2015, n° 36). Les juges du fond disposent en conséquence d’un pouvoir souverain pour évaluer le préjudice subi par la victime (V. par ex. : Cass. crim., 27 sept. 2016, n° 15-84.238), ce que rappelle la Cour de cassation dans l’arrêt étudié à propos de l’évaluation des besoins en tierce personne de la victime :

« Mais attendu qu’ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que Mme Y… avait eu recours à une aide ménagère dont le coût horaire restant à sa charge, de même que le nombre total d’heures pour une durée que l’expert avait mise en exergue, ont été parfaitement justifiés, et estimé que la reprise de son activité professionnelle était sans incidence sur la nécessité d’une aide ponctuelle à domicile, la cour d’appel, qui a souverainement apprécié la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, a légalement justifié sa décision. »

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Référence électronique

Geoffroy Hilger, « L’impossibilité psychologique de poursuivre une activité de loisirs caractérise un préjudice d’agrément », Actualité juridique du dommage corporel [En ligne], 17 | 2018, mis en ligne le 01 juillet 2018, consulté le 29 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/ajdc/index.php?id=1320

Auteur

Geoffroy Hilger

Université de Lille, Centre de recherche droit et perspectives du droit, CRDP, EA 4487, F-59024, Lille, France

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