Le statut de victime d’acte terroriste

Cass. 2e Civ, 27 octobre 2022, no 21-13.134

DOI : 10.35562/ajdc.1679

Abstract

La Cour de cassation refuse de reconnaître le statut de victime aux témoins d’actes terroristes, puisque sont qualifiées de victimes, au sens de l’article L. 126-1 du Code des assurances, uniquement les personnes qui ont été directement exposées à un péril objectif de mort ou d’atteinte corporelle.

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Décision attaquée : Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 21 janvier 2021, no 19/04704.

En l’espèce, les faits se déroulent à Nice, lors de l’attentat du 14 juillet 2016. Alors qu’un camion se précipite sur la foule, deux personnes sont témoins de la scène depuis le Théâtre de Verdure, à 400 mètres. Faisant valoir les répercussions psychologiques subies à la suite de cet évènement, elles adressent une demande d’indemnisation de leurs préjudices au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (dit « FGTI »). Se voyant refuser l’indemnisation, elles assignent le FGTI devant le tribunal de grande instance. La cour d’appel d’Aix-en-Provence rend par la suite un arrêt, le 21 janvier 2021, par lequel elle leur refuse la qualité de victime d’acte de terrorisme au sens de la loi du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme et aux atteintes à la sûreté de l’État. Les demandeuses se pourvoient alors en cassation et affirment que la qualité de victime devait leur être reconnue puisque, se trouvant à proximité de l’attentat, elles avaient subi un dommage psychologique directement lié à l’acte et qu’il suffisait qu’elles aient été exposées au risque et non que le risque se soit réalisé pour que le statut de victime leur soit reconnu.

Cet arrêt pose la question de la délimitation du statut de victime d’actes terroristes et répond à la problématique suivante : le fait pour une personne de se trouver à proximité du lieu d’un attentat suffit-il à lui conférer le statut de victime, lui ouvrant droit à indemnisation par le Fonds de garantie ? La Cour répond par la négative. Le fait pour une personne de s’être trouvée à proximité du lieu d’un attentat et d’en avoir été le témoin ne suffit pas, en soi, à lui conférer la qualité de victime, définie à l’article L.126-1 du Code des assurances comme des personnes ayant été directement exposées à un péril objectif de mort ou d’atteinte corporelle. Ainsi, cette décision, si elle est légalement justifiée, est-elle pour autant légitime ?

I. Une décision légalement fondée en l’état du droit positif actuel

Tout d’abord, le FGTI est un dispositif d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme, mis en place par la loi du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme. Les demandeurs comptaient ainsi bénéficier d’une indemnisation par ledit Fonds de garantie. Pour rejeter leur pourvoi, le cheminement de pensée de la Cour de cassation est clair. Elle commence par rappeler ce que constitue un acte de terrorisme, puisque l’évènement du 14 juillet 2016 en est un. Ensuite, elle précise effectivement que les victimes de tels actes commis sur le territoire national sont indemnisées par le FGTI, avant de définir ce qu’est une victime au sens du Code des assurances, pour enfin démontrer qu’en l’espèce, les témoins ne remplissaient pas les conditions pour entrer dans la catégorie de victimes d’actes de terrorisme et ainsi leur refuser l’indemnisation de leur préjudice psychologique par le FGTI. Au vu de l’état actuel du droit des assurances, les témoins d’actes de terrorisme ne rentrent effectivement pas dans les conditions requises pour être considérées comme victimes au sens de l’article précité à proprement parler, et pour cause. Le chapitre « l’assurance contre les actes de terrorisme » du Code des assurances ne comporte que deux sections : le dommage corporel (article L. 126-1) et le dommage matériel (articles L. 126-2 et -3). Or, il n’est pas fait de distinction au sein de la section « dommage corporel » entre le dommage physique et psychologique, qui a toute son importance ici. En effet, si les témoins en l’espèce étaient bel et bien trop éloignés physiquement pour subir un dommage corporel au sens de « péril objectif de mort ou d’atteinte corporelle », c’est-à-dire un préjudice physique, les répercussions psychiques seraient irréfutables et paraissent mériter une plus grande prise en considération.

II. Une solution néanmoins questionnable sur le plan de la légitimité

Si l’on prend du recul sur le droit pour se rapprocher d’une réalité subjective des faits, il est indéniable qu’un tel événement mérite considération sur le plan psychologique. D’ailleurs, cet arrêt intervient le même jour que trois autres arrêts de la même chambre qui reconnaissent le droit à indemnisation par le FGTI des proches de la victime directe d’un attentat, même si la victime a survécu, donc le préjudice moral de la victime indirecte (Cass. 2e Civ., 27 octobre 2022, no 21-24.424 ; Cass. 2e Civ., 27 octobre 2022, no 21-24.425 ; Cass. 2Civ., 27 octobre 2022, no 21-24.426). Cela questionne d’autant plus le refus de la même deuxième chambre civile de reconnaitre ce statut de victime au témoin direct de l’attentat et ainsi d’indemniser son préjudice moral. Par ailleurs, le site internet du Gouvernement présentant le dispositif du FGTI, parle des « victimes d’actes de terrorisme, blessées ou choquées […] » comme indemnisables. Au vu de la présente décision, cette vision de la victime pose question : les victimes choquées, se trouvant dans la zone de danger pourraient ainsi être indemnisées, alors même qu’aucune exposition directe à un péril objectif de mort ou d’atteinte corporelle ne serait constatée. Il est également intéressant d’opérer une comparaison avec la position de la Chambre criminelle qui a rendu quatre arrêts le 15 février dernier à propos des attentats de Nice, entre autres, dans lesquels elle tient compte des spécificités des attentats terroristes pour élargir la recevabilité de la constitution de partie civile en matière de terrorisme (Cass. Crim., 15 février 2022, no 21-80.264 ; Cass. Crim., 15 février 2022, no 21-80.265 ; Cass. Crim., 15 février 2022, no 21-80.670). Elle adopte pour cela une conception élargie de la notion de victime, afin de reconnaître la qualité de partie civile à deux personnes qui n’ont pas été visées directement par l’attentat, au motif qu’elles ont pu malgré tout légitimement penser être en danger dans une telle situation. La Chambre criminelle prend ainsi en compte le traumatisme psychique des témoins d’actes de terrorisme pour leur conférer le statut de victime, ce qui n’est visiblement pas dans l’intention de la Chambre civile. Ainsi, si la Haute juridiction n’est que juge de la légalité, certaines décisions sont discutables sur le plan de la légitimité, de l’éthique, alors que le sentiment moral de justice du justiciable est essentiel pour que le service public de la Justice soit perçu comme au plus proche des besoins légitimes de reconnaissance des préjudices particuliers de chacun.

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References

Electronic reference

Inès Lagedamon, « Le statut de victime d’acte terroriste », Actualité juridique du dommage corporel [Online], 24 | 2022, Online since 17 mars 2023, connection on 18 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/ajdc/index.php?id=1679

Author

Inès Lagedamon

Étudiante en Master 2 Droit civil général, université Clermont Auvergne, F-63000 Clermont-Ferrand, France

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