La détermination du préjudice économique du conjoint survivant : exclusion de la pension de réversion issue d’une première union

Civ. 2e, 16 septembre 2021, no 20-14383

DOI : 10.35562/ajdc.1554

Résumé

La pension de réversion versée du chef d’un premier conjoint, suspendue pendant le temps du mariage avec la victime directe, et à nouveau versée après le décès de celle-ci, ne constitue pas un revenu du foyer et n’est pas la conséquence « directe et nécessaire » du décès de la victime directe. Elle ne doit pas être prise en compte par les juges du fond lors du calcul du préjudice économique du conjoint survivant (victime par ricochet).

Alors qu’il naviguait, un pêcheur est violemment percuté par un cargo. Suite à l’accident, il décède de ses blessures. Sa veuve a saisi une commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) afin d’obtenir indemnisation de ses préjudices. Dans un arrêt, en date du 15 janvier 2020, la cour d’appel de Rennes déclare le capitaine du cargo, ainsi que son second, coupables des délits d’homicide involontaire, de fuite et d’omission de porter secours. Ils sont condamnés à verser des dommages-intérêts à la veuve de la victime en réparation de son préjudice économique (à hauteur de 102 642 €), et de son préjudice moral. Insatisfaite de cette décision, celle-ci se pourvoit en cassation afin de contester le montant de l’évaluation financière qui a été réalisée. D’après la demanderesse, les juges auraient commis une erreur en déduisant du revenu résiduel du foyer la pension civile de réversion qui lui est versée par l’État en raison d’une précédente union. Elle considère que son préjudice économique devrait s’élever à un montant de 419 230 €. Saisie du litige, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation opère une cassation partielle de l’arrêt d’appel, au visa des articles 706-3 et 706-9 du Code de procédure pénale. La Haute juridiction vient alors se pencher sur la problématique générale du calcul du préjudice patrimonial des victimes par ricochet en cas de décès de la victime directe.

La Cour rappelle, tout d’abord, la méthodologie d’évaluation à suivre : en cas de décès de la victime directe, le préjudice économique subi par le conjoint survivant doit être évalué en prenant pour élément de référence le revenu annuel du foyer avant le dommage ayant entraîné le décès, en tenant compte de la part de consommation personnelle de la victime directe, ainsi que des revenus perçus par le conjoint (V. sur ce point, « perte de revenus des proches », Rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels, Groupe de travail dirigé par Jean-Pierre Dintilhac, 2005). La Cour indique, ensuite, que doivent uniquement être pris en considération les revenus perçus par le conjoint survivant antérieurement au décès et maintenus après celui-ci, ainsi que tous les nouveaux revenus qui sont la conséquence « directe et nécessaire » du décès. La Cour ajoute, enfin, que la CIVI doit tenir compte, dans le montant des sommes allouées à la victime au titre de la réparation de son préjudice, des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d’autres débiteurs au titre du même préjudice.

Cet arrêt vient nous interroger : La pension de réversion versée au titre d’une union précédente doit-elle être intégrée par les juges dans la composition des « revenus perçus par le conjoint » ?

La pension de réversion, qui a vocation à être versée du chef du conjoint décédé, entre dans cette catégorie. On rappellera que la jurisprudence effectue toutefois une distinction selon que cette pension ouvre ou non droit à un recours subrogatoire des tiers payeurs (en ce sens : Civ. 2e, 3 mai 2018, no 16-25476 c/ Civ. 2e,28 février 1996, no 95-06002). En revanche, la Cour de cassation a également eu l’occasion de préciser que les nouvelles ressources qui résulteraient de la réorganisation de la vie du conjoint survivant ne sont pas la conséquence « directe et certaine » du décès de la victime directe. C’est pourquoi, sont exclus les revenus d’un nouvel époux (Civ. 1re, 7 octobre 2020, no 19-17041), ceux résultant de la reprise d’une activité par le conjoint survivant ; ou encore ceux issus de la mise en fermage de terres agricoles précédemment exploitées par la victime directe (Civ. 2e, 12 février 2009, no 08-12706).

Il en résulte que la pension de réversion versée du chef d’un premier conjoint, suspendue pendant le temps du mariage avec la victime directe, et à nouveau versée après le décès de celle-ci, ne doit pas non plus être prise en compte par les juges du fond lors du calcul du préjudice économique du conjoint survivant. En effet, si le décès est bel et bien le facteur qui permet de redéclencher les versements de la pension auprès de la veuve, ceux-ci ne sont pas en lien immédiat avec l’accident. Cette pension ne constitue donc ni un revenu du foyer, ni une conséquence « directe et nécessaire » du décès de la victime directe (obs. Berlaud C., « Préjudice économique de la veuve de la victime : pension de réversion d’un précédent mariage », Gaz Pal. 2022, no 34, p. 39 ; Casey J., « Indemnisation du conjoint survivant, pension de réversion & remariage », AJ famille 2021, no 10, p. 567 ; Gerry-Vernières S., « Préjudice économique du conjoint survivant : pas de prise en compte de la pension de réversion versée sur chef du premier conjoint », Gaz Pal. 2022, no 2 ; Hacène-Kebir A., « Calcul du préjudice économique du conjoint survivant : tous les revenus du foyer, rien que les revenus du foyer ! », Dalloz actualité, 4 octobre 2021 ; Rogue F., « Non prise en compte de la pension de réversion perçue du chef du premier mari dans l’évaluation du préjudice économique subi à la suite du décès du second époux », LEFP novembre 2021, no 10, p. 7). Elle n’est pas, au vu des circonstances, de nature à diminuer le montant de la réparation du préjudice patrimonial subi :

« Il découle de l’ensemble de ces dispositions que la circonstance qu’après le décès du dernier conjoint ou concubin, le survivant perçoive, du chef d’un précédent conjoint ou concubin, une pension de réversion, dont le versement, suspendu à la suite du remariage, a repris après le décès, n’est pas de nature à diminuer le montant de la réparation du préjudice économique subi. »

N’étant pas indemnitaire, elle doit tout simplement être écartée du calcul.

On ne peut que partager la décision de la Cour de cassation. En effet, la solution apparait justifiée et permet de garantir le respect du principe de réparation intégrale « sans perte ni profit pour la victime ». La pension de réversion doit être soumise à des régimes distincts selon qu’elle soit versée au conjoint survivant soit du chef du conjoint décédé, soit du chef d’un premier conjoint issu d’un précédent mariage (obs. Jourdain P., « Quelle incidence de la pension de réversion versée au conjoint survivant du chef d’un premier mariage sur l’évaluation de son préjudice économique consécutif au décès d’un second conjoint ? », RTD Civ. 2021, no 4, p. 894). Il est nécessaire quel la cour d’appel applique cette distinction. Peu importe que l’indemnisation soit le fait d’un fonds d’indemnisation. La censure apparaît donc légitime.

L’affaire se retrouve renvoyée auprès de la cour d’appel de Rennes (autrement composée) afin que le montant du préjudice économique soit à nouveau évalué. Ainsi que le souligne toutefois Monsieur Irrmann, la solution aurait pu être totalement différente si la pension de réversion n’avait pas été suspendue durant le second mariage, puisqu’en tant que « revenu perçu par le conjoint survivant » elle aurait, de facto, intégré le calcul (Irrmann C., « Une pension de réversion peut en cacher une autre », Gaz Pal. 2022, no 5, p. 65). Cela vient donc nous rappeler à quel point le calcul indemnitaire est avant tout affaire de circonstances… L’appréciation in concreto apparaît donc indispensable !

Décision attaquée : Cour d’appel de Rennes, le 15 janvier 2020.

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Citer cet article

Référence électronique

Émeline Augier-Francia, « La détermination du préjudice économique du conjoint survivant : exclusion de la pension de réversion issue d’une première union », Actualité juridique du dommage corporel [En ligne], 23 | 2022, mis en ligne le 01 septembre 2021, consulté le 16 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/ajdc/index.php?id=1554

Auteur

Émeline Augier-Francia

Université Clermont-Auvergne

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