L’article 882 du Code civil prévoit que les créanciers d’un copartageant disposent, pour la préservation de leurs droits, d’un droit exclusif d’opposition au partage, qui est en réalité une intervention à celui-ci. Une fois le partage consommé, les créanciers ne peuvent plus l’attaquer, sauf empêchement à leur droit d’opposition. L’exclusivité de l’article 882 écarte par principe l’action paulienne si le partage est devenu définitif.
Mais selon une position stable de la Cour de cassation (Civ, 1re, 29 mai 1979), cette disposition ne s’applique pas à un partage fictif de communauté résultant d’un changement de régime matrimonial, qui sert en réalité à dissimuler une donation, et qui porterait atteinte au droit de gage général. Les créanciers peuvent alors emprunter la voie de l’action paulienne prévue à l’article 1341-2 du Code civil. Pour accueillir leur demande, les juges doivent apprécier souverainement la fraude des débiteurs et la fictivité du partage (Civ. 1re, 5 nov. 1991, n° 90-16.258).
C’est ce que la cour d’appel de Lyon a dû apprécier. En l’espèce, une société a contracté deux prêts auprès de deux établissements bancaires. Son gérant s’est porté caution de ces prêts, et son épouse caution solidaire pour l’un des deux. Le 3 septembre 2009, les époux ont effectué un changement de régime matrimonial accompagné d’un partage des biens. Un mois plus tard la société est placée en sauvegarde. Les deux banques déclarent respectivement leurs créances à la procédure. Le 7 juin 2010, le changement de régime matrimonial est homologué. Et le 25 mai 2012, la société est mise en liquidation judiciaire.
Naturellement, le gérant-caution est activé par une des banques, et condamné à payer la caution.
Suite à une demande des banques, le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse, par jugement du 13 juillet 2017, déclare le changement de régime et le partage qui l’accompagne inopposable aux créanciers. Les époux relèvent appel de ce jugement, demandent à la cour d’appel de l’infirmer et de dire mal fondée l’action paulienne de la banque. Les époux s’appuient sur le fait que l’homologation du changement de régime matrimonial a rendu le partage définitif, conformément à l’article 1397 ancien du Code civil. Dès lors, il ne peut plus être attaqué par les créanciers du fait de l’exclusivité de l’article 882 précité. L’action paulienne ne saurait alors être valablement engagée. Les créanciers auraient dû former opposition avant l’homologation.
Mais la cour d’appel de Lyon confirme le jugement et le valide par adoption des motifs. Elle admet que le partage qui accompagne le changement de régime matrimonial se révèle être un partage fictif, constitutif d’une donation déguisée. Elle effectue plusieurs rappels : l’article 882 ne s’applique pas au partage fictif. Dès lors, l’action paulienne est recevable et l’inopposabilité peut être demandée malgré le défaut d’opposition au partage. Il suffit que la créance du demandeur à l’action soit certaine.
La cour reprend ensuite les critères objectifs relevés par les juges de première instance lesquels caractérisent bien une fraude aux droits des créanciers. Les juges considèrent que le débiteur-caution a « organisé son insolvabilité ». Le changement intervient au bout de 27 ans de mariage, sans réel motif autre que celui de porter atteinte au gage des créanciers. Ils relèvent une surévaluation de la valeur des parts sociales attribuées au débiteur en vertu du partage alors que ce dernier, comme gérant ne pouvait ignorer la situation obérée de la société. Cela est renforcé par le peu de temps écoulé entre le partage et l’ouverture de la sauvegarde. Par suite, la cour confirme que formellement l’acte de partage est à titre onéreux même s’il s’agit d’une donation déguisée. Ainsi, les juges peuvent aussi retenir la complicité de l’épouse, tiers copartageant, nécessaire à l’article 1341-2 du Code civil. Du fait de sa qualité de caution, elle ne pouvait pas ignorer l’existence de la dette et que l’attribution des biens qui lui était faite au titre du partage constituait une fraude aux droits des créanciers.
La fraude des époux est donc bien constituée. Les créanciers peuvent valablement user de l’action paulienne pour faire tomber la simulation de partage des époux. La cour d’appel reprend des solutions constantes et dont elle a fait des applications récentes (CA Lyon, 1re civ. B, 12 février 2019, n° 17/06184). L’organisation de son insolvabilité par le détournement d’un instrument du régime matrimonial n’échappe pas à la vigilance des juges. Pouvoir espérer se réfugier derrière l’homologation du changement de régime ne protège pas contre les poursuites des créanciers. L’exclusivité de l’article 882 tombe par la fraude, qui, il ne faut pas l’oublier, corrompt tout.
Arrêt commenté :
CA Lyon, 1re ch. civ. A, 23 janvier 2020, n° 17/05741