Décisions attaquées : Chambre de l’instruction, CA Paris, 14 avril 2021, chambre de l’instruction, CA Paris, 22 septembre 2021.
Le 17 août 2017, en région catalogne, et plus particulièrement à Barcelone, une fourgonnette a fait irruption sur une rue constituant une artère de la ville en fonçant dans la foule. Cet acte a fait quatorze morts, et plus d’une centaine de blessés, dont des victimes françaises. Le conducteur a pris la fuite avant d’être tué quelques jours plus tard par les policiers. La Cour de cassation a donc eu à connaître des demandes d’indemnisation des victimes françaises. Ces deux affaires ont été l’occasion, pour la haute juridiction, de venir préciser la possibilité de constitution de partie civile devant le juge d’instruction, qu’elle avait récemment définie en matière d’attentats.
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Dans la première espèce (no 21-82.778), l’une des victimes, sa fille et son fils s’étaient constitués partie civile en exposant que, présents lors de cet attentat, ils avaient subi un préjudice. La mère et sa fille, impressionnées par la foule de personnes, s’étaient mises à courir et la mère s’était alors blessée en tombant. Les enfants indiquaient souffrir de troubles psychologiques. Dans la seconde espèce (no 21-85.828), une personne s’était constituée partie civile en faisant état d’un préjudice psychologique.
Le juge d’instruction déclara ces deux constitutions de partie civile irrecevables. La chambre de l’instruction, en charge de la première affaire, releva qu’au vu de la localisation des demandeurs et de leurs mouvements par rapport à la trajectoire de la camionnette, ils ne s’étaient pas retrouvés « directement et immédiatement exposés au risque de mort ou de blessure recherché par le terroriste ». Le juge d’instruction en charge de la seconde affaire retint également que la victime n’avait pas été directement exposée, et que son traumatisme relevait dès lors des témoins des conséquences de l’infraction, mais non de celui d’une victime directe, au sens de l’article 2 du Code de procédure pénale. Les victimes des deux affaires se pourvurent en cassation pour contester cette irrecevabilité.
Rappelons que la Cour de cassation a récemment jugé qu’une constitution de partie civile est recevable devant le juge d’instruction dès lors que les circonstances sur lesquelles elle s’appuie lui permettent d’admettre : l’existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale (Cass. Crim., 15 février 2022, no 21-80.264 ; Cass. Crim., 15 février 2022, no 21-80.265 ; Cass. Crim., 15 février 2022, no 21-80.670 ; note Vincent É., « Extension de la possibilité de constitution de partie civile devant le juge d’instruction », Actualité juridique du dommage corporel, 2022, no 24). La Cour de cassation a adopté cette conception élargie de partie civile pour tenir compte des spécificités des attentats terroristes. Les demandeurs de la première espèce tentèrent donc d’invoquer cette solution au soutien de leur pourvoi. Selon eux le mouvement de panique responsable de la chute de la demanderesse était lié au passage du véhicule. Dans la seconde espèce, la demanderesse invoqua le fait que de ne pas se trouver sur la trajectoire de la camionnette ne suffisait pas à exclure toute intention d’homicide à son encontre dans la mesure où un acte terroriste vise à tuer le plus de personnes possibles présentes sur les lieux.
La Cour de cassation rejette les deux pourvois en considérant, pour la première affaire, que le fils ne se trouvait pas à proximité du lieu de commission des faits et que la mère et sa fille n’avaient pas non plus vu la scène et la camionnette. Elles n’avaient alors pas été des victimes directes de l’infraction. Elles ont, en effet, été uniquement victimes d’un mouvement de foule dont elles ignoraient l’origine. En conséquence, aucun d’entre eux ne s’était trouvé directement exposé au risque de mort, ou de blessure, recherché par le terroriste. La constitution de partie civile doit alors être rejetée. Pour la seconde affaire, la Cour de cassation retient que la camionnette était passée derrière la demanderesse sans qu’elle se trouve sur sa trajectoire. Il en ressort qu’elle n’a pas été en situation de prendre conscience des faits qui étaient en train de se dérouler, elle n’a été que victime d’un mouvement de foule. Sa constitution de partie civile liée à un acte terroriste doit alors être rejetée.
La Cour de cassation souligne, pour autant, une mauvaise interprétation des juges du fond. Elle considère, en effet, que « c’est à tort que, pour estimer que le préjudice allégué n’était pas en relation directe avec les infractions commises, les juges ont relevé que les intéressés ne s’étaient pas trouvés sur la trajectoire de la camionnette ». Il est donc possible d’être victime en n’étant pas sur la trajectoire des faits, mais il faut alors avoir conscience de ce qui est en train de se passer. Puisqu’ici les victimes n’en avaient pas conscience, les pourvois sont rejetés sans encourir la censure. Autrement dit, il ne suffit pas d’être témoin pour pouvoir se constituer partie civile en matière d’attentats. Se faisant, ces décisions s’inscrivent bien dans la continuité de la jurisprudence du 15 février 2022, et viennent clarifier les contours de la notion de partie civile en matière d’attentat.