Confirmation de l’exclusion de la prise en compte de l’état antérieur provoqué ou révélé par le fait dommageable dans l’indemnisation de la victime

Cass. 2e Civ., 9 février 2023, no 21-12.657

DOI : 10.35562/ajdc.1747

Abstract

La Cour de cassation confirme sa position, de jurisprudence constante, selon laquelle le droit de la victime à l’indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d’une prédisposition pathologique, c’est-à-dire un état antérieur, lorsque l’affectation qui en est résulté n’a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable.

Décision attaquée : CA Aix-en-Provence, 7 janvier 2021, no 16/09457.

En l’espèce, une personne victime d’un accident de la circulation impliquant un véhicule terrestre à moteur a saisi un tribunal de grande instance aux fins d’obtenir l’indemnisation de ses préjudices. Celle-ci exerçait en tant que sage-femme et ne pouvait plus se tenir debout à la suite des séquelles de l’accident. Elle subissait donc un préjudice professionnel. Pour autant, la cour d’appel avait condamné la conductrice et l’assureur du véhicule in solidum à payer à la victime seulement une partie du montant de préjudice corporel (13 976,28 € au lieu de 30 435,72 €) au motif que la victime souffrait, d’après plusieurs expertises, avant l’accident d’un état arthrosique dégénératif du rachis cervical qui générait un préjudice professionnel. En conséquence, son préjudice ne serait pas dû à l’accident mais à son état de santé antérieur. Pour autant, la cour d’appel relevait que cet état latent ne s’était pas manifesté avant l’accident ; qu’il n’était pas symptomatique. C’est uniquement à l’occasion de l’accident qu’avait été révélé le fait dommageable. Mécontente la victime s’était donc pourvue en cassation.

La Cour de cassation est venue casser et annuler l’arrêt d’appel en reprenant une solution de jurisprudence constante. Elle considère en effet que « le droit à la victime à obtenir l’indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d’une prédisposition pathologique lorsque l’affection qui en est résulté n’a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable ». Cette solution a été affirmée à de nombreuses reprises en jurisprudence (voir en ce sens Cass. 2e Civ., 14 avril 2016, no 14-27.980 ; Cass. 2e Civ., 27 mars 2014, no 12-22.339 ; Cass. 2e Civ., 8 juillet 2010, no 09-67.592 ; Cass. 2e Civ., 10 novembre 2009, no 08-16.920 ; Cass. Crim., 16 juin 2009, no 08-88.283). Ainsi, en considérant que la victime était atteinte avant l’accident d’un état arthrosique dégénératif évoluant lentement et pour son propre compte, mais qui n’était pour autant pas symptomatique au moment de l’accident, la cour d’appel a méconnu ce principe, et l’arrêt devait donc être nécessairement censuré. En l’espèce, la victime doit être indemnisée intégralement, et aucun état antérieur ne peut lui être opposé puisque celui-ci n’était pas connu, ou révélé, avant l’accident.

Ainsi, en matière de dommage corporel seul le nouvel état de la victime est indemnisé. Il faut distinguer entre état antérieur patent et état antérieur latent. Si l’état antérieur est connu et évalué avant l’accident – dit état antérieur patent – seul le nouveau préjudice subi du fait de l’aggravation de l’état de santé sera réparable (voir en ce sens Cass. 2e Civ., 12 juin 1969). Cette solution est logique puisque le responsable du dommage n’est responsable que des conséquences du dommage, et non de ce qui était déjà déclaré avant. Retenir une solution contraire reviendrait à octroyer une double indemnisation, et contreviendrait au principe de réparation intégrale, puisque la victime en tirerait alors un enrichissement. De la même manière, l’état antérieur sera retenu si, même sans le fait dommageable, des conséquences néfastes auraient fini par se manifester (voir en ce sens Cass. 2e Civ., 6 février 2014, no 13-11.074 ; Cass. 2e Civ., 24 janvier 2002, no 00-10.650). C’est seulement en l’absence de certitude de l’évolution de cet état qu’il sera écarté. La réduction sera en principe calculée selon une formule doctrinale appelée la formule « de Gabrielli » qui consiste à effectuer un calcul entre la capacité initiale et la capacité restante (voir notamment sur ce calcul le dossier « L’état antérieur », Gaz. Pal., 2023, no 06, p. 65). En revanche, si aucun état n’avait été évalué ou connu antérieurement à l’accident – dit état antérieur latent – le tout sera indemnisable par l’auteur de l’accident. Ce sera également le cas lorsqu’un état antérieur latent est dénaturé, c’est-à-dire transformé radicalement dans sa nature, et entraîne alors une nouvelle incapacité pour la victime (voir en ce sens : Cass. 1re Civ., 28 octobre 1997, no 95-17.274 au sujet d’une personne aveugle de l’œil droit qui devient également aveugle de l’œil gauche à la suite d’une erreur médicale). Dès lors que la prédisposition est révélée par l’accident, l’auteur sera tenu à une indemnisation intégrale du préjudice de la victime. Cette solution est justifiée par le principe de réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime (voir en ce sens Cass. 1re Civ., 22 novembre 2017, no 16-23.804). Il n’est donc pas surprenant que la Cour de cassation ait une fois de plus adopté une décision qui tende vers l’exclusion de la prise en compte de l’état antérieur latent dans l’indemnisation de la victime d’un dommage corporel.

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Émilie Vincent, « Confirmation de l’exclusion de la prise en compte de l’état antérieur provoqué ou révélé par le fait dommageable dans l’indemnisation de la victime », Actualité juridique du dommage corporel [Online], 25 | 2023, Online since 20 juillet 2023, connection on 18 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/ajdc/index.php?id=1747

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Émilie Vincent

Étudiante en Master 2 Droit civil général, université Clermont Auvergne, F-63000 Clermont-Ferrand, France

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