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Recevabilité de l’offre de reprise d’un candidat précédemment évincé

Adrien Bézert


1Après avoir sollicité l’ouverture de mandats ad hoc, s’étant finalement révélés infructueux, plusieurs sociétés d’un même groupe se retrouvent placées en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Lyon. Une offre visant à la reprise en plan de cession de l’une de ces sociétés et des actifs résiduels des autres est présentée au nom d’une société à constituer. Par trois jugements distincts du 14 mai 2019, passés en force de chose jugée, la juridiction commerciale lyonnaise rejette l’offre qui lui a été présentée, ordonne la poursuite de la période d’observation pendant laquelle les sociétés sont autorisées à poursuivre leur activité jusqu’au 7 novembre 2019.

2Le 12 juin 2019, les administrateurs judiciaires désignés dans cette procédure saisissent à nouveau la même juridiction, par voie de requête, d’une nouvelle offre de reprise au nom de la même société à constituer. Par trois jugements distincts du 18 juillet 2019, le tribunal de commerce de Lyon affirme que les trois jugements précédemment rendus sont revêtus de l’autorité de la chose jugée, ce qui rend l’offre présentée irrecevable. Il prononce par la même occasion la conversion des procédures de redressement judiciaire en procédures de liquidation judiciaire. Ces décisions ont ainsi mis fin de manière anticipée à la période d’observation, que la juridiction lyonnaise avait pourtant prolongée deux mois auparavant.

3Chacune des trois sociétés interjette alors appel devant la cour d’appel de Lyon, faisant assigner à jour fixe les organes de la procédure collective et le ministère public ainsi que les sociétés porteuses des offres afin de contester l’irrecevabilité de leurs demandes. Elles font en effet valoir qu’il ne peut pas leur être reproché un quelconque défaut d’intérêt à agir et que les jugements ayant rejeté l’offre de cession initiale ne sont pas revêtus de l’autorité de la chose jugée. La juridiction lyonnaise aurait donc commis un excès de pouvoir en refusant, d’une part, de juger et/ou d’exercer les prérogatives juridictionnelles que la loi lui confère, et en créant, d’autre part, une condition de recevabilité d’une offre de redressement par cession non-prévue par la loi, en exigeant qu’aucune offre antérieure n’ait été soumise par le même candidat.

4La cour d’appel de Lyon se trouvait dès lors confrontée à une question inédite : le candidat ayant présenté une offre de reprise d’une entreprise en redressement judiciaire peut-il présenter une nouvelle offre, améliorée, s’il a déjà présenté une offre ayant été rejetée par le tribunal compétent ?

5Le 13 septembre 2019, la cour d’appel de Lyon répond par l’affirmative dans une décision qui apporte de nombreux enseignements, dont trois qui méritent une attention particulière.

6L’arrêt se prononce en premier lieu sur l’exigence de démonstration de l’intérêt à agir du débiteur faisant appel du jugement rejetant un plan de cession. La juridiction d’appel lyonnaise affirme en effet que « la teneur du droit propre des sociétés débitrices, comme elles le revendiquent à bon droit, induit leur intérêt particulier à agir, intérêt actuel et certain, pour contester un jugement refusant un plan de cession et les liquidant, tant au regard de l’article L. 661-6 III (appel d’un jugement rejetant un plan de cession) […] ». Elle en conclut que l’intérêt à agir du candidat évincé, légitime, répond ainsi aux conditions des articles 31 et 546 du Code de procédure civile. Cette solution se justifiait à la lecture d’un arrêt précédemment rendu par la Cour de cassation, qui laissait penser que l’intérêt à agir du débiteur faisant appel du jugement arrêtant le plan de cession n’avait pas à être caractérisé (Cass. com. 12 juillet 2017, n° 16-12.544, Rev. proc. coll., 2018, n° 11, obs. P. Cagnoli ; JCP E, 2017, 1688, n° 6 obs. P. Pétel ; Act. proc. coll., 2017, comm. 239, obs. N. Fricero ; BJE, 2017, p. 435, obs. C. Vincent ; LEDEN, sept. 2017, p. 4, obs. O. Staes ; Rev. sociétés, 2017, p. 583, obs. L.-C. Henry ; RJ com., 2017. 503, note P. Roussel Galle). Tirant les conséquences du débat doctrinal auquel sa décision donna naissance et de la résistance de la juridiction de renvoi (CA Lyon, 1re ch. Civile A, 17 juin 2018, n° 17/06827), la chambre commerciale de la Cour de cassation rendit, le 23 octobre 2019, un arrêt à la motivation enrichie dans lequel elle procéda à une « réévaluation » de la solution qu’elle avait précédemment retenue, dans la même affaire (Cass. com., 23 octobre 2019, n° 18-21.125, Gaz. pal., 19 novembre 2019, n° 363z4, p. 15, note S. Fahri ; LEDEN, novembre 2019, n° 112w8, obs. P. Rubellin ; Dr. sociétés, n° 1, janv. 2020, comm. J.-P. Legros ; Rev. sociétés, 2019, p. 786, note P. Roussel-Galle). Dans cette décision, la haute juridiction affirme expressément qu'il résulte de la combinaison des articles L. 661-6 III du Code de commerce, 31 et 546 du Code de procédure civile que si le débiteur a qualité à interjeter appel du jugement arrêtant le plan de cession, il doit en outre justifier d'un intérêt personnel à exercer cette voie de recours. Elle précise qu'il n'est dérogé à cette règle, comme à toute autre interdisant ou différant un recours, qu'en cas d'excès de pouvoir. Cette solution, assez largement approuvée par la doctrine, condamne ainsi la solution retenue par la cour d’appel de Lyon.

7En deuxième lieu, l’arrêt soumis à commentaire se prononce sur la question de l’autorité de la chose jugée. L’article 1355 du Code civil définit l’autorité de la chose jugée par le truchement à la triple identité d’objet, de cause et de parties au litige, alors que l’article 480 du Code de procédure civile attache l’autorité de la chose jugée à tout jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche. Dans l’affaire étudiée, le ministère public, suivi en cela par les mandataires judiciaires, fait valoir que la seconde offre présentée était irrecevable au motif que les jugements rendus le 14 mai 2019 étaient revêtus de l’autorité de la chose jugée, prétention contestée par les administrateurs judiciaires et par les appelantes. Dans son arrêt, la cour d’appel de Lyon affirme de manière quelque peu péremptoire, que les deux textes précités « ne s’appliquent pas aux jugements appliquant le Livre VI du Code de commerce ». Le débat sur l’autorité de chose jugée attachée aux décisions rendues en matière de procédures collectives est épineux (pour une vision globale de cette problématique, v. not. T. Goujon-Béthan, « L’autorité de chose jugée en droit des entreprises en difficulté », in P.-M. Le Corre (dir.), Les grands concepts du droit des entreprises en difficulté, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2018, p. 95) et se concentre principalement sur les décisions rendues en matière d’admission des créances (v. not. : J. Théron, « Réflexions sur la nature et l'autorité des décisions rendues en matière d'admission de créances au sein d'une procédure collective », RTD Com. 2010, p. 635 ; P.-M. Le Corre, « Déclaration, vérification, admission des créances et procédure collective », LPA, 28 nov. 2008, n° PA200823910, p. 72). Il est toutefois indéniable que plusieurs jugements appliquant les décisions du livre VI du Code de commerce sont revêtus de l’autorité de la chose jugée, comme celui ouvrant la procédure (Cass. com., 6 juillet 1983, n° 82-11.133 – sauf en ce qui concerne la cessation des paiements) ou ceux prononçant des sanctions, qui tranchent véritablement des litiges, conformément aux articles 4 et 12 du Code de procédure civile. L’affirmation de la cour d’appel de Lyon pêche donc par sa généralité...

8La juridiction lyonnaise livre, en troisième lieu, un enseignement majeur relatif au principe de l’intangibilité des offres qui constitue le principal intérêt de son arrêt. Elle raisonne ici en deux temps. D’une part, elle commence par constater qu’aucun texte n’impose qu’un même candidat repreneur ne puisse déposer qu’une unique offre insusceptible d’amélioration. Elle se réfère d’autre part au principe d’intangibilité des offres au visa de deux articles. Le premier, l’article L. 642-2 V du Code de commerce, dispose que l'offre ne peut être ni modifiée (sauf dans un sens plus favorable aux objectifs mentionnés au premier alinéa de l'article L. 642-1), ni retirée et lie son auteur jusqu'à la décision du tribunal arrêtant le plan. Le second, l’article R. 642-1 alinéa 3 du même code, fixe une limite temporelle en précisant qu’à peine d'irrecevabilité, aucune modification ne peut être apportée à une offre moins de deux jours ouvrés avant la date fixée pour l'audience d'examen des offres par le tribunal. La justification du principe d’intangibilité des offres apparaît ainsi clairement : « assurer la transparence et la loyauté dans la compétition entre les candidats à la reprise de l’entreprise, les termes des offres devant être connus de tous les pollicitants avant l’audience » (F.-X. Lucas, Manuel de droit de la faillite, PUF, coll. Droit fondamental, 2éd., 2018, p. 363, n° 352). Ce principe n’a donc plus vocation à s’appliquer une fois que le tribunal a statué sur le plan mettant ainsi fin à la concurrence des offres (article L. 642-5 du Code de commerce). Ainsi, dès lors que la période d’observation a été prolongée par les trois premiers jugements, un nouveau délai de dépôt des offres, indépendant du premier, commence à courir. Il est donc logique que le principe d’intangibilité des offres qui irriguait la première procédure de soumission des offres ne parasite pas la seconde. Le candidat évincé pouvait ainsi valablement présenter une nouvelle offre, améliorée.

Arrêts commentés :
CA Lyon, 13 septembre 2019, n° 19/05463, n° 19/05466, n° 19/05468



Citer ce document


Adrien Bézert, «Recevabilité de l’offre de reprise d’un candidat précédemment évincé», BACALy [En ligne], n°14, Publié le : 01/01/2020,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2407.

Auteur


À propos de l'auteur Adrien Bézert

Maître de conférences, équipe de recherche Louis Josserand, université Jean Moulin Lyon 3


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