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Rupture « antérieurement consommée » de relation commerciale établie et absence de nécessité de préavis écrit

Fanny Quintana


1Un concessionnaire de camping-cars qui cesse de passer commande auprès d’un fournisseur ne peut invoquer la rupture brutale des relations commerciales établies du fait de la notification par ledit fournisseur de la fin des relations, sans préavis écrit.

2Le présent arrêt de la cour d’appel de Lyon concerne donc un litige entre un concessionnaire multi-marques de caravanes et camping-cars français (ci-après le « Concessionnaire ») et un fournisseur de caravanes et camping-cars italien (ci-après le « Fournisseur »). La relation entre ces parties a duré de 2001 jusqu’au 28 février 2008, date de la dernière commande passée par le Concessionnaire.

3En juillet 2009 et septembre 2009, le Fournisseur a adressé deux écrits au Concessionnaire dans lesquels il l’informe avoir changé de partenaire commercial pour la revente de ses produits, au motif que le Concessionnaire lui-même s’en est désintéressé du fait de l’absence de commandes depuis février 2008.

4Le 2 octobre 2009, le Concessionnaire a assigné le Fournisseur devant le tribunal de commerce de Lyon afin d’obtenir une indemnisation du préjudice subi, chiffré à hauteur de 310 000 euros sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales établies et donc l’article L.442-6 I 5e du Code de commerce, en vigueur à la date du litige. Situation étonnante, le Fournisseur a sollicité, à titre reconventionnel, l’indemnisation de son propre préjudice financier sur le fondement de l’article L.442-6 I 5e du Code de commerce.

5Le tribunal de commerce de Lyon, dans un jugement du 11 octobre 2011 assorti de l’exécution provisoire, a débouté le Fournisseur de l’ensemble de ses demandes et l’a condamné à verser au Concessionnaire la somme de 210 000 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

6Le présent arrêt comprend une particularité procédurale en matière d’appel qu’il convient d’expliciter en quelques mots.

7L’on se rappelle que l’appel d’une décision rendue en matière de pratiques restrictives de concurrence doit, depuis l’article D.442-3 du Code de commerce entré en vigueur le 1er décembre 2009, être entendu par la cour d’appel de Paris.

8Dans le cadre du présent litige, le Fournisseur a interjeté appel de la décision devant la cour d’appel de Lyon et non la cour d’appel de Paris.

9Le conseiller de la mise en état de la cour d’appel de Lyon a considéré l’appel irrecevable. L’ordonnance a été confirmée en appel car la déclaration d’appel était postérieure au 1er décembre 2009.

10La Cour de cassation a tranché cette question dans un arrêt du 12 avril 2016, elle a cassé et annulé en toutes ses dispositions l’arrêt rendu sur déféré en considérant qu’une procédure introduite par une assignation délivrée antérieurement au 1er décembre 2009 n’est pas soumise aux dispositions de l’article D.442-3 du Code de commerce.

11Il revenait donc à la cour d’appel de Lyon et non la cour d’appel de Paris de trancher le litige.

12Sur le fond du litige, l’une des particularités de ce dossier est que chaque partie invoquait un préjudice résultant de la rupture brutale de la relation commerciale établie.

13La jurisprudence – par exemple, Cass. com., 6 septembre 2016, n° 14-25.891 – considère que la brutalité de la rupture résulte de l’absence de préavis écrit ou de l’insuffisance de la durée de ce préavis au regard des relations commerciales antérieures.

14Concernant l’indemnisation au titre de cet article, la jurisprudence – par exemple, Cass. com., 10 février 2015, n° 13-26.414 – considère que « seuls sont indemnisables les préjudices découlant de la brutalité de la rupture et non la rupture elle-même ».

15En ce qui concerne les demandes indemnitaires du Fournisseur, la cour d’appel de Lyon les rejette car elles reviennent à solliciter une indemnisation du préjudice résultant de la rupture elle-même. Or, seul le caractère brutal de la rupture aurait pu éventuellement être indemnisé – confer jurisprudence citée supra.

16S’agissant des demandes indemnitaires du Concessionnaire, celles-ci portent sur le préjudice résultant de la brutalité de la rupture, elles ont donc vocation à être analysées par la cour.

17La cour d’appel de Lyon effectue une analyse très factuelle de l’affaire pour aboutir à une toute autre décision que celle rendue par le tribunal de commerce de Lyon.

18Dans ce litige, le Concessionnaire a cessé toute commande pendant une période de dix-sept mois, entre mars 2008 et juillet 2009, et ce, sans raison valable – les arguments financiers avancés n’ont pas abouti devant la cour. Le Fournisseur a adressé deux courriers en juillet et septembre 2009 venant constater l’absence de commandes pendant cette période ainsi que le recours à un autre concessionnaire. La cour d’appel de Lyon précise que le Concessionnaire est multi-marques et réalise plus de quinze millions d’euros de chiffre d’affaires dont uniquement 5 % avec le Fournisseur.

19Au regard de ces éléments de faits, la cour d’appel de Lyon infirme le jugement de première instance en considérant qu’aucune des parties au litige n’est victime d’une rupture brutale des relations commerciales établies.

20L’absence de nécessité de préavis écrit de la part du Fournisseur en juillet 2009 se justifie car la rupture était « antérieurement consommée » par le Concessionnaire du fait de l’absence de commande substantielle depuis dix-sept mois. La cour d’appel considère que « c’est en réalité [le Concessionnaire] qui a cessé de fait ses relations commerciales avec le [Fournisseur], ce, à partir de mars 2008, partiellement, en réduisant ses commandes et leur volume de façon très substantielle ».

21Les juges du fond considèrent que la rupture partielle de la relation entre les parties résulte de l’absence de commandes par le Concessionnaire de mars 2008 à juillet 2009. De ce fait, la notification de la fin du partenariat par le Fournisseur en juillet 2009 ne constitue pas un manquement aux dispositions de l’article L.442-6 I 5e du Code de commerce car il n’a pas valeur de préavis écrit.

22L’auteur d’une rupture partielle d’une relation commerciale établie ne peut reprocher à l’autre partie constatant a posteriori la fin de la relation d’être elle-même auteur de la rupture brutale et revendiquer des dommages et intérêts à ce titre.

23En outre, l’absence de dépendance économique du Concessionnaire vis-à-vis du Fournisseur aurait empêché, même en cas de rupture brutale des relations commerciales établies, d’octroyer des indemnités très importantes au Concessionnaire.

24Les juges du fond ont donc, à notre sens, adopté une analyse plus fine des faits que les juges de première instance : le véritable auteur de la rupture brutale de la relation commerciale établie entre les parties est en réalité le Concessionnaire.

25Comme la rupture partielle des commandes à l’initiative du Concessionnaire n’a été précédée d’aucun préavis écrit, celle-ci pourrait être considérée comme brutale. L’on est tenté d’imaginer que si le Fournisseur avait effectué une demande indemnitaire fondée sur la brutalité de la rupture, la cour d’appel de Lyon aurait peut-être condamné le Concessionnaire au versement de dommages et intérêts, plus ou moins importants en fonction de la dépendance économique du Fournisseur vis-à-vis du Concessionnaire.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 3Chambre A, 20 février 2020, n° 16/06410



Citer ce document


Fanny Quintana, «Rupture « antérieurement consommée » de relation commerciale établie et absence de nécessité de préavis écrit», BACALy [En ligne], n°15, Publié le : 01/10/2020,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2460.

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À propos de l'auteur Fanny Quintana

Avocat au Barreau de Lyon


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