La pression foncière à Pommiers, petit village du Gard non loin du Vigan, n’est vraisemblablement pas des plus fortes. La commune fait partie de celles, devenues minoritaires, demeurant sans document d’urbanisme et soumises en conséquence au règlement national d’urbanisme (RNU). Néanmoins, l’accès à ces terres cévenoles peut être convoité, quitte à user de certains subterfuges.
Le 8 décembre 2020, une déclaration de travaux y fut déposée pour édifier une « serre bioclimatique » de 150 m2 et aménager un camping de six places. Un mois plus tard, la décision de non-opposition à déclaration était tacitement acquise conformément aux articles R. 423-23 et R. 424-1 du Code de l’urbanisme. Pourtant, le 11 août 2022, passé le délai de trois mois prévus à cet effet par son article L. 424-51, le maire de Pommiers la retire, considérant avoir été dupé. La fraude, dévoilée par le dispositif d’assainissement du projet dont il n’avait eu connaissance que tardivement, autorisait le retrait conformément à l’article L. 241-2 du Code des relations entre le public et l’administration2 puisque le projet se révélait n’être pas agricole.
Or, en dehors des parties actuellement urbanisées, dans une commune non dotée d’un document d’urbanisme, le RNU n’autorise peu ou prou que les constructions agricoles, plus précisément « les constructions et installations nécessaires à l’exploitation agricole »3. Le principe de constructibilité limitée connaît certes des accrocs. Réforme après réforme, les exceptions à l’interdiction de construire se multiplient, pour les équipements collectifs, les aires d’accueil des gens du voyage, les logements « s’il y a un intérêt de la commune, en particulier pour éviter une diminution de la population communale », etc. Plus récemment, de nouvelles dérogations ont été ouvertes au bénéfice de la diversification des activités agricoles, en partie en réponse à une jurisprudence qui pouvait se montrer peu réceptive à ces évolutions : ont ainsi été jugés ne pas être nécessaire à l’activité agricole, un atelier de production et de transformation de canards gras4, une auberge, un gîte ou un point de vente de produits agricoles quand bien même il ou elle serait exploité par un agriculteur5. La loi ÉLAN du 23 novembre 2018 autorise, en dehors des parties actuellement urbanisées, « les constructions et installations nécessaires à la transformation, au conditionnement et à la commercialisation des produits agricoles, lorsque ces activités constituent le prolongement de l’acte de production », puis la loi du 10 mars 2023 sur l’accélération des énergies renouvelables étend cette autorisation aux « installations de production et, le cas échéant, de commercialisation, par un ou plusieurs exploitants agricoles, de biogaz, d’électricité et de chaleur par la méthanisation »6 et aux installations agrivoltaïques. « Sont considérées comme nécessaires à l’exploitation agricole pour l’application [de l’article L. 111-4 du Code de l’urbanisme], les installations agrivoltaïques au sens de l’article L. 314-36 du code de l’énergie »7, c’est-à-dire, en bref, les installations qui contribuent à la production agricole, celle-ci demeurant l’activité principale de l’agriculteur. Mais ces dernières ouvertures le montrent, les terres rurales des communes sans document d’urbanisme ont vocation à demeurer agricoles.
C’est pourquoi il peut être tentant de présenter à l’appui d’une demande de permis de construire, un projet agricole, plus ou moins sérieux8. Il peut être aussi tentant de faire croire à un projet agricole9.
Tel semble être le cas de l’espèce jugée par le tribunal administratif de Nîmes le 17 décembre 2024. Il n’y a pas eu ici à proprement parler de fausse déclaration. Contrairement à ce qu’exige l’article R 431-35-d du Code de l’urbanisme, le tribunal de Nîmes relève que la destination de la serre n’était pas mentionnée dans le dossier. Manifestement cela a échappé à la vigilance du maire et des services de la préfecture et rien n’a été demandé à la société pétitionnaire. Il faut dire que le délai d’acquisition de la non-opposition à travaux, un mois, est bref surtout lorsque la déclaration est déposée peu avant les fêtes de fin d’année… C’est donc sur un malentendu que tout s’est joué.
Le maire a pensé être saisi d’un projet agrotouristique et il est apparu que, de « l’agro », il n’était pas question (ou peu, le jugement ne le dit pas…). La serre était destinée en fait à accueillir un restaurant comme révélé par le schéma d’assainissement dont le maire a eu connaissance après que le délai d’un mois s’est écoulé, alors que le document qui lui avait été notifié initialement ne mentionnait pas ce projet. C’est de ce silence que le tribunal déduit la fraude.
« La caractérisation de la fraude résulte de ce que le pétitionnaire a procédé de manière intentionnelle à des manœuvres de nature à tromper l’administration sur la réalité du projet dans le but d’échapper à l’application d’une règle d’urbanisme. [En l’occurrence] la non-divulgation de la destination de ce projet, qui a été déterminante dans l’obtention de son autorisation d’urbanisme, doit être regardée comme une manœuvre ayant eu pour objet et pour effet de tromper l’administration sur la réalité de ce projet dans le but d’échapper à la réglementation applicable interdisant les constructions à usage autre qu’agricole ».
Il y a eu en quelque sorte fraude par omission. On est loin de l’hypothèse du pétitionnaire qui prend « la fausse qualité d’agriculteur et fait de fausses déclarations relatives à la création d’une activité agricole de plantes aromatiques et d’ornement », ou de celui qui demande le permis de construire un bâtiment d’élevage pour en faire une maison d’habitation10. Mais le cas n’est pas sans précédent11 et, en dans l’espèce, ce silence sur la réalité du projet est jugé empreint d’une intention de tromper12 constituant la fraude justifiant le retrait de la non-opposition à travaux. On ne peut donc impunément compter sur la méprise de l’administration.