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Appréciation souveraine des juges et adaptabilité des sanctions en matière commerciale

Victoire Damery


1C’est dans un souci de distinguer l’entreprise de l’homme que le législateur a différencié les effets patrimoniaux du règlement judiciaire de la liquidation de l’entreprise, des sanctions civiles traditionnelles de la faillite. Celles-ci ne doivent plus qu’atteindre le dirigeant d’entreprise qui a commis des fautes importantes et le punir à la hauteur de la gravité de son action. Il risque alors de voir prononcer à son encontre une faillite personnelle ou bien une interdiction de gérer, moins sévère, mais qui est elle-même un démembrement de la première. Afin de prononcer une de ces sanctions, une ou plusieurs fautes doivent évidemment être caractérisées, conformément à l’article L653-5 du Code de commerce. L’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon le 16 janvier 2020 illustre la caractérisation de ces fautes ainsi que l’appréciation des juges quant à la sanction prononcée à l’encontre du dirigeant.

2En l’espèce, M. R, dirigeant d’une société, s’est vu ouvrir une procédure de liquidation judiciaire à son encontre le 9 février 2017. Le liquidateur judiciaire a fait assigner M. R. devant le tribunal de commerce de Lyon aux fins de voir prononcer à son encontre une mesure de faillite personnelle pour une durée de 6 ans ou à titre subsidiaire une interdiction de gérer pour la même durée. La requérante a motivé sa demande en caractérisant plusieurs fautes commises à son sens par M. R.

3Tout d’abord l’omission du dirigeant d’une personne morale de demander l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir par ailleurs sollicité l’ouverture d’une procédure de conciliation. Le liquidateur a justifié l’état de cessation des paiements de la société au regard de la date fixée dans le jugement d’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, à savoir le 30 septembre 2016.

4La SELARL Alliance MJ a ensuite caractérisé une autre faute au sens de l’article L653-5 du Code de commerce : la faillite personnelle peut être prononcée à l’encontre de tout dirigeant d’une entreprise qui a payé, ou fait payer, après cessation des paiements et en connaissance de cause de celle-ci, un créancier au préjudice des autres créanciers. Elle a caractérisé cette faute en relevant des paiements litigieux effectués par M. R. notamment au Cabinet Henri R. qui a pu ainsi appréhender 45 % du prix de cession du fonds de commerce de la société.

5Enfin la requérante a caractérisé une dernière faute au sens de l’article L653-5 : une sanction peut être prononcée à l’encontre du dirigeant de droit d’une personne morale qui a disposé des biens de la personne morale comme des siens propres ou à des fins personnelles. En l’espèce elle a prouvé que M. R. avait effectué des achats personnels auprès de sociétés telles que Amazon ou Zara avec les crédits de sa société pour un total de 322,45 € mais également un paiement de 1320,15 € à la régie de son logement personnel.

6Le jugement rendu en première instance le 14 février 2019 a prononcé une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement toute entreprise ou personne morale, pendant une durée de 6 ans. M. R a alors interjeté appel par acte du 1er mars 2019 et a répondu à chacun des griefs qui lui étaient reprochés par la SELARL Alliance MJ.

7Tout d’abord concernant l’omission de déclaration de la cessation des paiements dans un délai de 45 jours, aucun jugement ultérieur n'a modifié la date fixée au 30 septembre 2016 par le jugement d’ouverture de la procédure judiciaire, mais M. R était fondé à contester le défaut de preuve du caractère volontaire de la déclaration tardive. Ni les juges en première instance, ni la SELARL Alliance MJ n’ont démontré cet élément intentionnel.

8Concernant ensuite, les paiements effectués par le dirigeant à certains créanciers au préjudice d’autres après la cessation des paiements de l’entreprise et en connaissance de celle-ci, la SELARL Alliance MJ n’offre pas de prouver que M. R. avait connaissance de l’état de cessation des paiements, et de surcroît celui-ci suite à la production du décompte de son notaire a prouvé, que suite aux paiements douteux effectués, le solde du compte bancaire de la société Karl’s Traiteur était toujours créditeur au 30 novembre 2016.

9Enfin pour la faute caractérisée par la disposition des biens de la personne morale à des fins personnelles, M. R. a reconnu ses achats, mais a fait valoir que les dépenses d’un montant total de 322,45 € ainsi que le paiement de 1320,15 € à sa régie, ne pouvaient justifier sa condamnation à une interdiction de gérer, à son sens disproportionnée. Ces achats à des fins personnelles sont donc la seule faute de gestion commise par M. R pouvant conduire au prononcé d’une sanction.

10Les juges ont alors apprécié la personnalité de l’auteur ainsi que sa situation personnelle, conformément au principe posé par l’arrêt n° 15-85199 rendu par la Cour de cassation en date du 1er février 2017.

11Il a alors été énoncé que la caractérisation de cette seule faute de gestion commise par M. R ne justifiait pas le prononcé d’une telle sanction. En effet, M. R. âgé de 30 ans avait déjà dirigé une précédente société placée en liquidation judiciaire mais dont le liquidateur avait conclu dans son rapport, qu'aucune sanction ne pouvait être retenue au regard de l’existence d’une comptabilité et de l’engagement de l’associé principal auprès du bailleur.

12La cour d’appel de Lyon, dans son arrêt rendu la 16 janvier 2020, a illustré la nécessité de caractériser et prouver les fautes de gestion du dirigeant mais a également remis en lumière la nécessité d’adaptabilité de la sanction proportionnellement à la faute reprochée et ce également en fonction de la personnalité et situation de son auteur. Il appartient au tribunal d’utiliser son pouvoir souverain d’appréciation à l’égard du dirigeant fautif, et ce afin que les dirigeants ayant commis des fautes qu’on ne pourrait qualifier de « graves » ne soient pas automatiquement écarté du monde des affaires.

Arrêt commenté :
CA  Lyon, 3e chambre A, 16 janvier 2020, n° 19/01661



Citer ce document


Victoire Damery, «Appréciation souveraine des juges et adaptabilité des sanctions en matière commerciale», BACALy [En ligne], n°15, Publié le : 01/10/2020,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2606.

Auteur


À propos de l'auteur Victoire Damery

Étudiante en M2 ALED, université Jean Moulin Lyon 3


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