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1Les trois espèces commentées concernent la contestation de la validité d’un testament fondée sur l’insanité d’esprit du testateur, question récurrente faisant souvent s’affronter différents membres d’une même famille, chacun se fondant sur des documents médicaux propres à soutenir leur cause. Dans l’arrêt du 10 novembre 2020, le défunt avait institué sa nièce légataire universelle de ses biens par un testament olographe dont la validité a été contestée par sa sœur. Dans l’arrêt du 1er décembre 2020, les bénéficiaires du legs universel étaient les voisins et amis de la défunte dont la santé mentale au moment de la rédaction de l’acte était remise en question par son frère. Enfin, dans l’arrêt du 24 novembre 2020, il s’agissait d’un fils contestant la validité du testament olographe rédigé par son père par lequel celui-ci léguait la pleine propriété de sa résidence à sa compagne et, en cas de prédécès de celle-ci, à son fils.

2Dans les trois espèces, les juges de la cour d’appel s’attachent à appliquer avec fermeté les principes relatifs à la contestation de la validité d’une libéralité pour cause d’insanité d’esprit. Le principe est en effet que la libéralité est valide si son auteur était sain d’esprit au moment de sa rédaction (C. civ., art. 901) : c’est à la personne qui agit en nullité de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte (C. civ., art. 414-1). Ils rappellent qu’en la matière, le principe est celui de la liberté de la preuve (I). Une présomption d’insanité d’esprit peut être avancée par le titulaire de l’action en nullité afin d’en faciliter la preuve (II), mais elle ne découle pas directement de l’existence d’une mesure de protection qui aurait été prise à l’égard du testateur (III).

I/ Le principe de la liberté de la preuve

3L’insanité d’esprit est une notion de fait qui recouvre tout un ensemble de troubles mentaux altérant le discernement du testateur et provoquant une atteinte à ses capacités de raisonnement. La notion concerne donc le consentement, et non la capacité (v. pour le rappel de cette distinction : G. Millerioux, « Annulation d’un testament pour insanité d’esprit », BACALy 11, 2018). Dans son arrêt du 1er décembre 2020, la cour d’appel, en évoquant la « capacité de disposer entre vif ou par testament » à propos de l’article 901 opère alors une regrettable confusion entre l’insanité d’esprit et la capacité.

4La preuve de cet état peut ainsi être rapportée par tous moyens. Ainsi, dans les différentes affaires commentées, les demandeurs ont produit des pièces médicales telles que des certificats émanant de médecins ou des attestations de proches du défunt. En effet, la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades à la qualité du système de santé prévoit en son article 3 que « le secret médical ne fait pas obstacle à ce que les informations concernant une personne décédée soient délivrées à ses ayants droit », notamment lorsqu’il est question pour eux de faire valoir leurs droits.

5Ainsi, dans l’arrêt du 24 novembre 2020, la cour se fonde sur les éléments médicaux produits par les enfants du testateur pour conclure à l’insanité d’esprit de ce dernier qui était atteinte d’une « altération cognitive globale, durable et évolutive, doublée d’une déficience psychologique et d’une perte d’autonomie le rendant particulièrement vulnérable, suggestible et dépendant de son entourage », ces éléments caractérisant selon les juges « une absence d’autonomie de décision privant l’intéressé de toute capacité de discernement ».

6Cependant, dans l’arrêt du 10 novembre 2020, la cour considère que les preuves ne sont pas suffisantes et se fondent elles-mêmes sur des rapports et certificats médicaux faisant état, certes, d’un état de santé fragile, mais ne concluant pas à une insanité d’esprit. Elle explique de manière méthodique, pour chaque pièce produite, en quoi celle-ci ne constitue pas une preuve suffisante laissant apparaître une absence de discernement de la part du testateur.

II/ La présomption d’insanité d’esprit

7Mis à part ce principe de liberté de la preuve, une jurisprudence constante pose une présomption d’insanité d’esprit en cas de démence dans le temps qui a précédé et dans le temps qui a suivi la rédaction de l’écrit (Cass. civ., 4 févr. 1941), c'est-à-dire qu’est pris en compte l’état dans lequel se trouvait le testateur à l’époque de la rédaction du testament. C’est alors au bénéficiaire de la libéralité de prouver un « intervalle de lucidité » au moment de la confection de l’acte (Cass. civ. 1re, 11 juin 1980).

8Ainsi, dans l’arrêt du 1er décembre 2020, le frère de la défunte faisait valoir l’état de santé fragile dans lequel se trouvait sa mère la veille et le lendemain de la signature du testament, et de manière plus générale, son état de faiblesse moral et psychique oblitérant toute lucidité nécessaire à la rédaction d’un tel acte. Cependant, la cour d’appel s’attache avec rigueur à expliquer qu’un état de grande faiblesse physique n’est pas synonyme d’insanité d’esprit et refuse ainsi d’annuler le testament sur ce fondement. Elle considère donc que la présomption d’insanité d’esprit ne s’applique pas ici, bien que les faits laissent subsister un doute quant aux réelles capacités de discernement de la défunte. Les attestations et autres rapports médicaux semblent ici avoir pleinement joué un rôle dans la décision des juges de réfuter l’hypothèse d’une insanité d’esprit.

III/ La prise en compte de l’existence d’une mesure de protection

9Enfin, il convient de rappeler que l’ouverture d’une mesure de protection, qu’elle soit antérieure ou postérieure à la rédaction du testament, n’entraîne pas pour autant une présomption d’insanité d’esprit du testateur (Cass. civ. 1re, 14 mars 2018, n° 17-15.406 ; CA Lyon, 1re ch. civ. B, 14 janv. 2020, n° 18/03951) : d’autres éléments doivent être fournis à l’appui de cet argument.

10Dans l’arrêt du 24 novembre 2020, aucune mesure de protection n’avait encore été mise en place à l’égard du testateur, mais une demande en ce sens avait été faite par son fils peu après la rédaction du testament ainsi que le dépôt d’une plainte pour abus de faiblesse à l’encontre des bénéficiaires de la libéralité. Ces éléments ne sont pas repris par la cour qui s’en remet exclusivement aux certificats médicaux et attestations caractérisant, selon elle, une absence de faculté de discernement consécutive à un état de vulnérabilité et de faiblesse avancé. La prise en compte d’une demande ou de l’existence d’une mesure de protection n’est donc qu’accessoire et ne constitue pas un élément obligatoirement repris par les juges afin de constater l’insanité d’esprit du testateur.

11Les trois espèces ici commentées ont pour principal intérêt de confirmer et d’illustrer de manière pédagogique la jurisprudence en matière de preuve de l’insanité d’esprit du testateur. L’appréciation de l’insanité d’esprit relève en effet des juges du fond (Cass. civ., 5 déc. 1949), qui s’en remettent souvent aux expertises et rapports médicaux selon que ces derniers concluent ou non à un état de santé annihilant toute faculté de consentement. Cependant, ils ne sont pas légalement tenus par les conclusions avancées par le corps médical, même si ces pièces sont essentielles pour apporter la preuve de l’insanité d’esprit du testateur. Ils restent souverains dans leur appréciation de cette notion, qui relève du juridique et non du médical, ce qui explique que ces documents ne soient pas toujours jugés suffisants et probants.

Arrêts commentés :
CA Lyon, 1re ch. civ. B, 10 novembre 2020, n° 18/04304, 24 novembre 2020, n° 19/03044, 1er décembre 2020, n° 18/04470



Citer ce document


Margot Musson, «Preuve de l’insanité d’esprit du testateur : rappel utile des règles», BACALy [En ligne], n°16, Publié le : 01/03/2021,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2652.

Auteur


À propos de l'auteur Margot Musson

Doctorante en droit de la famille, équipe de recherche Louis Josserand, université Jean Moulin Lyon 3


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