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L’absence d’effet rétroactif des déclarations de réintégration dans la nationalité française

Bastien Baret


1Dans cet arrêt du 27 mars 2018, la cour d’appel de Lyon est confrontée à un problème de droit de la nationalité. La nationalité française d’un homme né en 1966 est remise en cause.

2Son certificat de nationalité française lui avait été délivré car sa mère était française au moment de sa naissance. Selon une déclaration de nationalité tunisienne, celle-ci n’avait perdu sa nationalité française qu’en 1968. Or cette date est fausse, ce qui retire au certificat de nationalité toute force probante. Le fait qu’il s’agisse d’un faux n’est pas discuté par les parties. Elles cherchent à démontrer autrement que la perte de la nationalité n’a en réalité jamais eu lieu. En effet, si au moment de sa naissance sa mère était française, alors il est français. A l’inverse, si elle ne l’était pas, il ne peut l’être aujourd’hui.

3Il convient donc de s’intéresser à l’histoire de la mère et de sa nationalité. Née française, celle-ci a acquis la nationalité tunisienne par déclaration en 1957. Selon les règles alors en vigueur, elle a automatiquement perdu la nationalité française, qu’elle a retrouvé en 2006 suite à une déclaration de réintégration dans la nationalité française. N’étant pas française en 1966, son fils ne peut pas être français sur ce fondement.

4La simplicité de cette affaire n’est cependant qu’apparente. En effet, celle-ci avait déjà fait l’objet d’une décision de la cour d’appel de Paris (CA Paris, 4 novembre 2014, n° 14/01583) puis de la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 13 avril 2016, n° 14-50.071) avant de se retrouver devant la cour d’appel de Lyon. La difficulté provient d’une décision du Conseil constitutionnel du 9 janvier 2014 (décision n° 2013-360 QPC du 9 janvier 2014) qui a considéré qu’étaient inconstitutionnels les mots « sexe masculin » dans l’ordonnance du 19 octobre 1945 (Ordonnance n° 45-2441 du 19 octobre 1945 portant Code de la nationalité française). Cette dernière prévoyait que si la perte de la nationalité française lors de l’acquisition volontaire d’une autre nationalité était automatique (article 87 du Code de la nationalité), la situation était différente pour les hommes nés entre 1951 et son entrée en vigueur. Ces derniers devaient demander l’autorisation du gouvernement pour pouvoir perdre la nationalité française, dans le but d’éviter que des personnes puissent échapper à leurs obligations militaires.

5Le Conseil a précisé que les femmes qui avaient alors perdu la nationalité française par l’application de l’article 87 du Code de la nationalité entre le 1er juin 1951 et l’entrée en vigueur de la loi du 9 janvier 1973 (loi n° 74-42 du 9 janvier 1973 complétant et modifiant le code de la nationalité et relative à certaines dispositions concernant la nationalité française) (loi qui a abrogé la disposition litigieuse de l’ordonnance précitée) peuvent invoquer cette inconstitutionnalité pour obtenir une décision reconnaissant qu’elles ont conservé la nationalité française. De plus, les descendants de ces femmes peuvent également se prévaloir de telles décisions.

6En l’espèce, la mère de l’intéressé avait perdu la nationalité française du fait de son choix pour la nationalité tunisienne, en application de l’ancien article 87 du Code de la nationalité. Or, en tant que femme, elle n’avait pas eu la possibilité de conserver la nationalité française, possibilité ouverte alors seulement aux hommes. Cette spécificité étant désormais inconstitutionnelle, elle peut obtenir une décision reconnaissant qu’elle n’a en réalité jamais perdu la nationalité française. Cependant, elle n’a jamais effectué les démarches en ce sens.

7La cour d’appel de Paris a considéré qu’une décision reconnaissant qu’elle n’avait jamais perdu la nationalité française était sans objet, puisqu’elle avait déjà récupéré cette nationalité. De ce fait, son fils pouvait soutenir que sa mère avait conservé cette nationalité, et donc qu’il était français car né d’une mère française. Cependant, la déclaration de réintégration dans la nationalité n’a pas d’effet rétroactif selon l’article 26-5 du Code civil. Ainsi l’obtention d’une décision lui permettrait de démontrer qu’elle était française entre 1957 et 2006, là où la demande de réintégration permet de considérer uniquement qu’elle est redevenue française à partir de 2006. Il s’agit bien de deux situations dont les différences sont clairement illustrées dans cette affaire.

8C’est ce que rappelle laconiquement la Cour de cassation dans sa décision du 13 avril 2016, qui renvoie l’affaire devant la cour d’appel de Lyon. Celle-ci, en toute logique, suit la position de la Cour et précise que la déclaration de réintégration n’ayant d’effet que pour le futur, et aucune décision reconnaissant que sa mère n’avait jamais perdu la nationalité française n’ayant été rendue, elle n’était pas française lorsqu’il est né. Il n’est donc pas français.

Arrêt commenté :
CA Lyon, chambre 2 A, 27 mars 2018, n° 16/04802, JurisData n° 2018-006462



Citer ce document


Bastien Baret, «L’absence d’effet rétroactif des déclarations de réintégration dans la nationalité française », BACALy [En ligne], n°11, Publié le : 18/10/2018,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=796.

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À propos de l'auteur Bastien Baret

ATER à l’Université Jean Moulin Lyon 3


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