Crédit-bail immobilier et sous-location : appréciation in concreto de l’application du statut des baux commerciaux

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Mots-clés

crédit-bail immobilier, sous-location, statut des baux commerciaux, compétence juridictionnelle, clause attributive de compétence, principe du contradictoire

Rubriques

Droit des affaires

Texte

1. Dans cette affaire, la question soumise à la cour d’appel de Lyon était celle du régime juridique de la relation contractuelle entre un crédit-preneur et son sous-locataire - ou sous-occupant.

L’enjeu de la question était celle de l’applicabilité éventuelle du statut des baux commerciaux, et, par anticipation en matière contentieuse, celle de la compétence juridictionnelle découlant nécessairement de ce statut.

2. Les faits sont relativement simples : un crédit-bail immobilier a été contracté par une société A. auprès d’un organisme financier, pour un ensemble immobilier à usage de locaux industriels, stockage et production.

La société A. a immédiatement loué l’ensemble immobilier à une société B., sous-locataire ou sous-occupant, à effet au 1er avril 2013, la date de prise d’effet n’étant pas contestée dans le litige.

Puis, la société B. a donné congé par voie d’huissier, faisant ainsi application du formalisme exigé par l’article L.145-9 du Code de commerce en matière de baux commerciaux, pour une rupture du bail 6 ans après sa prise d’effet, au 31 mars 2019.

La société A. a assigné la société B., d’une part, en référé devant le tribunal de grande instance de Chartres, pour le paiement de loyers (4trimestre 2018 et 1er trimestre 2019), et, d’autre part, devant le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse, en application d’une clause attributive de juridiction, en paiement des loyers jusqu’au terme du contrat qu’elle estimait être au 31 mars 2025.

Devant le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse, la société B. a soulevé une exception d’incompétence, qui a été rejetée par jugement du 6 septembre 2019, dont elle a interjeté appel en recourant à la procédure d’appel par voie d’assignation à jour fixe.

3. Avant d’aborder le fond, l’arrêt est déjà riche par ses nombreuses références à la notion procédurale du contradictoire, notamment en ce qu’il opère un contrôle matériel scrupuleux du respect du principe du contradictoire entre les parties, conformément à l’article 16 du Code de procédure civile.

La cour d’appel a, par ailleurs, usé de la faculté qui lui est offerte par l’article 11 du Code de procédure civile pour solliciter la production des trois contrats originaux invoqués par les parties. Conformément à cet article, la cour d’appel a tiré conséquence de la communication seulement partielle des documents demandés.

En outre, alors que la cour d’appel avait autorisé, toujours conformément au principe du contradictoire, une note en délibéré pour que la société A. puisse formuler des observations sur les derniers ajouts dans les conclusions de la société B., elle a jugé irrecevables les notes et pièces en délibéré des parties, l’objet de ces dernières étant plus large que ce que la cour avait sollicité.

Enfin, l’examen de la nullité du jugement ne présente que peu d’intérêt, dans la mesure où la cour d’appel a, à juste titre, souligné la liberté d’organisation d’une procédure orale, sous réserve du respect de ce même principe du contradictoire.

Le principe du contradictoire est donc si essentiel à la procédure civile qu’il revêt de multiples facettes procédurales, examinées et contrôlées sans cesse par les juges du fond qui se doivent d’en être les garants.

4. Sur le fond, une confusion semble être née du fait de l’existence de trois contrats, invoqués par les parties en fonction des stipulations qui leur étaient, à chacune, favorables.

Il est fréquent que, dans le cadre d’un débat sur la seule compétence, les parties essaient d’élargir le champ d’appréciation du juge, afin d’obtenir une première décision qui pourrait leur être favorable pour la suite du litige.

Cette affaire n’a pas échappé à la règle, puisque les parties ont manifestement eu un débat juridique particulièrement dense sur la qualification de ces trois contrats (avenants ou autonomes), que la cour d’appel a balayé en rappelant la limite de sa compétence à la seule question de la compétence.

5. Sur l’application, ou non, du statut des baux commerciaux, et la compétence en découlant, la cour d’appel a d’abord clairement rappelé que le statut d’un bail commercial ne dépend ni des stipulations contractuelles, ni de l’existence du bail commercial principal lorsqu’il s’agit d’une sous-location, comme c’était le cas pour la société B.

La cour d’appel s’est référée aux conditions strictes et claires posées par l’article L.145-1 du Code de commerce pour l’application du statut des baux commerciaux : l’existence d’un bail, d’un local, d’un fonds de commerce, et d’une immatriculation au registre du commerce et des sociétés (RCS).

Ces conditions essentielles rappelées, la cour d’appel a procédé à une analyse in concreto des éléments du litige qui lui étaient soumis. Elle a rejeté l’argument tiré de l’importance économique alléguée de ce bâtiment pour la société B., et a jugé que la société B. n’exploitait pas un fonds de commerce dans le local – qu’elle a considéré comme accessoire et uniquement destiné au stockage.

Écartant ainsi le statut des baux commerciaux, la cour d’appel est logiquement allée au bout du raisonnement en appliquant la clause attributive de juridiction stipulée entre les parties, en vérifiant les conditions de validité.

Cet arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon a donc refusé l’application du statut des baux commerciaux au sous-occupant du crédit-preneur. Mais l’analyse in concreto ne permet pas d’en tirer une règle absolue, compte tenu des éléments particuliers du litige, notamment au regard du fait que le local n’était pas le principal lieu d’exploitation du sous-occupant.

6. Il est toutefois dommage que la décision ne s’interroge pas sur les conséquences procédurales qui pouvaient, peut-être, être déduites de l’existence de deux procédures distinctes devant deux juridictions géographiquement différentes (Chartres et Bourg-en-Bresse), mais introduites par la même partie, la société A., et visant le même but, à savoir obtenir le paiement de sommes (différentes) au titre du même contrat de sous-occupation conclu avec la société B.

L’attitude procédurale de A., consistant à saisir de cette façon deux juridictions différentes, aurait pu poser la question du principe d’interdiction de contradiction au détriment d’autrui (théorie de l’estoppel), lequel permet de soulever une fin de non-recevoir, moyen procédural plus efficace qu’une exception d’incompétence.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 3Chambre A, 6 février 2020, n° 19/06713

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Citer cet article

Référence électronique

Elodie Tournier, « Crédit-bail immobilier et sous-location : appréciation in concreto de l’application du statut des baux commerciaux », Bulletin des arrêts de la Cour d'appel de Lyon [En ligne], 15 | 2020, mis en ligne le 01 octobre 2020, consulté le 18 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2464

Auteur

Elodie Tournier

Avocat au Barreau de Lyon

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