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Consistance de la garantie et propriété de la caution mariée : absence d’obligation de vérification de la part du créancier professionnel !

Massilia Amzal


1Lorsqu’une caution s’engage sans disposer des biens et revenus suffisants pour remplir son obligation, la question se pose de la disproportion du cautionnement. L'article L. 332-1 du Code de la consommation prévoit, de manière générale, le principe de proportionnalité de l’engagement de la caution : « un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face а son obligation. » L’appréciation du caractère proportionné de la caution peut soulever de nombreuses interrogations, notamment lorsque la personne est mariée. Sur la question de l’engagement des biens, l’article 1415 du Code civil pose la règle selon laquelle « chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres. ». Il faudra néanmoins distinguer cette question relative à l’engagement des biens et celle soulevée par l’arrêt étudié, se situant au stade de l’appréciation du caractère disproportionné de la caution.

2En effet, la cour d’appel de Lyon a eu à connaitre d’une affaire dans laquelle une caution se désigne propriétaire d’un bien immeuble, avant de soutenir que le bien appartient en propre à son épouse. Dans cette affaire, un époux a créé la SAR Du Pain à la Pat’ en 2011. Pour financer le début d’activité il a souscrit un prêt au nom de cette dernière, auprès d’une banque, qu’il a garanti au moyen d’un gage consenti sur le matériel et l’outillage. Le 28 juin 2011, cet époux s’est porté caution solidaire de l’engagement de la société. Le tribunal de commerce de Lyon a prononcé la liquidation judiciaire de la société conduisant la banque à déclarer sa créance. Le 8 septembre 2016, cette dernière a mis en demeure l’époux, en sa qualité de caution, pour le remboursement de l’emprunt.

3En première instance, le tribunal de commerce de Lyon (2 janvier 2018) juge le cautionnement, souscrit par l’époux, proportionné et qualifie ce dernier de caution avertie. Il interjette appel, souhaitant notamment que la Cour constate par voie de réformation le caractère manifestement disproportionné du cautionnement et sa qualité de caution profane, soulignant par la même le non-respect de l’obligation de mise en garde due par l’établissement prêteur. La décision des juges lyonnais est l’occasion de revenir sur plusieurs points concernant l’appréciation de l’engagement d’une personne mariée en qualité de caution.

4D’abord, la cour d’appel entérine la jurisprudence tenant à la charge de la preuve du caractère disproportionné de l’engagement. Celle-ci incombe à la caution qui entend se prévaloir des dispositions de l'article L. 341-4 ancien (art. L. 332-1 nouveau) du code de la consommation. Ainsi, incombe-t-il à l’appelant de démontrer que son engagement avait un caractère disproportionné au regard de ses biens et revenus (en ce sens, v. Cass. com., 22 janv. 2013, n° 11-25.377).

5Concernant l’appréciation de la disproportion, les juges du fond s’appuient sur le questionnaire confidentiel rempli par la caution auprès de l’établissement de crédit. Dans celui-ci, l’époux caution se présente comme étant propriétaire de l’immeuble. En revanche, rien n’est dit de la nature de son régime matrimonial, cette mention n’étant pas renseignée. Pourtant, devant la cour d’appel l’époux s’est attaché à démontrer sa nature de bien propre de son épouse, en ce qu’il lui fut attribué avant le mariage, comme cela ressort de l’acte notarié de donation-partage du 28 juin 1994. Il déduit des mentions du questionnaire et du caractère de bien propre de l’immeuble une « anomalie apparente », qui aurait dû alerter la banque sur la « consistance de la garantie » et sur « la propriété du bien ».

6Selon la cour d’appel de Lyon, les éléments renseignés dans le questionnaire sont opposables à l’époux caution, qui ne peut les contester ultérieurement durant l’instance en apportant une preuve contraire. Ainsi, même si l’acte de donation partage permet de prouver la nature de bien propre, sa production est inefficace, l’appréciation de la consistance de la garantie et de la propriété du bien se faisant en amont au moment de l’engagement. Selon les juges du fond, en l’absence de mention du régime matrimonial de la caution, il revenait de droit à la banque de considérer que la caution était mariée sous le régime légal, la situation ne permettant pas de suspecter le caractère de bien propre de l’immeuble. Il en va ainsi en raison de l’absence d’obligation de vérification pesant sur la banque. En effet, le créancier professionnel n'a pas à vérifier l'exactitude des déclarations de la caution (v. par ex. Cass. com., 13 sept. 2011, n° 10-20.959 : la caution qui a transmis un document inexact faisant apparaître une « situation florissante » ne peut pas invoquer la disproportion), la limite étant l’absence « d’anomalies apparentes ». La difficulté réside alors dans la perceptibilité d’éventuelles anomalies par la banque. Cette appréciation incombant au créancier professionnel est plus ou moins renforcée selon qu’il se trouve face à une caution avertie ou profane.

7Cette qualité a été débattue devant la cour d’appel de Lyon, la question du devoir de mise en garde ayant été soulevée par l’appelant. Les juges ont estimé que la caution était profane, ses fonctions ne permettant pas de lui reconnaitre des compétences en matière de gestion et de finance. Pour autant, la cour écarte ce devoir, jugeant que le prêt accordé n’avait pas de caractère excessif. Elle estime que l’établissement prêteur n’avait pas l’obligation de vérifier les éléments de patrimoine de la caution. Au demeurant, le remboursement de l’emprunt ayant été possible pendant plusieurs années, cela témoigne de son caractère adapté.

8Concernant la consistance de la garantie et la propriété d’une caution mariée, il ne s’agit pas en définitif d’éléments tombant sous le coup d’une obligation de vérification de la part du créancier professionnel en absence d’anomalies apparentes. La caution devra alors témoigner d’une vigilance particulière lors de son engagement.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 3e ch. A, 15 octobre 2020, n° 18/0198



Citer ce document


Massilia Amzal, «Consistance de la garantie et propriété de la caution mariée : absence d’obligation de vérification de la part du créancier professionnel !», BACALy [En ligne], n°16, Publié le : 01/03/2021,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2653.

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À propos de l'auteur Massilia Amzal

Doctorante en droit de la famille, équipe de recherche Louis Josserand, université Jean Moulin Lyon 3


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