L’héritier présomptif ayant bénéficié de la mise à disposition, gratuite ou contre un loyer dérisoire, d’un immeuble à usage d’habitation appartenant au de cujus est-il tenu de rapporter la valeur de cet avantage ?
La question figure l’une des difficultés soulevées à l’occasion d’opérations de liquidation et de partage d’une succession (d’autres problèmes se posaient, l’un relatif à la validité d’un testament international, l’autre à la fixation d’une indemnité d’occupation). Il ressort des prétentions des appelants que la fille de la défunte aurait habité, pendant presque quatre ans, une maison ayant appartenu à cette dernière. Cette occupation aurait eu lieu, tantôt sans contrepartie, tantôt contre un loyer de 300 euros, qui aurait été payé de façon irrégulière. Au demeurant, ce montant apparaît dérisoire aux appelants, la valeur locative du bien ayant été estimé à 812 euros. Cette mise à disposition serait donc, selon les périodes, tantôt une donation déguisée, tantôt un avantage indirect, dont ils demandent logiquement le rapport de la valeur à la succession.
Instrument du partage successoral, le rapport a pour objectif d’assurer l’égalité dans sa réalisation. Cela ne signifie pas qu’un héritier ne puisse être avantagé par rapport aux autres mais, si avantage il y a, il doit provenir de la volonté du de cujus de consentir une libéralité hors part successorale. Il s’agit donc de rapporter à la succession tous les avantages consentis en avancement de part successoral, afin qu’il en soit tenu compte dans le partage. C’est le cas des libéralités consenties entre vifs, par le de cujus à un héritier présomptif, que la loi présume avoir été faites ainsi (art. 843 C. civ.).
Cette affaire ne soulève guère de difficultés pour la cour d’appel. Elle est l’occasion de rappeler des évidences sur la charge de la preuve attendue et son objet. Conformément au droit commun de la preuve, il incombe à celui qui se prévaut du rapport de démontrer l’existence d’une donation. Concrètement, cela implique de démontrer l’existence d’un acte dénué de contrepartie (élément matériel) dont la formation a été motivée par l’intention libérale de son auteur (élément intentionnel). Ces deux éléments doivent être prouvés indépendamment l’un de l’autre, sans déduction possible entre eux. En particulier, ainsi que l’énonce la cour, « l’intention libérale ne se déduit pas de l’appauvrissement du disposant ou du déséquilibre de l’acte ». En effet, pareille déduction est tout simplement impossible. Elle l’est, d’une part, parce qu’un appauvrissement peut avoir différentes causes, à commencer par le paiement d’une obligation civile ou naturelle ; ou ne pas en avoir, provoquant alors un enrichissement injustifié et ouvrant la voie de l’action de in rem verso. Impossible, elle l’est également en présence d’un simple déséquilibre. Celui-ci peut trouver sa raison d’être dans la négociation des parties liées par un acte onéreux ou encore, le cas échéant, dans la lésion. Ces quelques exemples sont autant d’illustration de ce qui rend toute déduction inopérante.
En l’espèce, les appelants ayant échoué à apporter la preuve autonome de l’intention libérale du de cujus, le jugement est logiquement confirmé, sur ce point, par la cour d’appel de Lyon : l’héritière n’a pas bénéficié d’une donation déguisée ou d’un avantage indirect de sorte à être soumise au rapport. Pour autant, cela ne signifie pas que l’intimée soit totalement tirée d’affaire ! En effet, à défaut d’avoir été qualifié de libéralité, le fait de ne pas avoir payer les loyers doit être regardé comme étant constitutif d’un manquement contractuel. Ce qui lui permet donc d’échapper au rapport est tout à la fois ce qui l’oblige à verser, à la succession, le montant des arriérés de loyers impayés. Économiquement, toutefois, la solution lui reste favorable puisqu’elle n’est pas redevable de la valeur afférente aux périodes d’occupation gratuite.
Arrêt commenté :
CA Lyon, 1re ch. civ. B, 16 juin 2020, n° 18/06409