Rappel jurisprudentiel de l’indépendance du préjudice sexuel permanent

Cass. 2e Civ., 30 mars 2023, no 21-21.070

DOI : 10.35562/ajdc.1749

Résumé

Le poste du préjudice sexuel, qui comprend tous les préjudices touchant à la sphère sexuelle, constitue un préjudice à caractère personnel, distinct du poste du déficit fonctionnel permanent.

Décision attaquée : Cour d’appel de Bordeaux du 11 mai 2021.

Alors qu’il pilotait sa moto, Monsieur F. est victime d’un accident de la circulation, impliquant un autre véhicule, en 2010. Le conducteur est déclaré responsable. En raison d’un désaccord les opposant sur l’indemnisation, l’assureur assigne la victime devant le TGI en liquidation de son préjudice.

Après expertise, le 11 mai 2021, la cour d’appel de Bordeaux accorde à la victime une indemnisation à la somme totale de 293 576,99 € :

  • dépenses de santé actuelles : 86 372,46 €
  • frais divers : 11 290,17 €
  • perte de gains actuels : 45 304,52 €
  • dépenses de santé futures : 5 157,46 €
  • frais de logement adapté : rejet
  • perte de gains professionnels futurs : 8 197,38 €
  • incidence professionnelle : 50 000 €
  • déficit fonctionnel temporaire : 8 975 €
  • déficit fonctionnel permanent : 49 280 €
  • souffrances endurées : 20 000 €
  • préjudice esthétique temporaire : 2 000 €
  • préjudice esthétique permanent : 4 000 €
  • préjudice d’agrément : 3 000 €
  • préjudice sexuel : rejet

S’agissant, plus spécifiquement du préjudice sexuel de la victime :

Les juges de première instance, comme d’appel, s’accordent pour rejeter ce poste de préjudice. Ils considèrent que le retentissement sexuel était d’ores et déjà pris en considération par les experts dans la liquidation du déficit fonctionnel permanent (22 %). Dans la mesure où la victime ne peut pas bénéficier de deux réparations équivalentes, les magistrats ont fait le choix de ne pas allouer d’indemnisation en réparation du préjudice sexuel à la victime, pour éviter la critique d’une double évaluation.

Cependant, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation n’apparaît pas convaincue par cet argument, et censure la décision au nom du principe de réparation intégrale : « En statuant ainsi, alors que le poste du préjudice sexuel, qui comprend tous les préjudices touchant à la sphère sexuelle, constitue un préjudice à caractère personnel, distinct du poste du déficit fonctionnel permanent, la cour d’appel a violé le principe [de réparation intégrale]. »

Il convient donc de se demander : le préjudice sexuel postérieur à la consolidation doit-il être indemnisé distinctement du déficit fonctionnel permanent par les juges ?

La réponse est indubitablement positive selon la nomenclature « Dintilhac ». Or, depuis l’adoption d’une réforme gouvernant le recours des tiers payeurs en 2006 (loi no 2006-1640 du 21 décembre 2006), la Cour de cassation semble opérer un véritable contrôle des décisions de fond, afin de veiller à ce que l’autonomie de chaque préjudice soit bien respectée par les magistrats.

À ce titre, elle a, par exemple, eu l’occasion de rappeler que la réparation du déficit fonctionnel temporaire (DFT) inclut l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle, la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante, ce qui englobe le préjudice sexuel temporaire de la victime (Cass. 2e Civ., 11 décembre 2014, no 13-28.774), ainsi que son préjudice d’agrément temporaire (Cass. 2e Civ., 27 avril 2017, no 16-13.740). En revanche, le préjudice esthétique temporaire (Cass. 2e Civ., 4 février 2016, no 10-23.378), tout comme les souffrances endurées consécutives à l’accident (Cass. 1re Civ., 17 mars 2016, no 14-25.636), en sont exclus.

À l’inverse, la réparation du déficit fonctionnel permanent (DFP) ne peut se confondre, quant à elle, ni avec celle du préjudice sexuel permanent de la victime (en ce sens : Cass. 2e Civ., 12 mai 2011, no 10-17.148, Cass. 2e Civ., 28 juin 2012, no 11-16.120 ; et plus récemment Cass. 2e Civ., 8 juin 2017, no 16-19.185 et Cass. 2e Civ., 24 mai 2017, no 16-17.563), ni avec celle de son préjudice d’agrément permanent (Cass. 2e Civ., 25 avril 2013, no 11-23.879). Ces deux postes doivent donc obligatoirement être réparés individuellement. Ils ne peuvent pas faire l’objet d’une globalisation.

Les souffrances endurées permanentes de la victime, en revanche, doivent être incluses dans la réparation du déficit fonctionnel permanent, comme l’indique, par exemple, un arrêt du 25 janvier 2018 : « Qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher si les souffrances invoquées n’étaient pas déjà réparées au titre du déficit fonctionnel permanent, la cour d’appel a privé sa décision de base légale » (Cass. 2e Civ., 25 janvier 2018, no 17-10.299 ou encore Cass. 2e Civ., 4 avril 2018, no 17-80.297). Précisons toutefois que cette globalisation nous semble critiquable, et que le projet de décret établi par la chancellerie en 2014 prévoyait – à juste titre – la création d’un poste autonome de « souffrances endurées permanentes » pour rectifier cette incohérence. Cela imposerait au médecin expert d’apprécier in concreto les répercussions du dommage corporel pour la victime (souffrances) selon un ressenti individuel. Le référentiel de M. Benoit Mornet le rappelle d’ailleurs clairement « le taux de déficit fonctionnel déterminé par le médecin expert ne tient pas nécessairement compte des souffrances permanentes et des troubles dans les conditions d’existence. Dans ce cas, le juge peut majorer l’indemnité pour prendre en compte l’indemnisation de ces éléments » (p. 71).

La solution retenue par la Cour de cassation dans cet arrêt n’apparaît donc pas véritablement surprenante sur ce point. Elle s’inscrit dans une lignée jurisprudentielle déjà bien établie ; et plus généralement dans un phénomène de standardisation des décisions de justice. Si le déficit fonctionnel permanent permet actuellement d’indemniser de nombreuses conséquences du trouble (au grand détriment de l’autonomisation du préjudice permanent exceptionnel – obs. Bacache M., Guégan A. et Porchy-Simon S., « Dommage corporel. Octobre 2016 – septembre 2017 », D., 2017, no 38, p. 2224), cela ne doit pour autant inclure le préjudice sexuel de la victime, qui doit demeurer autonome pour la période post-consolidation !

Enfin, il convient de rappeler que le préjudice sexuel concerne « la réparation des préjudices touchant à la sphère sexuelle ». Il se décompose actuellement en trois éléments :

« le préjudice morphologique qui est lié à l’atteinte aux organes sexuels primaires et secondaires résultant du dommage subi ; le préjudice lié à l’acte sexuel lui-même qui repose sur la perte de plaisir lié à l’accomplissement de l’acte sexuel (perte de l’envie ou de la libido, perte de la capacité physique de réaliser l’acte, perte de la capacité à accéder au plaisir) ; le préjudice lié à une impossibilité ou à une difficulté de procréer (ce préjudice pouvant notamment chez la femme se traduire sous diverses formes comme le préjudice obstétrical, etc.). »

Ces trois éléments peuvent être subis ensemble, ou séparément. L’appréciation doit être réalisée « in concreto en prenant en considération les paramètres personnels de chaque victime » selon le rapport Dintilhac.

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Citer cet article

Référence électronique

Émeline Augier-Francia, « Rappel jurisprudentiel de l’indépendance du préjudice sexuel permanent », Actualité juridique du dommage corporel [En ligne], 25 | 2023, mis en ligne le 20 juillet 2023, consulté le 03 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/ajdc/index.php?id=1749

Auteur

Émeline Augier-Francia

Maître de conférences de droit privé, université Clermont Auvergne, Centre Michel de L’Hospital, F-63000 Clermont-Ferrand, France

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