Indemnisation de l’exclusion du monde du travail par l’incidence professionnelle : la deuxième chambre civile de la Cour de cassation persiste et signe !

Cass. 2e Civ., 9 mars 2023, no 21-19.322

DOI : 10.35562/ajdc.1748

Résumé

Cet arrêt s’inscrit dans une lignée jurisprudentielle, et vient à nouveau confirmer que l’exclusion définitive de la victime du monde du travail doit faire l’objet d’une réparation au titre de l’incidence professionnelle.

Décision attaquée : Cour d’appel de Bastia du 12 mai 2021.

Rappelons que d’après le rapport DINTILHAC, l’incidence professionnelle (« IP ») vise à indemniser les incidences périphériques et définitives liées à l’invalidité professionnelle de la victime. En cela, elle doit donc être réparée de manière indépendante vis-à-vis des pertes de gains professionnels futurs (« PGPF ») qui ont vocation à indemniser l’incapacité permanente de travail subie par la victime, à compter de la date de consolidation (Cass. 2e Civ., 13 décembre 2012, no 11-26.852).

Dans les faits de l’espèce, Monsieur T (cantonnier au sein d’une collectivité) est percuté par un véhicule. Il décide d’assigner le conducteur (et son assureur), devant le tribunal de grande instance, en réparation de ses préjudices. Par jugement du 10 septembre 2015, le conducteur est déclaré responsable de l’accident. Les magistrats ordonnent une expertise médicale. La victime demande, notamment, une indemnisation au titre de l’incidence professionnelle en raison de la perte de repères sociaux liés à son activité professionnelle, et d’un état de désœuvrement.

Dans un arrêt du 12 mai 2021, la cour d’appel de Bastia rejette cette demande. Les juges considèrent que le préjudice décrit par la victime est « étranger au principe de la réparation d’une incidence professionnelle qui concerne la dévalorisation sur le marché du travail et l’augmentation de la pénibilité de l’emploi, ou encore la perte de chance d’accéder à un emploi plus favorable ». La décision est toutefois censurée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (et l’affaire est renvoyée devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence), au visa du principe de réparation intégrale. La haute juridiction réaffirme que le désœuvrement ressenti par la victime, du fait de son exclusion définitive du monde du travail, doit être réparé au titre de l’incidence professionnelle :

« En statuant ainsi, alors que le poste d’incidence professionnelle peut indemniser les conséquences de l’exclusion définitive de la victime du monde du travail et qu’elle avait constaté que M. [T], âgé de 50 ans au moment de l’accident, avait été radié des cadres et placé à la retraite le 23 octobre 2015, la cour d’appel a violé le principe susvisé. »

La solution n’est pas étonnante. Elle apparaît justifiée, selon nous, pour deux raisons.

Premièrement, elle s’inscrit dans une lignée jurisprudentielle. En effet, la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de l’affirmer, en 2017 :

« Mais attendu qu’ayant relevé, d’abord, que si [la victime] exerçait avant l’accident une activité de journaliste qui, pour n’être pas permanente, était source régulière de revenus, ensuite, que les troubles comportementaux et cognitifs dont il souffre rendent quasi impossible la reprise de son activité professionnelle antérieure et constituent un obstacle à une reconversion, c’est sans encourir les griefs du moyen que la cour d’appel a réparé, d’une part, au titre de la perte de gains professionnels futurs, la perte de chance de [la victime] de retirer des revenus de l’exercice d’une nouvelle activité, d’autre part, au titre de l’incidence professionnelle, le préjudice résultant de la nécessité où il se trouve en raison de son handicap, de renoncer à l’exercice de sa profession de journaliste […] » (Cass. 2e Civ., 14 septembre 2017, no 16-23.578 V. également Cass. Crim., 28 mai 2019, no 18-81.035 ; Cass. 2e Civ., 16 décembre 2021, no 20-12.040.)

Et de le rappeler en 2022 :

« En effet, le juge a, par des motifs relevant de son appréciation souveraine, constaté l’existence d’un préjudice distinct de la perte de gains professionnels futurs et du déficit professionnel permanent, découlant de la dévalorisation sociale ressentie par la victime du fait de son exclusion définitive du monde du travail, indemnisable au titre de l’incidence professionnelle. » (Cass. Crim., 18 octobre 2022, no 21-86.346.)

En cela, l’indemnisation au titre de l’incidence professionnelle apparaît donc cohérente. Elle vise à réparer l’obligation, pour la victime, de devoir renoncer – de manière définitive – à tout projet professionnel (préjudice de carrière). Dans la mesure où elle n’est plus en capacité de s’épanouir professionnellement, elle perd de facto une partie de son identité sociale, qui doit lui être indemnisée (V. M. Le Roy, J.-D. Le Roy, et F. Bibal, L’Évaluation du préjudice corporel. Expertises, principes, indemnités, Paris, Lexisnexis, 20e éd., 2015, no 127). Partant, les magistrats peuvent donc cumuler l’incidence professionnelle et les pertes de gains professionnels ; y compris si la victime ne travaille plus ; sans encourir le risque d’une double indemnisation.

Deuxièmement, la censure est attendue. En effet, dans son arrêt, la cour d’appel de Bastia indique également que les pertes concernant la retraite seront examinées au titre de l’incidence professionnelle. Pourtant, la demande au titre de l’incidence professionnelle est rejetée (obs. Lucile Priou-Alibert, « Qui dit PGPF, dit incidence sur les droits à la retraite », Gaz. Pal., 2023, no 19, p. 62). De toute évidence, la question des droits à la retraite devra être examinée par les juges, dans la mesure où la victime obtient une réparation au titre des pertes de gains professionnels futurs (Cass. 2e Civ., 20 octobre 2016, no 15-15.811).

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Citer cet article

Référence électronique

Émeline Augier-Francia, « Indemnisation de l’exclusion du monde du travail par l’incidence professionnelle : la deuxième chambre civile de la Cour de cassation persiste et signe ! », Actualité juridique du dommage corporel [En ligne], 25 | 2023, mis en ligne le 20 juillet 2023, consulté le 03 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/ajdc/index.php?id=1748

Auteur

Émeline Augier-Francia

Maître de conférences de droit privé, université Clermont Auvergne, Centre Michel de L’Hospital, F-63000 Clermont-Ferrand, France

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