Le délit d’homicide routier : postulats

L’affaire Palmade : quand le mieux devient l’ennemi du bien

DOI : 10.35562/ajdc.1865

Index

Mots-clés

fœtus, homicide involontaire, homicide routier, intention

Plan

Notes de la rédaction

Il convient d’indiquer aux lecteurs que les réflexions proposées par l’auteur ont été rédigées antérieurement à la proposition de modification effectuée par l’Assemblée nationale le 23 janvier 2024 et avant l’adoption en première lecture du délit d’homicide routier par le Sénat le 27 mars 2024.

Le 11 février 2023, le journal national Le Monde titrait l’affaire qui allait défrayer la chronique et remuer l’opinion publique pendant plusieurs mois : « Accident de Pierre Palmade : l’humoriste positif à la cocaïne, une enquête ouverte pour “homicide et blessures involontaires” ». En effet, en ce jour tragique, un véhicule familial était percuté par l’humoriste et acteur. À son bord, trois blessés graves : un homme, son jeune fils et une femme enceinte de sept mois qui devait perdre son enfant à naître dans l’accident. Quelque temps plus tard, venait s’ajouter indépendamment à ce drame le décès de trois policiers tués dans un accident de la circulation, puis d’une fillette de six ans fauchée par un véhicule. Il n’en fallait pas plus pour que le gouvernement mette en branle l’arsenal législatif pour répondre à l’émotion suscitée. Toutefois, comme le disait si bien Robert Badinter, « il ne faut pas confondre justice et thérapie » (propos recueillis par Alain Salles, Le Monde, 8 septembre 2007).

I. Justice restaurative et promotion de la place de la victime dans le procès pénal

Si la justice pénale apparaît si solennelle et empreinte de théâtralité, c’est parce qu’hommes et femmes qui y contribuent se drapent autant d’une robe que du rôle qui leur incombe. Les avocats sont la voix des parties. Le ministère public symbolise la société bafouée par l’infraction commise. Les magistrats du siège règlent le conflit. Et chacun est incontournable pour permettre la réalisation de l’œuvre judiciaire que constitue le procès pénal.

Si, pendant longtemps, la parole était librement laissée aux prévenus, il n’en était pas de même concernant la victime, qui, bien souvent, était laissée dans un coin lorsqu’aucune robe noire n’était mandatée pour la faire entendre. Puis, le 15 août 2014, la loi nº 2014-896 (complétée par la suite par le décret nº 2021-1516 du 23 novembre 2021) relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, devait entrer en vigueur et instaurer au sein de l’article 10-1 du Code de procédure pénale le principe d’une justice dite « restaurative » ou « réparatrice » devant redonner à la victime une place dans le procès pénal.

Mais, pour mieux comprendre cette évolution, revenons un peu en arrière. En 1977, Albert Eglash conceptualisait pour la première fois l’existence de trois modèles de justice (« Beyond Restitution : Creative Restitution » [1975], in Joe Hudson et Burt Galaway (dir.), Restitution in Criminal Justice, Lexington (Ma.), Lexington Books, 1991) : la justice punitive centrée sur la punition, la justice distributive centrée sur le traitement de la délinquance et la justice réparatrice centrée sur la réparation de l’infraction. La justice pénale a d’abord été punitive puis, lentement, elle a glissé vers une conception distributive avant d’adopter, en 2014, une fonction plus réparatrice à l’égard de la victime et non seulement de la société. À ses balbutiements, la justice restaurative était surtout étudiée au travers d’une réparation matérielle du dommage causé à la victime. Il faudra patienter avant que la dimension psychologique de la réparation de l’infraction que nous connaissons aujourd’hui soit prise en compte. Avant que l’incidence personnelle, professionnelle, mais surtout émotionnelle, du fait dommageable soit étudiée sous le prisme du ressenti de la victime. Ainsi, au titre de sa circulaire du 15 mars 2017, le garde des Sceaux définissait la justice restaurative comme « une pratique complémentaire au traitement pénal de l’infraction, qui vise à restaurer le lien social endommagé. Elle s’appuie sur le dialogue entre personnes se reconnaissant victimes et auteurs d’infractions […] » (circulaire SG-17-007/13.03.2017 de mise en œuvre de la justice restaurative). Cette nouvelle approche met donc l’accent sur la gestion concrète des conséquences matérielles mais aussi émotionnelles de l’infraction. La répression pénale ne peut donc se faire sans prise en compte de la victime. Là où, initialement, la réparation de l’atteinte à la collectivité primait, la victime retrouve son droit à faire connaître, et reconnaître, ses propres dommages, fussent-ils autres que matériels. Et ce 11 février 2023, la place des victimes est devenue plus que centrale, tout un chacun pouvant imaginer la douleur ressentie par les passagers du véhicule et leurs proches.

C’est dans ce contexte d’émotion populaire que le parquet saisi devait, au titre de la prévention, retenir une qualification juridique bien étrange et peu en adéquation avec le droit constant. Pourtant, si l’impact de l’infraction sur la victime constitue un élément essentiel à prendre en compte pour assurer une bonne justice pénale, il n’en demeure pas moins qu’une telle démarche ne doit pas conduire à tirer de chaque fait divers grave ou dramatique la conclusion qu’il faudrait modifier le droit existant. En effet, la justice pénale n’a pas pour mission de permettre à la victime d’effectuer une thérapie. Si elle peut avoir une vertu explicative, voire apaisante, la loi pénale a, avant tout, une fonction répressive et dissuasive. C’est ainsi que certains systèmes judiciaires anglo-saxons n’admettent pas la victime comme partie au procès pénal, ne reconnaissant un droit à indemnisation que devant les juridictions civiles. En France, une victime peut obtenir réparation de ses préjudices aussi bien devant le juge civil que devant le juge répressif saisi de l’infraction commise. Aussi, même si la compassion est de mise, elle ne doit pas remettre en cause la justice pénale et ses principes fondamentaux comme la présomption d’innocence, le respect des droits de la défense, le principe de proportionnalité, le secret de l’instruction ou encore, celui de l’interprétation stricte de la loi pénale. Or, force est de constater qu’alors qu’un arsenal législatif était déjà codifié pour permettre la répression des faits commis par l’acteur et humoriste, la médiatisation et l’émotion publique ont su mettre à mal quelques concepts pourtant basiques et constants du droit.

II. La qualification juridique de l’homicide

L’affaire commençait déjà difficilement pour l’ensemble des juristes de l’assistance puisque le ministère public devait retenir une qualification pénale d’homicide involontaire concernant l’enfant à naître. Toutefois, une telle qualification pénale causait une difficulté juridique au moins aussi importante que la brutalité du propos pour un profane du droit : l’enfant qui n’est pas né viable n’est pas juridiquement considéré comme une personne. En effet, la personnalité juridique n’est accordée qu’aux enfants nés vivants et viables. L’enfant à naître est protégé au travers de sa mère à laquelle il est « incorporé ». Aussi, seule l’atteinte à l’intégrité physique de la femme enceinte peut donner lieu à une incrimination et être susceptible de poursuites. Difficile pour une femme qui a porté la vie pendant sept mois de conceptualiser une telle idée qui lui paraît bien loin de sa réalité. Pourtant, c’est cette position constante du droit qui protège aujourd’hui l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) ou à l’interruption médicalisée de grossesse (IMG), le fœtus n’étant pas considéré comme un sujet de droit. En effet, une telle évolution de la conception du fœtus en droit pénal ne pourrait qu’entraîner la poursuite pour homicide volontaire de la femme qui choisirait de mettre fin à une grossesse, désirée ou non. Une telle situation connaît toutefois une exception en matière civile avec l’adage Infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur (« L’enfant conçu sera considéré comme né chaque fois qu’il pourra en tirer avantage »). Cependant, la matière pénale étant d’interprétation stricte comme le prévoit l’article 111-4 du Code pénal, une telle exception ne peut être appliquée en matière pénale et c’est ce que ne manquera pas de rappeler la Cour de cassation à plusieurs reprises.

C’est ainsi que la jurisprudence a tranché depuis longtemps le débat sur le statut juridique de l’embryon puisque le 30 juin 1999, la chambre criminelle de la Cour de cassation rendait un arrêt qui devait devenir la pierre angulaire d’une jurisprudence constante (Cass. crim., 30 juin 1999, nº 97-82.351). Dans le cas d’espèce, un gynécologue était poursuivi pour homicide involontaire après avoir effectué un geste de retrait d’un stérilet sur une patiente enceinte entraînant la rupture de la poche des eaux et donc l’interruption de la grossesse. L’erreur de geste provenait d’une confusion entre deux patientes homonymes. Or, si l’une était bien venue pour le retrait dudit stérilet, l’autre était venue pour un simple contrôle de la bonne évolution de sa grossesse. Le demandeur au pourvoi soutenait que la cour d’appel de Lyon n’avait pas légalement justifié sa décision en déclarant le praticien coupable d’homicide involontaire sur le fœtus dès lors que « le fait de provoquer involontairement une interruption de grossesse ne constitue pas le délit d’homicide involontaire sur le fœtus, lorsque celui-ci n’était pas viable au moment de cette interruption ». Or, la cour d’appel avait retenu la culpabilité du prévenu considérant que certains fœtus du même âge que celui concerné avaient exceptionnellement pu naître viables, sans pour autant constater que dans le cas d’espèce, le fœtus avait pu présenter des certitudes de viabilité. Rappelant le principe d’interprétation stricte de la loi pénale au titre de son visa, la Cour de cassation cassait l’arrêt rendu en expliquant que les faits reprochés au prévenu n’entraient pas dans les prévisions de l’ancien article 319 du Code pénal (devenu 221-6) relatif à l’homicide involontaire. Ainsi, la parole était portée : le fœtus qui ne présente aucun signe de viabilité quelconque ne constitue pas un sujet de droit et donc une personne pouvant faire l’objet d’un homicide au sens de l’article 221-6 du Code pénal.

Cette position devait se conforter avec un arrêt du 29 juin 2001 (Cass. AP., 29 juin 2001, nº 99-85.973), aux faits similaires à ceux qui nous concernent. En l’espèce, un conducteur sous l’emprise de l’alcool devait heurter le véhicule d’une femme enceinte de six mois entraînant la perte de son fœtus. La cour d’appel de Metz avait condamné le prévenu pour les faits de blessures involontaires sur la mère, mais prononcé la relaxe du chef d’atteinte involontaire à la vie de l’enfant à naître. Le ministère public et la partie civile, ayant formé tous deux pourvois en cassation, considéraient que l’enfant était viable in utero et défendaient que l’article 221-6 du Code pénal ne prévoyait pas l’exclusion explicite de l’enfant à naître de la qualification d’homicide involontaire sur autrui. Ils soutenaient alors que la cour d’appel, en retenant que l’enfant ne pouvait être considéré comme né viable, car son cœur n’avait pas battu et qu’il n’avait pas respiré, avait rajouté une condition non prévue par les textes. Pourtant, l’analyse devait être écartée par l’assemblée plénière, formation la plus solennelle de la Cour de cassation, qui rédigeait alors à cette occasion, un attendu de principe :

« Mais attendu que le principe de la légalité des délits et des peines, qui impose une interprétation stricte de la loi pénale, s’oppose à ce que l’incrimination prévue par l’article 221-6 du Code pénal, réprimant l’homicide involontaire d’autrui, soit étendue au cas de l’enfant à naître dont le régime juridique relève de textes particuliers sur l’embryon ou le fœtus ».

En conséquence, au nom de l’article 111-4 du Code pénal, le régime juridique de l’embryon ou du fœtus ne relève pas de celui de la personne et donc de la qualification « d’autrui » au sens pénal, et ne peut donc faire l’objet d’une incrimination au titre d’un homicide involontaire.

Subsistait alors une interrogation : comment qualifier ce critère de viabilité ? C’est donc par un dernier arrêt en date du 2 décembre 2003 (Cass. crim., 2 décembre 2003, nº 03-82.344) que la chambre criminelle devait commencer à apporter une réponse :

« Attendu que, pour déclarer Noëlle X coupable d’homicide involontaire sur la personne de Yoan Y, l’arrêt attaqué retient qu’elle a, par un défaut de maîtrise de son véhicule, causé la mort de l’enfant qui a vécu une heure après sa naissance et qui est décédé des suites des lésions vitales irréversibles subies au moment du choc ».

En l’espèce, l’enfant avait subi des lésions in utero entraînant son décès une heure après sa naissance. Toutefois, le fait que l’enfant ait vécu même une simple heure suffisait à caractériser l’existence d’un être vivant et viable, lui offrant ainsi, même pour une brève durée, le statut de personne juridique.

En l’état de cette lignée prétorienne, la seule qualification d’homicide involontaire ne peut se justifier que si des éléments laissent penser que l’enfant n’est pas décédé in utero au moment du choc. Les juges du fond doivent donc observer l’existence de battements de cœur, d’une respiration ou d’un moindre mouvement laissant penser que l’enfant présente un signe de vie, et ce même pour un bref instant. Dans le cas qui nous intéresse, à l’heure de la rédaction de ces lignes, la presse s’est fait écho de la réalisation d’une expertise judiciaire menée par un collège d’experts qui a finalement conclu que « À aucun moment entre l’heure de la naissance et celle du décès déclaré, il n’y a eu de respiration spontanée, ni de mouvement actif du corps » (« Affaire Pierre Palmade : le bébé de la passagère est mort avant sa naissance, selon une expertise », France info, 21 septembre 2023). Force est de constater que malgré la tristesse qu’une telle situation peut engendrer, la réalité juridique se droit de reprendre le pas : eu égard à ces éléments et en l’état des connaissances, Pierre Palmade ne peut être poursuivi pour homicide. Seule la qualification de blessures peut être retenue sur la personne de la mère. Toutefois, l’étrangeté de la situation juridique ne devait pas s’arrêter ici et le piétinement de nombre de principes juridiques n’était qu’à son commencement…

III. La qualification juridique du caractère « involontaire »

L’homicide se définit comme le fait de donner la mort à un être humain. S’il est intentionnel, l’acte est qualifié de meurtre. S’il est intentionnel et assorti d’une préméditation, l’acte sera qualifié d’assassinat. Et enfin, s’il n’est pas intentionnel, c’est-à-dire issu d’une maladresse, d’une inattention, d’une négligence, d’une imprudence, ou d’un manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, l’acte est qualifié d’homicide involontaire. Le droit distingue donc l’homicide dit « volontaire » de l’homicide dit « involontaire ». L’article 221-1 du Code pénal énonce : « le fait de donner volontairement la mort à autrui constitue un meurtre. Il est puni de trente ans de réclusion criminelle. » L’article 221-6 du Code pénal dispose quant à lui que « le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. » Si la violation d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement est manifestement délibérée, alors la peine est portée à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.

La caractérisation du caractère volontaire ou non de l’atteinte repose donc sur le critère d’intentionnalité. L’intention se définit la volonté de l’auteur des faits de les commettre, en connaissance de cause de leur caractère infractionnel et donc répréhensible. Concrètement, cette recherche se traduit par des questionnements internes : est-ce que tuer la personne était le but recherché par l’auteur ? L’objectif poursuivi ? La motivation profonde de la réalisation de l’acte ou du comportement ? En cas de réponse positive, l’intention est présente et permet de retenir la qualification d’une infraction volontaire telle que l’homicide ou les blessures volontaires. En cas de réponse négative, l’intention ne peut être qualifiée et la nature involontaire de l’infraction doit être retenue.

Est-ce que Pierre Palmade avait l’intention de causer un accident lorsqu’il a pris le volant ?

Avait-il l’intention de donner la mort, si l’on retient la qualification du parquet, ou de causer des blessures graves ? Est-il monté dans son véhicule avec le souhait de blesser ou de tuer une personne ? Assurément, il y a peu de chance. En l’espèce, aucun élément ne peut laisser penser que l’acteur soit monté dans son véhicule avec la ferme intention, voire le souhait manifeste d’entraîner un tel drame. S’il n’est pas contesté que la consommation de stupéfiants ne pouvait qu’accroitre le risque d’entraîner un accident, un risque ne constitue pas l’objectif visé ou le but recherché pour qualifier l’homicide. Le seul acte volontaire a été de prendre le volant sous stupéfiants, or l’adoption d’un comportement dangereux, voire interdit par la loi, n’engendre pas pour autant un souhait d’ôter la vie. Force est de constater que malgré l’âpreté du terme à l’oreille du profane, le caractère involontaire des infractions est démontré. L’intention nécessaire à la qualification des atteintes à la personne dites volontaires ne peut être retenue et une qualification de blessures et/ou d’homicide involontaire s’impose.

Pourtant, poussé par le besoin de prouver qu’il agit et réagit, le gouvernement annonce le 17 juillet 2023 son intention de créer un délit d’homicide routier au mépris de tous les principes juridiques les plus ancrés en matière pénale.

IV. La création du délit d’homicide routier, entre effet d’annonce et effet Kiss cool

Le 15 juin 2023, une première proposition de loi visant à instaurer un délit et un crime d’homicide routier avait été déposée à l’Assemblée nationale. Dans l’exposé des motifs, les soutiens du projet expliquaient la nécessité de créer une infraction autonome que serait le délit d’homicide routier. En effet, ils précisaient bien que l’article 221-6-1 du Code pénal prévoyait déjà une condamnation pour homicide volontaire commis par le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur, mais que cette qualification d’homicide « involontaire » était une terminologie insupportable pour les familles des victimes « quand bien même la mort n’était pas le but recherché ». Le projet soulignait également que malgré les peines importantes portées par les textes législatifs en vigueur, l’application dans les tribunaux n’est pas à la hauteur du drame vécu par les victimes. Ainsi, neuf circonstances aggravantes étaient prévues pouvant donner lieu à une qualification d’homicide routier intentionnel : défaut de permis de conduire, utilisation d’un téléphone, grand excès de vitesse égal ou supérieur à 50 km/h, consommation de médicaments catégorisés classe 3 par arrêté du ministre des Affaires sociales (le fameux pictogramme triangulaire), délit de fuite, non-assistance à personne en danger, prise de stupéfiants, consommation d’alcool ou violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement autre que celles mentionnées précédemment. Le projet de loi prévoyait l’instauration d’une peine minimale de prison ferme en cas de constat de plusieurs circonstances aggravantes ou en cas de récidive et la suppression du dispositif d’aménagement des peines pour l’auteur des délits sauf décision spécialement motivée du magistrat. Et cela sans oublier que le projet prévoyait, lorsqu’au moins deux circonstances aggravantes peuvent être relevées, l’obligation pour la juridiction saisie de prononcer la peine assortie d’un mandat de dépôt permettant ainsi la conduite du prévenu directement en prison à l’issue du procès. Enfin, et non des moindres, le projet portait la criminalisation de l’homicide routier dans le cas d’une conduite en état d’ivresse ou de stupéfiants. Cela voulait dire qu’en lieu et place d’encourir une peine d’emprisonnement de dix ans et la compétence du tribunal correctionnel, le prévenu devenait un accusé avec une audience devant une cour d’assises. Ainsi disparaît la précision que l’homicide est involontaire (ce qui était bien l’objectif recherché). Mais alors, qu’advenait-il de l’intention qui devait permettre d’opérer la distinction avec l’homicide volontaire plus communément appelé « meurtre » qui relève d’une qualification criminelle et non délictuelle ? Elle disparaissait, elle aussi. Par la rédaction choisie, peu importait la qualification de l’intention et donc la volonté d’aboutir au résultat. Le simple fait que l’homicide s’inscrive dans un contexte d’accident de la circulation suffira à qualifier un meurtre, peu important le but recherché. En conséquence, la simple conscience d’un potentiel risque d’homicide au moment de prendre le volant suffisait à retenir la qualification d’une intention. En somme, la seule connaissance d’un risque par le conducteur de la possibilité de tuer une personne devenait une volonté de sa part que le décès arrive. L’homicide routier tel que défini par ce premier projet de loi considérait que celui qui prenait le volant après avoir consommé de l’alcool plus que de raison, avait l’intention manifeste de tuer sur sa route et souhaitait la mort d’autrui. Le projet prévu mélangeait donc sans vergogne peine délictuelle et peine criminelle, ne cachant donc pas son intention de ne plus faire de distinction sur la volonté du conducteur lorsqu’il adopte sciemment un comportement dangereux. La doctrine devait vivement s’emparer des incohérences et de la dangerosité de la rédaction choisie qui mettaient à mal un nombre non négligeable de principes de droit pénal et, par voie de conséquence, la sécurité juridique du justiciable. Fort heureusement, à l’heure de la rédaction de ces lignes, ce projet ne semble avoir connu aucune suite concrète et une nouvelle proposition de loi a été déposée le 17 octobre 2023.

Mais avant d’étudier la nouvelle rédaction proposée, revenons à l’existant. Car oui, l’arsenal légal nécessaire pour juger Pierre Palmade est déjà présent et opérationnel, et ce, depuis 2016. En effet, l’article 221-6-1 du Code pénal réprime l’homicide involontaire commis par le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur par une peine d’emprisonnement de cinq ans et 75 000 euros d’amende lorsque l’infraction est commise en raison d’une maladresse, d’une imprudence, d’une inattention, d’une négligence ou d’un manquement à une obligation législative ou réglementaire de prudence ou de sécurité prévu par l’article 221-6 du même code.

La peine est portée à sept ans de réclusion et 100 000 euros d’amende si l’une des circonstances suivantes s’ajoute à l’homicide : présence d’une consommation d’alcool au-dessus du seuil légal, d’une consommation de stupéfiants, si le conducteur n’est pas titulaire du permis, s’il a commis un très grand excès de vitesse (supérieur ou égal à 50 km/h), s’il a commis un délit de fuite ou s’il a refusé de se soumettre au test de mesure d’alcoolémie ou de détection de stupéfiants. Si plusieurs circonstances se cumulent, la peine atteint dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende. En l’état, les dispositions actuelles prévoient donc déjà une forme de délit d’homicide routier mais dont le caractère est nécessairement involontaire. Un terme « d’involontaire » car il revient au ministère public, puis aux juges du fond, d’étudier l’existence d’une volonté de donner intentionnellement la mort, pas de juger par le prisme de cette notion la gravité de l’infraction ou le degré de souffrance des victimes.

Si le deuxième projet du 17 octobre 2023 « créant l’homicide routier et visant à lutter contre la violence routière » ne cache toujours pas son intention de surfer sur l’émotion et sur le fait que le terme « involontaire » n’apparaît pas admissible pour les victimes, il apparaît juridiquement moins fouillis et il s’est assagi dans sa rédaction. C’est ainsi qu’il est proposé cette fois, non pas la création d’une seule disposition, mais d’un chapitre entier intitulé « Des homicides et blessures routiers » et qui comprendrait trois nouvelles infractions. Le nouvel article 221-19 du Code pénal encadrerait le régime de « l’homicide routier ». Les nouveaux articles 221-20 et 221-21 auraient pour tâche d’organiser, respectivement, le sort des « blessures routières » entraînant soit une interruption temporaire de travail (ITT) supérieure à trois mois soit égale ou inférieure à trois mois. Le projet précise que l’ensemble de ces infractions peut être caractérisé par le ministère public dès qu’une seule circonstance aggravante, telle que listée aux futurs articles 221-19, 221-20 et 221-21 du Code pénal, peut être relevée. En-dehors de la présence d’une de ces circonstances aggravantes, le projet renvoie à la qualification commune et générale d’homicide involontaire ou d’atteintes involontaires à l’intégrité de la personne dont les infractions relèvent des chapitres 1er et 2e du titre II du livre II du Code pénal. Toutefois, la première difficulté est relevée dès la lecture des lignes de présentation du projet : « Les peines principales encourues par les auteurs d’homicide routiers ou de blessures routières restent les mêmes qu’avant le changement de qualification. » Le projet annonce donc en grande pompe la création de trois infractions dont les sanctions pénales sont strictement identiques à celles déjà organisées par les articles 221-6-1, 222-19-1 et 222-20-1 du Code pénal, actuellement en vigueur. Un simple changement de sémantique qui doit donner l’impression d’un durcissement du régime. Durcissement que le projet rejette finalement sur les épaules des magistrats puisque l’introduction du projet poursuit en ajoutant :

« Cependant, le nouveau régime d’infraction créé, qui se différencie désormais des homicides et des blessures involontaires relevant du seul champ accidentel, ne devrait pas laisser les magistrats indifférents dans leur appréciation de la faute pénale commise, ce qui pourrait entraîner un durcissement du prononcé des peines. »

Une telle décharge de responsabilité est intellectuellement malhonnête. Le juge n’a pas à trancher avec son émotion, mais par rapport à une qualification pénale encadrée par un texte et des conditions de fait. Rappelons que l’homme doit disparaître derrière la robe et que la justice se doit d’être aveugle pour être impartiale. Doit-on déduire de cette lecture qu’une peine qui serait estimée insuffisamment conséquente selon l’opinion populaire voudrait dire que le magistrat est indifférent aux souffrances des victimes ? En outre, l’illusion est d’autant plus notable que la rédaction du futur article 221-19 du Code pénal indique : « Le fait, pour le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur, de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121-3, la mort d’autrui, sans intention de la donner, constitue un homicide routier puni de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende, […] ». Le terme « involontaire » est bien gommé, mais la définition reste la même : l’absence d’intention de donner la mort. Il n’est pas certain que cela satisfasse plus les familles qui généralement ne parviennent pas à concevoir une absence d’intention de nuire dans le faire de circuler en adoptant un comportement volontairement dangereux pour autrui (consommation de stupéfiants, consommation massive d’alcool, vitesse excessive etc…). Or, rappel sera une nouvelle fois fait que l’intention dans le cadre d’un homicide involontaire par véhicule terrestre à moteur (VTM) ne s’apprécie pas dans le comportement adopté par le conducteur, mais dans son souhait d’atteindre le résultat de l’infraction, en l’espèce, le décès. Le même faux-semblant de rédaction est à relever dans les futurs articles 221-20 et 221-21 qui évoquent l’absence « d’intention de nuire ». De nouveau, le terme « involontaire » disparaît au profit d’une notion généralement usitée en matière de droit du travail à la faute lourde et dont le choix rédactionnel n’apparaît pas particulièrement opportun (« L’intention de nuire est l’intention délibérée de causer un dommage à autrui. Elle se caractérise par la commission d’une faute lourde, qui se situe à l’échelon le plus élevé dans la hiérarchie des fautes. », Lexique droit du travail, Éditions Tissot). Dans le même sens, l’analyse de la liste des circonstances aggravantes laisse perplexe. Le projet considère comme circonstance aggravante la tenue en main du téléphone portable ou l’usage d’écouteurs ainsi que la non-assistance à personne en danger. Qu’en est-il de l’usage qui passe des appels téléphoniques en visioconférence tout en conduisant normalement sanctionné par l’article R. 412-6-2 du Code de la route ? Ou encore celui qui rédige des messages, le téléphone déposé dans un support ? La définition « téléphone tenu en main » n’est-elle pas trop restrictive ?

La lecture des dispositions envisagées interpelle également sur un autre point, la troisième circonstance aggravante prévue qui opère une distinction entre stupéfiants et substances psychoactives :

« 3° Le conducteur : a) A refusé de se soumettre aux vérifications prévues par le code de la route destinées à établir s’il conduisait en ayant fait usage de stupéfiants, ou il résulte d’une analyse sanguine ou salivaire que le conducteur avait fait usage de substances ou de plantes classées comme stupéfiants ; b) A volontairement consommé des substances psychoactives de façon illicite, détournée ou manifestement excessive en ayant connaissance du fait que cette consommation est susceptible de le conduire à mettre délibérément autrui en danger, lorsque cette consommation a entraîné un trouble psychique ou neuropsychique temporaire sous l’empire duquel il a commis l’infraction mentionnée au premier alinéa ».

La Haute Autorité de santé (HAS) précise que « les substances psychoactives regroupent à la fois les drogues licites (tabac, alcool, opiacés, produits de substitution, médicaments psychotropes tels qu’hypnotiques, benzodiazépine, antidépresseurs, …) et non licites (cannabis, cocaïne, ecstasy, MDMA ou amphétamine, …) » (HAS, « Usage des substances psychoactives : prévention en milieu professionnel », 7 juin 2022). Les stupéfiants font eux, l’objet d’une classification par arrêté du 22 février 1990 (version consolidée au 23 mai 2021) du ministre de la Santé. Cette précision n’est pas sans conséquence puisqu’au titre des substances psychoactives il est répertorié, notamment, le tabac, l’alcool, les benzodiazépines et les antidépresseurs. Rappelons qu’en 2015, la France était le deuxième plus gros consommateur de benzodiazépines (anxiolytiques) parmi neuf pays européens étudiés, derrière l’Espagne (ANSM, « État des lieux de la consommation des benzodiazépines en France », avril 2017). Si ce dernier projet est beaucoup moins extrémiste que le précédent sur la question de la conduite sous médication, il est possible de s’interroger sur ce que constitue une consommation « illicite, détournée ou manifestement excessive ». Cela sous-entendrait l’obligation d’une prescription ? Que se passerait-il en cas d’automédication du patient avec le surplus d’une précédente et/ou ancienne prescription ?

Enfin, ce projet interpelle sur les nouvelles peines complémentaires (article 221-22 du projet) qui ont vocation à durcir la sanction pénale. Les peines complémentaires sont actuellement prévues aux articles 221-8 et 222-44 du Code pénal et il est envisagé d’ajouter une possibilité pour le juge de prononcer l’immobilisation ou la confiscation d’un véhicule dont le prévenu ne serait pas propriétaire dès lors que son propriétaire lui en a laissé l’usage en ayant connaissance de son état d’ébriété, de sa consommation illégale de stupéfiants ou de substances psychoactives, ou encore en ayant connaissance de son absence de possession du permis de conduire. Il est manifeste que ce choix s’inscrit dans la logique visible depuis quelques années de responsabilisation du propriétaire du véhicule qui opère un prêt de ce dernier à un tiers. C’est ainsi que, dans la même logique, le propriétaire d’un véhicule qui parvient à démontrer qu’il ne conduisait pas son véhicule lors d’un excès de vitesse mais ne dénonce pas le réel conducteur se verra tout de même tenu au règlement de l’amende. Dans le même sens, est ajoutée, dans le cas d’un homicide routier, la possibilité de saisir l’ensemble des véhicules appartenant au prévenu, cela même s’ils n’ont pas servi à commettre l’infraction. Enfin, l’article est complété par des peines complémentaires qui doivent obligatoirement être prononcées par la juridiction. Par exemple, il est ainsi précisé qu’en cas d’homicide routier ou de blessures routières avec ITT supérieure à trois mois en situation de récidive que la peine maximale d’annulation du permis avec interdiction de le repasser de dix ans peut devenir définitive par décision spécialement motivée de la juridiction. Cependant, de manière surprenante et alors que ces peines complémentaires obligatoires ont clairement vocation à durcir la sanction pénale et à mettre en avant la spécificité du caractère routier des infractions, il est précisé au dernier alinéa de l’article 221-22 II : « Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer ces peines, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. » Ce qui apparaît assez contradictoire avec les propos introductifs du projet qui comptent clairement sur la sensibilité du juge pour prononcer des peines plus sévères en matière d’atteinte à l’intégrité physique dans le cadre routier.

Ainsi, force est de constater que ces deux projets nous rappellent une nouvelle fois que modifier une législation ancrée et déjà appliquée au nom de la simple sémantique est un exercice illusoire et périlleux. Il est manifeste que ces textes constituent principalement un effet d’annonce dont l’effectivité risque de créer une frustration chez les victimes. Il est loisible d’y trouver un faux durcissement des peines par le biais de peines complémentaires automatiques. Durcissement dont l’application apparaît complexe et qui, finalement, ne leurre même pas ses propres rédacteurs qui laissent volontiers au juge un pouvoir d’action et d’appréciation large sur le caractère obligatoire de ces peines. En tout état de cause, accroître la sévérité des peines n’améliorera ni la qualité ni la célérité d’une justice qui tente déjà par tout moyen de survivre et qui se passerait, sans aucun doute volontiers, des effets d’annonce. Si la justice restaurative doit être soutenue et promue, il convient de rappeler que la justice n’a pas pour but de répondre à une vengeance qui se traduirait par une dénaturation de la matière et un durcissement des peines n’ayant finalement pour objectif que d’apporter un réconfort aux victimes au détriment de principes procéduraux ancrés. D’autant qu’il serait sans doute de bon ton de se rappeler, avec modestie, que la victime d’aujourd’hui peut être le conducteur de demain. Aussi, gardons-nous d’oublier que « Errare humanum est… », et que de telles évolutions législatives prises dans l’émotion et la recherche d’un risque zéro ne font que compléter l’adage : « perseverare diabolicum »

Citer cet article

Référence électronique

Lauriane Bertin, « Le délit d’homicide routier : postulats », Actualité juridique du dommage corporel [En ligne], 26 | 2024, mis en ligne le 31 mai 2024, consulté le 03 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/ajdc/index.php?id=1865

Auteur

Lauriane Bertin

Avocate au barreau de Clermont-Ferrand

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