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La révocation tacite d’une donation de biens à venir entre époux

Aurélien Molière


1Le régime des donations de biens à venir entre époux a été modifié par la loi du 26 mai 2004. L’article 265, qui en est issu, prévoit que le divorce emporte de plein droit leur révocation. Seule la volonté contraire du disposant permet de les maintenir et de les rendre irrévocables, à condition qu’elle soit constatée par le juge au moment du prononcé du divorce ou dans la convention signée par les époux et contresignée par les avocats. Toutefois, quinze ans après l’adoption de cette disposition, il arrive encore que le juge ait à statuer sur des donations consenties entre époux divorcés avant son entrée en vigueur.

2En l’espèce, un divorce a été prononcé en 1997. L’ex-épouse est décédée en 2012, laissant une fille mineure pour seule héritière. Lors de la succession, son ex-mari a revendiqué l’usufruit de l’appartement que la mère et sa fille occupaient au jour du décès. Il invoque un acte, daté de 1995, par lequel la prémourante lui a consenti la donation universelle de son patrimoine en usufruit. Le représentant légal de l’héritière l’assigne devant le tribunal de grande instance de Lyon, dans le but de faire constater la révocation de ladite donation. Il est débouté de sa demande. Saisie à son tour, la cour d’appel de Lyon, à l’issue d’une démonstration claire et détaillée, décide que la donation a bel et bien été révoquée.

I/ Droit applicable

3Le jugement de divorce ayant été rendu avant l’entrée en vigueur de la réforme de 2004, l’article 265 ne s’applique pas (art. 33, L. 26 mai 2004). Concrètement, cela signifie que la dissolution du mariage n’a eu aucun effet sur la libéralité en cause. Pour connaître son sort, il faut se référer à l’article 1096 du Code civil. Celui-ci prévoit que « la donation de biens à venir faites entre époux pendant le mariage est toujours révocable ».

4Une première difficulté doit être rapidement évacuée. L’article 1096 a connu trois versions dans un temps très rapproché : avant 2004, entre 2004 et 2006, après 2006. Il faut donc, au préalable, déterminer celle qu’il convient d’appliquer. Au regard de la formule citée dans l’arrêt, c’est la dernière version, celle actuellement en vigueur, qui a été retenue. Cependant, la rigueur voudrait que l’on applique la loi en vigueur au jour de la révocation. Or, c’est là tout le problème : comment connaître la date de la révocation, indispensable à l’application de la bonne loi, dès lors que tout le litige se noue autour de son existence ? La difficulté est d’autant plus grande qu’il s’agit d’une révocation tacite, laquelle est difficile à établir et, surtout, à situer dans le temps. Toutefois, on pourra se rassurer en observant que la question de l’application de la loi dans le temps prend, en la matière, des allures de problème purement théorique. Si la disposition a bien été réécrite à deux reprises, elle l’a été sans aucune incidence sur le fond de la règle. Le singulier a remplacé le pluriel en 2005, puis le présent de l’indicatif le futur en 2007, sans que la libre révocation ne soit jamais remise en cause.

5Au fond, il ressort de l’article 1096 que le donateur a le droit de révoquer son acte de façon unilatérale, discrétionnaire et sans avoir à motiver son choix. On peut ajouter à cela qu’il s’agit d’un droit personnel, en ce qu’il est strictement attaché à la personne du donateur, et perpétuel, puisqu’il ne s’éteint pas par le non-usage mais seulement par la mort du disposant. Il résulte de ces différents caractères que le donateur peut procéder à tout moment et pour n’importe quelle raison à la révocation de l’acte, sans risque de se voir opposer un exercice abusif de son droit. Enfin, l’imprécision du texte a permis à la jurisprudence d’admettre que la révocation puisse être expresse ou tacite. Même si les deux sont invoquées par la requérante, c’est bien la seconde qui est discutée et finalement retenue dans l’arrêt. Faisant preuve de pédagogie, la cour indique à ce propos que la révocation tacite est celle qui résulte d’un ensemble de comportements du donateur et des circonstances. Il incombe alors au demandeur de les démontrer et aux juges du fond de les apprécier souverainement.

II/ Application du droit

6Plusieurs éléments sont invoqués par l’appelante et repris par la cour d’appel pour justifier sa position : un mariage qui a duré peu de temps (2 ans) ; une vie commune encore plus courte (18 mois) ; l’absence de bien commun ; la rupture de tout contact entre les époux, après leur séparation ; la désignation des parents de l’ex-épouse comme bénéficiaire du capital décès de son régime de prévoyance, en lieu et place de son ancien mari. Les juges déduisent de l’ensemble de ces éléments « [qu’elle] avait entendu évincer [ce dernier] de sa vie et de ses biens ce dont il résulte l'intention claire et non équivoque de révoquer la donation ».

7Les arguments ne manquent pas pour aboutir à cette conclusion. À première vue, on pourrait être tenté de regretter qu’ils soient tous mis sur un même niveau. Cela donne l’impression d’une égale importance. Pourtant, certains paraissent plus faibles. Il en va ainsi, tout particulièrement, de la faible durée du mariage et de la vie commune. En réalité, pareille critique n’a pas lieu d’être. D’abord, parce que la jurisprudence en matière de révocation tacite est plutôt libérale et permissive (en ce sens, cf. V. Brémond, « Donations entre époux faites pendant le mariage », Rép. civ. 2017, n° 273). Elle est donc encline à rendre décisif des éléments d’apparence secondaire. Ensuite et surtout, parce que la méthode consistant à isoler un élément d’appréciation est inopérante. C’est bien l’observation et la corrélation de l’ensemble des circonstances et des comportements du donateur qui doivent conduire l’appréciation du juge. Or, à l’évidence, la révocation tacite est d’autant plus simple à caractériser qu’elle concerne une donation de biens à venir consentie au cours d’une union qui s’est terminée précocement. Il en va de même du changement de bénéficiaire du capital décès. Pris isolément, l’acte se renferme dans son objet et il ne permet pas d’établir une quelconque volonté de révoquer une donation consentie par ailleurs. En revanche, s’il est regardé à l’aune des autres éléments invoqués, il met en lumière une volonté de l’ex-épouse de priver son ancien mari de tout droit sur ses biens. Il reste néanmoins à savoir si cette volonté est suffisamment claire et dénuée d’équivoque. Le choix appartient au juge, souverain dans son appréciation. En l’espèce, il a estimé que c’était le cas.

8En guise de conclusion, on pourra s’interroger sur l’influence de la loi de 2004 quand un juge est appelé à se prononcer dans les circonstances de l’espèce. Depuis cette réforme, l’article 265 du Code civil dispose que les donations de bien à venir entre époux sont révoquées de plein droit par le divorce. On peut alors imaginer que lorsqu’un juge statue sur la révocation d’une donation consentie entre des époux dont le divorce est survenu avant 2005, cette disposition, même si elle n’est pas applicable, n’est jamais bien loin. Il y a fort à parier que la nouvelle règle a eu pour effet de libéraliser l’admission de la révocation tacite. Cela expliquerait probablement pourquoi, sans pour autant devenir automatique, elle est devenue moins stricte.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 1re ch. civ. B, 1er octobre 2019, n° 18/01956



Citer ce document


Aurélien Molière, «La révocation tacite d’une donation de biens à venir entre époux», BACALy [En ligne], n°14, Publié le : 01/01/2020,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2218.

Auteur


À propos de l'auteur Aurélien Molière

Maître de conférences, équipe de recherche Louis Josserand, université Jean Moulin Lyon 3


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