Courrier constatant l’inaptitude totale et définitive d’un agent sans en tirer de conséquence sur sa position statutaire : ne fait pas grief - Acte insusceptible de recours pour excès de pouvoir

TA de Nîmes – Chambre 2 – N°2302630 -Mme B c/commune de Chusclan – 30 décembre 2024 – C

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Décision de justice

N° 2302630 – Mme B c/ commune de Chusclan – 30 décembre 2024

Numéro de la décision : 2302630

Date de la décision : 30 décembre 2024

Index

Rubriques

Actes administratifs

Résumé

Le courrier du maire de la commune, qui se borne à indiquer à un agent qu’il a décidé de suivre l’avis du comité médical concluant à son inaptitude totale et définitive à l’exercice de ses fonctions et d’engager une procédure de reclassement sans modifier la situation administrative de l’intéressé ni l’ordonnancement juridique, ne constitue pas une décision administrative faisant grief susceptible de recours devant le juge de l’excès de pouvoir. Le constat de l’inaptitude de l’agent n’est qu’un motif permettant de fonder une décision ultérieure relative à la situation statutaire de l’agent et qui, en l’espèce, a pris la forme d’un second courrier, non contesté, dans lequel le maire de la commune, a décidé de mettre un terme immédiat à l’exercice des fonctions de l’intéressée en lui demandant de ne pas reprendre son service dans l’attente de la procédure de reclassement.

01 – Actes législatifs et administratifs

01-01 – Différentes catégories d'actes

01-01-05 – Actes administratifs - notion

36 Fonctionnaires et agents publics

36-10 Cessation de fonctions

36-10-09-01 Inaptitude physique

Notes – références

Rappr. N° 18MA03722 ; N° 13PA03593 

Avis du conseil médical sur l’inaptitude physique et intention d’engagement d’une procédure de reclassement dans la fonction publique : leurs contestations sont en principe irrecevables

Alfredo Nely

A.T.E.R. à l’université d’Avignon, membre du JPEG (UPR 3788)

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DOI : 10.35562/ajamont.218

Dans la fonction publique territoriale, un agent public ne peut plus exercer ses activités s’il est déclaré inapte de manière temporaire ou définitive. L’inaptitude temporaire coïncide généralement avec le maintien du traitement de l’agent pendant une période de préparation au reclassement pouvant aller jusqu’à un an. S’agissant de l’inaptitude définitive, elle peut mener à un reclassement sur un autre emploi correspondant au grade de l’agent ou dans un autre corps ou cadre d’emplois. Cette inaptitude définitive peut être constatée tant sur le plan physique que psychique.

Le reclassement est un devoir de l’administration envers les agents publics déclarés inaptes. Elle ne peut licencier l’agent public définitivement atteint d’une inaptitude physique à occuper son emploi qu’après avoir cherché à le reclasser dans un autre emploi1. Cette obligation s’étend également aux agents contractuels. Ainsi, le 17 mai 2013, le Conseil d’État a affirmé que « l’employeur public a l’obligation de rechercher le reclassement de ses agents contractuels de droit public en cas d’inaptitude physique de ceux-ci à occuper leur emploi »2.

Le reclassement ne peut se faire qu’après avis d’un conseil médical. Dans le secteur public, il s’agit d’une instance consultative que l’administration doit impérativement consulter avant de prendre certaines décisions relatives à la situation administrative de son agent à l’instar de l’inaptitude physique.

Le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 30 décembre 2024 a rappelé que l’engagement d’une procédure de reclassement pour inaptitude physique en se basant sur ces avis ainsi que ces derniers ne sont pas des actes qui sont susceptibles de recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif.

En l’espèce, le 30 décembre 2024, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté la requête d’une fonctionnaire tendant à annuler des comptes rendus administratifs sur sa situation professionnelle. En effet, elle a contesté sa reconnaissance d’inaptitude physique de manière totale et définitive à l’exercice de ses fonctions d’agent territorial spécialisé des écoles maternelles, ainsi que l’engagement par la commune d’une procédure de reclassement.

Le juge a déclaré que ces constatations n’ont pas le caractère de décisions faisant griefs susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

Par ailleurs, au visa de l’article 1er du décret nº 85-1054 du 30 septembre 1985 relatif au reclassement des fonctionnaires territoriaux reconnus inaptes à l’exercice de leurs fonctions, il a rappelé que :

« Premièrement lorsqu’un fonctionnaire est reconnu, par suite de l’altération de son état physique, inapte à l’exercice de ses fonctions, il incombe à l’administration de rechercher si le poste occupé par cet agent peut être adapté à son état physique ou, à défaut, de lui proposer une affectation dans un autre emploi de son grade compatible avec son état de santé. »

Deuxièmement, il a ajouté que 

« si le poste ne peut être adapté ou si l’agent ne peut être affecté dans un autre emploi de son grade, il incombe à l’administration de l’inviter à présenter une demande de reclassement dans un emploi d’un autre corps. Il n’en va autrement que si l’état de santé du fonctionnaire le rend définitivement inapte à l’exercice de toute fonction. »

D’une part, le principe général de droit qui suppose que toute décision administrative peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir et cela même en l’absence de texte3 est aujourd’hui conditionné par sa capacité à modifier ou à influer sur la situation juridique de son destinataire. C’est donc un acte faisant grief qui présente un caractère exécutoire et inflexible. L’émergence du droit souple a relativement compliqué la tâche du juge administratif dans la détermination d’un tel acte administratif. C’est dans ce contexte que le Conseil d’État a précisé que :

« Les documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices »4.

L’avis du conseil médical en l’espèce peut être considéré comme un avis simple. C’est subséquemment un acte de droit souple à l’instar des recommandations. Les avis simples ont pour finalité d’éclairer l’autorité administrative pour sa prise de décision et non pour la lier. Les avis rendus par le conseil médical et éventuellement par le conseil médical supérieur ne s’imposent pas à l’administration. Elle peut prendre une décision qui va à l’encontre de l’avis rendu. Elle s’oppose à la notion d’avis conforme dont l’autorité administrative destinataire ne peut s’affranchir, sauf si elle le considère expressément comme entaché d’illégalité par l’application de la théorie de l’administrateur-juge5.

L’avis du conseil médical ne peut faire l’objet d’un recours devant le juge administratif que sous certaines conditions. Les irrégularités procédurales pouvant annuler une décision administrative prise après avis du conseil médical sont multiples. De manière non exhaustive, elles peuvent concerner l’irrégularité dans la composition des membres du conseil médical par des personnes qui ne sont pas professionnelles de la santé ou encore l’absence de collégialité6. Il peut également s’agir de la méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure devant le conseil. C’est la possibilité pour l’agent ou l’agente de se faire entendre par le conseil, de même que de faire entendre le médecin et la personne de son choix7. À propos du doute sur la partialité des membres du conseil ou collège consultatif, il est impératif de démontrer des faits précis qui font planer des soupçons de partialité sur un ou plusieurs membres de ce collège et qu’il ressort des circonstances que la partialité de ce ou de ces membres a pu influencer l’ensemble du collège8. En l’espèce, la requérante a bénéficié de ses moyens de défense dans le cadre de la prise de la décision d’avis tendant à la conclusion de son inaptitude physique, par l’intermédiaire de son médecin traitant et son recours administratif devant le conseil médical supérieur.

S’agissant de la procédure de reclassement de l’agent public, pour inaptitude physique, le recours devant le juge est possible si son contenu porte atteinte à ses droits et modifie ses obligations. Par conséquent, l’administration doit établir conjointement avec l’agent un projet qui définit le contenu de la préparation au reclassement, les modalités de sa mise en œuvre et fixer la durée au terme de laquelle l’intéressé présente sa demande de reclassement9. Pour les fonctionnaires territoriaux, l’administration doit adapter les modalités de mise en œuvre de la période de préparation au reclassement et déterminer les cas de report du point de départ et de sa prolongation10. Tout cela peut se faire même en l’absence de demande ou d’un refus de la part du fonctionnaire territorial11. C’est dans cette hypothèse que le juge administratif s’aligne avec la jurisprudence du juge judiciaire selon laquelle lorsqu’un salarié refuse une proposition de modification de son contrat de travail cela ne fait pas disparaître l’obligation de reclassement de l’employeur, lequel doit lui proposer éventuellement le même poste dans l’exécution de cette obligation12.

Cette procédure de reclassement se présente comme une obligation légale pour l’administration. Le fonctionnaire reconnu inapte à l’exercice de ses fonctions peut être reclassé par la voie du détachement dans un corps, cadre d’emplois ou emploi de niveau équivalent ou inférieur. Au terme d’une période d’un an, le fonctionnaire ainsi détaché peut demander son intégration dans le corps, cadre d’emplois ou emploi de détachement. Le reclassement s’effectue selon les modalités et les conditions d’ancienneté fixées par le statut particulier du corps d’appartenance, ce cadre d’emplois ou cet emploi, nonobstant la limite d’âge supérieure13.

Ainsi, dans le secteur de l’enseignement, l’affectation sur un emploi adapté ne présentant qu’une portée transitoire, cette procédure ne saurait faire durablement obstacle au reclassement de l’agent lorsque, dans son corps, aucun emploi compatible avec son état physique ne permet son affectation définitive14.

Il faut aussi ajouter que le reclassement d’agents publics territoriaux à des postes situés sur le territoire de la commune qui les emploie ne doit pas porter à une atteinte disproportionnée au respect de leur vie privée et familiale. Il incombe dans ce cadre aux juridictions d’apprécier, compte tenu des nécessités du service, si l’atteinte portée à la vie privée et familiale de l’agent est disproportionnée. Il est important de rappeler que le juge ne peut se borner à retenir les conséquences de la mutation sur la situation personnelle et familiale de l’agent, mais doit apprécier ces éléments au regard des impératifs et des contraintes de l’emploi public que l’agent occupe15.

Enfin, la procédure de reclassement dans le domaine de l’enseignement doit aussi respecter la parité. Le 21 avril 2022, la cour administrative d’appel de Versailles a apporté quelques précisions en ce sens. Ainsi, par application combinée du principe de parité et du décret du 5 décembre 1951, le classement des maîtres reçus au concours d’accès à l’échelle de rémunération des professeurs certifiés de l’enseignement privé doit tenir compte, au titre de l’ancienneté pour l’avancement d’échelon, des années d’enseignement que l’agent a antérieurement accomplies en qualité de titulaire de l’enseignement public. Toutefois, le bénéfice d’une telle reprise d’ancienneté est subordonné à la condition que l’intéressé ait cessé ces fonctions au maximum un an avant la date à laquelle il a été reçu à ce concours16.

En revanche, l’engagement d’une procédure de reclassement n’est pas nécessaire dans le cadre d’une procédure de licenciement de l’agent public pour insuffisance professionnelle17.

Il est aussi pertinent de préciser qu’il n’y a pas de reclassement dans le cas où l’administration décide d’affecter un agent déclaré apte à la poursuite de ses fonctions, mais dans un environnement différent sur un nouvel emploi impliquant la réalisation de tâches identiques ou semblables à celles précédemment exercées et n’entraînant ni perte de rémunération ni perte de responsabilités18.

Les avis du conseil médical pour inaptitude physique aboutissant à une décision administrative d’engagement d’une procédure de reclassement sont donc initialement des actes de droit souple. Leur contrôle par le juge administratif est de prime abord irréalisable. Ce contrôle n’est possible que s’ils modifient de manière conséquente la situation juridique de l’agent public. Les recours pour excès de pouvoir contre ces actes consistent à la vérification de leur légalité procédurale et à leur violation ou restriction de certains droits de l’agent public par l’administration. La partie demanderesse devait s’atteler à démontrer un vice de procédure irréfutable sur l’avis du conseil médical ou encore les effets désastreux et visibles du reclassement sur sa situation personnelle et professionnelle.

Notes

1 Henrard, Olivier, rapporteur public, « Le Conseil d’État précise la portée de l’obligation de reclassement des agents publics atteints d’une inaptitude physique à occuper leur emploi », JCPºA, nº 36, 2018, comm. 2239, JurisData nº 2018-008463. CE, 25 mai 2018, nº 407336. Retour au texte

2 CE, 8e et 3e sous-sections réunies, 17 mai 2013, nº 355524. Retour au texte

3 CE ass., 17 févr. 1950, nº 86949, min. de l’Agriculture c/ dame Lamotte. Retour au texte

4 CE, 12 juin 2020, nº 418142, GISTI et CE, 8 avr. 2022, nos 452668 et 459026, Syndicat national du marketing à la performance. Retour au texte

5 CE 26 oct. 2001, nº 216471, M. et Mme Eisenchteter. Retour au texte

6 Article 6 du décret nº 86-442 du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l’organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d’aptitude physique pour l’admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires. Retour au texte

7 Article 19 du décret nº 86-442 du 14 mars 1986 précité. Retour au texte

8 CE, 3 août 2021, nº 251336. Retour au texte

9 Article 2-2 du décret nº 84-1051 du 30 nov. 1984 pris en application de l’article 63 de la loi nº 84-16 du 11 janv. 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État en vue de faciliter le reclassement des fonctionnaires de l’État reconnus inaptes à l’exercice de leurs fonctions. Retour au texte

10 Article 2 du décret nº 2022-626 du 22 avril 2022 relatif au reclassement des fonctionnaires territoriaux reconnus inaptes à l’exercice de leurs fonctions. Retour au texte

11 Article 3 du décret nº 2022-626 précité. Retour au texte

12 Taquet, François, « Maintien de l’obligation de reclassement de l’employeur en cas de refus par le salarié d’une proposition de modification de son contrat de travail », Rev. proc. coll., nº 5, 2017, § 110, p. 39-40. Cour de cassation, chambre sociale, 4 mai 2017, pourvoi nº 15-24.398. Retour au texte

13 Articles L. 826-4 et L. 826-5 du Code général de la fonction publique. Retour au texte

14 Calley, Grégoire, « L’affectation sur un emploi adapté de l’agent déclaré inapte à l’exercice de ses fonctions », JCP A, nº 19, 2011, § 2184. CE, 15 nov. 2010 nº 330099. Retour au texte

15 Sauvageot, Jeanne, « Reclassement et respect de la vie privée et familiale des agents publics », JCP A, nº 38-39, 2022, § 2270. CAA Versailles, 19 mai 2022, nº 20VE00643. Retour au texte

16 Sauvageot, Jeanne, « Reclassement et principe de parité », JCP A, nº 26, 2022, § 2207. CAA Versailles, 21 avril 2022, nº 19VE01277. Retour au texte

17 Bijet, Carine, « Un licenciement pour insuffisance professionnelle ne nécessite pas une recherche préalable de reclassement », Dalloz actualité, 27 janv. 2017. CE, 18 janv. 2017, nº 390396. Retour au texte

18 Graveleau, Philippe, « Reclassement de l’agent inapte physiquement », Gaz. Pal., nº 44, 2018, p. 44-45 ; CE, 7 déc. 2018, nº 401812. Retour au texte

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