BACALy

L’appréciation du caractère léonin d’une promesse d’achat garantissant à son bénéficiaire la récupération du montant de ses apports

Léo Bouchet


1La promesse d’achat contenue dans un pacte d’actionnaires garantissant à son bénéficiaire le rachat de ses titres à un prix au moins égal au montant de ses apports est-elle par nature léonine ?

2Dans un arrêt du 27 février 2020, la cour d’appel de Lyon a tranché cette question.
Suite à une augmentation de capital, X est devenue actionnaire de la société Z aux côtés de Y. Les sociétés X et Y ont conclu un pacte afin de définir les principes de gouvernance, les modalités d’investissement et les conditions de leur éventuelle sortie au capital.

3Le pacte prévoyait que Y se gardait la possibilité d’acquérir les titres de X au cours de périodes déterminées dans le cadre d’une promesse de vente ainsi qu’en tout temps en cas de sortie conjointe. Le pacte prévoyait également une promesse d’achat, selon laquelle Y rachèterait à X l’ensemble de ses titres à l’issue d’une période de sûreté et pendant une durée limitée sur demande de celle-ci. Toutefois, la valeur de rachat des titres de X ne pouvait être inférieure au prix de revient de la participation acquise par X, éventuellement majoré de 10 % à 15 %.

4La société X a invoqué la promesse d’achat afin d’obtenir le paiement de ses titres par Y, puis après une mise en demeure restée infructueuse, l’a assignée en exécution du pacte.

5Le tribunal de commerce de Lyon a fait droit à sa demande en condamnant Y à lui verser les sommes prévues dans le pacte. La société Y a alors interjeté appel, soutenant que la clause de rachat est « léonine », et par conséquent nulle, en ce qu’elle exonère la société X de tout risque de perte. La société X lui oppose que la stipulation n’est pas léonine en ce que son objet est de prévoir un prix librement fixé par les parties dans un délai limité dans le temps.

6Fidèle à la jurisprudence libérale de la Cour de cassation (Cass. com., 19 oct. 1999, n° 97-12705), la cour d’appel de Lyon réaffirme que ces clauses ne sont pas léonines par nature en ce qu’elles stipulent un prix minimum de rachat des actions. Approuvant les moyens du défendeur, la cour s’intéresse à l’objectif de la clause qui n’est pas de prévoir une répartition de la totalité des profits et pertes de la société Z mais de sécuriser la stabilité du contrôle capitalistique. Les possibilités pour chaque actionnaire de mobiliser les engagements de l’autre étant cantonnées dans le temps et réciproques, la cour en a déduit que la commune intention des parties n’était pas de garantir la société X de tout risque.

7Cette motivation, suggérée par plusieurs arrêts de la Cour de cassation (Cass. com., 3 mars 2009 – n° 08-12.359 ; Cass. Com., 23 mars 2010 n° 09-65.039), selon laquelle une clause n’est pas léonine dès lors que son objet est d’assurer l’équilibre des engagements entre les parties, nous paraît critiquable à deux égards.

8D’une part, en s’attachant à l’objet de la clause plutôt qu’à ses effets, la cour s’éloigne de la lettre de l’article 1844-1 du Code civil qui n’opère aucune distinction entre les effets ou objets de la stipulation. Or, là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer.

9D’autre part, déduire le caractère léonin de la commune intention des parties est vecteur d’insécurité juridique. En reprenant cette analyse, les juges du fond pourraient être amenés à valider des clauses dont l’objet n’est pas de prévoir la répartition de la totalité des profits ou des pertes, mais qui produisent pourtant cet effet (F.-X. Lucas, « Caractère léonin d’une promesse d’achat d’actions », Droit des sociétés n° 2, Février 2001, comm.31).

10Sans vouloir remettre en cause la validité de ces promesses de rachat nécessaires à la vie des affaires, une autre motivation plus conforme à la lettre de l’article 1844-1 est envisageable.

11La cour pourrait ainsi considérer que la clause est « sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes dans les rapports sociaux » (Cass. Com., 16 novembre 2004 n° 00-22.713) en ce qu’elle n’exonère pas son bénéficiaire de tout aléa. En effet, l’article 1844-1 répute léonines les stipulations qui exonèrent un associé de « la totalité » des pertes.

12Or, ces clauses de rachat d’actions ne garantissent pas au bénéficiaire une exonération « totale » du risque de perte de ses titres. En dépit de ces stipulations, la disparition des actions peut toujours intervenir à tout moment de la vie sociale, soit par une annulation des titres, une réduction de capital à zéro motivée par les pertes ou même du fait de la liquidation de la société (F. Guy Trébulle, « Promesse d’achat de titres à un prix garanti », Droit des sociétés n° 6, Juin 2005, comm.107).

Arrêt commenté :
CA Lyon, 3e Chambre A, 27 février 2020, n° 18/00304



Citer ce document


Léo Bouchet, «L’appréciation du caractère léonin d’une promesse d’achat garantissant à son bénéficiaire la récupération du montant de ses apports», BACALy [En ligne], n°15, Publié le : 01/10/2020,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2509.

Auteur


À propos de l'auteur Léo Bouchet

Étudiant en M2 droit des affaires et fiscalité/DJCE, université Jean Moulin Lyon 3


BACALy