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Bénéficiaires effectifs et obligation de transparence : faveur donnée à l’indication du pourcentage de détention

Nathan Michel


1Depuis le 1er avril 2018, toutes les sociétés immatriculées au registre du commerce et des sociétés (RCS) doivent avoir déclaré au greffe du tribunal de commerce leur(s) bénéficiaire(s) effectif(s). Le contenu de cette déclaration est détaillé à l’article R 561-56 du Code monétaire et financier : il y a notamment l’obligation de déclarer au greffe « les modalités du contrôle exercé sur la société » par le bénéficiaire (C. mon. fin. art. R 561-56, 2°-b ancien). Force est de constater que cette rédaction est sujette à interprétation quant au degré de précision à apporter : une interprétation restrictive supposerait d’indiquer, sans autre précision, le critère de l’article R 561-1 du Code monétaire et financier en application duquel une personne est considérée comme bénéficiaire effectif ; tandis qu’une interprétation large imposerait de préciser les modalités du contrôle ainsi que le pourcentage exact de détention. Dans le silence des textes, les greffes ont fait le choix d’adopter l’une ou l’autre de ces interprétations. La présente décision de la cour d’appel de Lyon en date du 12 septembre 2019 est la première décision d’appel à se prononcer en faveur de l’interprétation large.

2Pour rappel, une personne physique est considérée comme bénéficiaire effectif notamment si elle détient plus de 25 % du capital ou des droits de vote de la société (C. mon. fin. art. R 561-1, al. 1). En l’espèce, en application de ce critère, une société a procédé à la déclaration des bénéficiaires effectifs : le document, rédigé sur papier libre, n’a qu’indiqué « détention indirecte de plus de 25 % du capital » pour ce qui est des modalités du contrôle. Le greffe du tribunal de commerce de Saint-Étienne a rejeté cette déclaration, ce que la société déclarante a contesté devant le juge commis à la surveillance du RCS. Ce dernier a toutefois rejeté sa demande. La société déclarante a interjeté appel devant la cour d’appel de Lyon : statuant en matière gracieuse, la cour a confirmé les ordonnances du juge commis et a donc rejeté la demande de l’appelante d’être dispensée d’indiquer le pourcentage effectif précis de détention de capital et/ou des droits de vote. En effet, la cour considère que cette précision « est indispensable à l’explication concrète des modalités du contrôle ou de l’avantage retiré par le bénéficiaire effectif et, de manière incidente, à l’effectivité du contrôle et de la vérification par les autorités compétentes des informations portées sur les déclarations ; que ne saurait en effet être confondue la situation d’un associé ne détenant qu’une minorité de blocage avec la situation d’un associé majoritaire au regard du contrôle d’une société ». La cour a toutefois validé l’usage d’un papier libre, relevant l’absence de support de déclaration obligatoire et a fortiori le caractère facultatif du formulaire proposé sur le site Infogreffe.

3À ce titre, la cour d’appel de Lyon a suivi une position qui avait déjà été retenue en 2018 (T. com. Bobigny, ord. 18 mai 2018, n° 2018S07031). Le raisonnement des juges n’en est pas moins discutable. Sous couvert des objectifs de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, la cour ajoute au texte une condition qui n’y figure pas, en violation de la règle de l’interprétation stricte de la loi pénale (une déclaration incomplète étant pénalement sanctionnée à l’art. L 561-49). En effet, comme l’a souligné le TGI de Marseille dans un jugement du 25 juin 2019, dans le silence des textes, l’exigence de déclarer le pourcentage exact est « certes conformes à l’esprit de la loi », mais va « au-delà de ce que la loi a strictement prévu ». Cette analyse a été implicitement reconnue par le décret n° 2020-118 du 12 février 2020 venu ajouter « la nature et les modalités du contrôle […], ainsi que l’étendue de ce contrôle » (C. mon. fin. art. R 561-56, 2°-b modifié). L’étendue du contrôle est distincte des modalités du contrôle, contrairement à ce qu’a affirmé la cour lorsqu’elle vise « l’explication concrète du contrôle ». Quoi qu’il en soit, et en dépit de la rédaction – encore une fois – imprécise du nouvel article, il semble que cet ajout ait entériné la solution de la cour d’appel de Lyon. S’agissant des conséquences pratiques de cet arrêt, la notice d’aide à la déclaration des bénéficiaires effectifs publiée sur le site Infogreffe précise qu’en cas de modification du pourcentage de détention, il y a lieu de déposer une nouvelle déclaration avec le pourcentage mis à jour (C. mon. fin. art. R 651-55, al. 1) « si les modalités du contrôle exercé sur la société […] sont modifiées de manière substantielle » : par exemple, « passage d’un statut de minoritaire à majoritaire ou inversement/acquisition ou perte de la minorité de blocage… ». Au-delà de la divulgation au public du pourcentage précis, il ne devrait donc pas y avoir de frais de déclaration excessifs, contrairement à ce qu’a soutenu l’appelante. Du moins, pour le moment.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 3e chambre A, 12 septembre 2019, n° 19/02040



Citer ce document


Nathan Michel, «Bénéficiaires effectifs et obligation de transparence : faveur donnée à l’indication du pourcentage de détention», BACALy [En ligne], n°15, Publié le : 01/10/2020,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2518.

Auteur


À propos de l'auteur Nathan Michel

Étudiant, M2 droit des affaires et fiscalité/DJCE, université Jean Moulin Lyon 3


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