Installation par le maire d’une crèche de Noël dans le hall de l’hôtel de Ville d’une commune

TA de Nîmes – Chambre des référés – N°2404766 - Ligue des droits de l’homme c/commune de Beaucaire – 20 décembre 2024 - C

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Décision de justice

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Actes administratifs

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Résumé

Après avoir considéré que l’exposition d’une crèche de Noël sous l’escalier d’honneur de l’hôtel de ville est susceptible de porter une atteinte grave et immédiate, d’une part, aux principes de laïcité et de neutralité des services publics et, d’autre part, aux intérêts que l’association requérante entend défendre, le tribunal a estimé que la condition d’urgence était remplie. Le juge des référés a ensuite rappelé que l’installation d’une crèche de Noël par une personne publique dans l’enceinte de bâtiments publics, sièges d’une collectivité publique ou d’un service public ne peut, en l’absence de circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif, être regardé comme conforme aux exigences qui découlent du principe de neutralité des personnes publiques. Le juge des référés a ainsi considéré que l’installation par le maire d’une crèche de Noël au sein de l’hôtel de ville de la commune de Beaucaire, comme chaque année depuis 2014, en l’absence de circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif, caractérisait une violation de la loi du 9 décembre 1905 et des exigences attachées au principe de neutralité des personnes publiques de nature à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de cette décision.

01 Actes

01-04 Validité des actes administratifs - violation directe de la règle de droit

01-04-03 Principes généraux du droit

01-04-03-07 Principes intéressant l'action administrative

01-04-03-07-02 Neutralité du service public

Notes – références

Cf. Conseil d’État, Assemblée, 9 novembre 2018, Fédération de la libre pensée de Vendée, 395223, A

Maman, j’ai (encore) raté… mes cours de droit administratif, sur la énième affaire de la crèche de Beaucaire

Thibault Carrère

Maître de conférences, université d’Avignon, JPEG (UPR 3788)

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DOI : 10.35562/ajamont.311

L’année juridique 2024 a eu beau être exceptionnelle à bien des points de vue (dissolution de l’Assemblée nationale, constitutionnalisation de la liberté d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse, organisation des JO, etc.), elle n’a pas échappé au malheureux feuilleton désormais traditionnel de l’installation d’une crèche de Noël dans l’enceinte de la mairie de Beaucaire.

Si nos comptes sont bons, c’est, en effet, le septième jugement rendu par le tribunal administratif de Nîmes à ce sujet, auquel s’ajoutent les six arrêts des cours administratives d’appel de Marseille et de Toulouse, sans compter les recours en référés et les deux décisions de non-admission du Conseil d’État. Nul doute que les juges administratifs se passeraient bien de ce genre de cadeau de Noël qui fleure bon le recyclage. La commune de Beaucaire connaît pourtant la solution rendue classique par deux arrêts d’assemblée du Conseil d’État1 appliqués à la lettre par le tribunal administratif de Nîmes dans cette décision comme dans les précédentes.

Le tribunal administratif de Nîmes saisi d’un référé-suspension déposé par la Ligue des droits de l’homme et du citoyen (LDH) a, en effet, donné droit à cette requête et suspendu la décision par laquelle le maire de Beaucaire a décidé de l’installation d’une crèche de Noël sous l’escalier d’honneur de l’hôtel de ville et a assorti cette suspension d’une injonction de retirer la crèche sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard. Bien que cette décision soit résolument classique, l’argumentation du juge a permet d’identifier quelques interrogations persistantes dans le cadre du contentieux administratif des crèches de Noël. En outre, ce type de décision interroge quant à l’efficacité de ses effets, ce qui n’est pas sans soulever des problèmes inquiétants pour l’État de droit.

Le tribunal administratif de Nîmes a d’abord écarté l’argument d’irrecevabilité avancé par la commune selon laquelle l’installation de la crèche avait été décidée non par la commune, mais par le centre communal d’action sociale avec qui la commune avait noué le 26 novembre 2024 une convention de mise à disposition de l’espace situé sous l’escalier d’honneur de l’hôtel de ville. Selon la commune donc, la requête serait mal dirigée et de ce fait irrecevable. Le juge administratif a rapidement écarté l’argument par une appréciation in concreto de la situation. Il a considéré que, dans les faits, c’était bien la commune de Beaucaire qui était à l’origine de la « décision non formalisée » d’installer la crèche, compte tenu du comportement du maire et de la communication de la mairie. Il est heureux que le juge soit allé au-delà des apparences, pour écarter un stratagème grossier visant à rendre irrecevable le recours.

Sur la condition d’urgence, en matière de référé-suspension, celle-ci est remplie dès lors que l’exécution de la décision administrative litigieuse porte atteinte « de manière suffisamment grave et immédiate » à un intérêt public, à la situation du requérant et aux intérêts qu’il défend. En l’espèce, le juge administratif estime que la condition d’urgence est remplie puisque l’exposition d’une crèche porte à la fois atteinte à un intérêt public, les principes de laïcité et de neutralité des services publics, et aux intérêts de la LDH, dont les statuts précisent qu’elle agit « en faveur de la laïcité ». La crèche étant déjà exposée, l’atteinte est bien évidemment immédiate. Quant à la gravité, la présence d’une crèche au sein d’un établissement public, siège d’une collectivité territoriale, suffit à la caractériser, le tribunal s’écarte ainsi de la solution retenue par celui de Lyon2. Force est de constater que le tribunal administratif de Nîmes semble évasif sur ce point et qu’une argumentation plus poussée aurait été appréciable. Rappelons que cette condition d’urgence n’est pas présente dans le cadre d’une demande de suspension accompagnant un déféré préfectoral (L. 2131-6 du CGCT) ce qui avait donné lieu à certaines décisions importantes en matière de crèche de Noël3. Cela permet de s’interroger quant à l’efficacité du référé-suspension dans ce type de contentieux.

C’est relativement au doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée que le tribunal administratif de Nîmes est le plus classique dans son analyse. Il reprend, au mot près, les quatre considérants devenus classiques du Conseil d’État en la matière4. Premièrement, il rappelle les fondements du principe de laïcité et de neutralité des personnes publiques : article 1er de la Constitution, articles 1, 2 et 28 de la loi de 1905 et en déduit un principe d’interdiction d’installation de signes religieux dans un emplacement public. Il rappelle également qu’il existe des exceptions à cette interdiction. Deuxièmement, il s’intéresse plus particulièrement aux crèches de Noël qui peuvent revêtir plusieurs significations : une signification religieuse, mais aussi une signification non religieuse liée aux fêtes de fin d’année. À cet égard, le tribunal administratif de Nîmes reprend la distinction entre crèche cultuelle et crèche présentant un caractère « culturel, artistique ou festif ». Une distinction qui n’est, au demeurant, pas aisée à manier : on a du mal en effet à comprendre dans quelle mesure une représentation de la naissance du Christ pourrait ne pas revêtir un caractère cultuel… Cette solution est en réalité plutôt permissive pour les collectivités locales qui ont, par exemple, la possibilité d’installer leur crèche pendant la période de Noël à d’autres endroits, comme la voie publique. L’appréciation du juge en la matière est une appréciation in concreto : prise en compte du contexte, d’un éventuel prosélytisme, des conditions de l’installation, de l’existence d’un usage local et, surtout, du lieu de l’implantation. À ce titre, et c’est le troisième temps de la réflexion du juge, il faut distinguer entre les crèches installées dans l’enceinte des « bâtiments publics, sièges d’une collectivité publique ou d’un service public » des crèches installées sur « d’autres emplacements publics ». Dans le premier cas, le principe est celui de l’interdiction, sauf « circonstances particulières permett[ant] de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif », dans le deuxième, le principe est l’acceptation durant la période des fêtes, sauf si elle constitue « un acte de prosélytisme ou de revendication d’une opinion religieuse ».

Le tribunal administratif de Nîmes applique cette grille de lecture à la situation de la mairie de Beaucaire. Dans la mesure où la crèche se situe dans l’hôtel de ville, siège de la commune, le principe est celui de l’interdiction. En outre, le maire n’apporte aucun élément justifiant de circonstances particulières de nature à reconnaître à cette crèche un caractère culturel, artistique ou festif. Dans cette perspective, le juge reconnaît qu’il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision du maire d’implanter une crèche de la Nativité au sein de l’hôtel de ville de Beaucaire et il accepte de suspendre cette décision. Il assortit même la suspension d’une injonction sous astreinte de retirer la crèche litigieuse, au besoin en l’installant sur un autre emplacement plus conforme à l’article 28 de la loi de 1905.

La répétition des affaires, devrait-on dire de la même affaire, concernant la mairie de Beaucaire n’est pas sans inquiéter. Si la première crèche installée remonte à 2014, le changement de maire en 2024 ne semble pas avoir modifié la politique de la ville en la matière. C’est que ce n’est pas seulement une personne isolée, mais bien une partie de la classe politique qui se moque des décisions juridictionnelles et cela est bien préoccupant… Les suites de la décision du 20 décembre 2024 en témoignent. En effet, le maire de Beaucaire a refusé d’exécuter l’ordonnance de référé en ne faisant que déplacer la crèche litigieuse de l’escalier de l’hôtel de ville à l’accueil de ce dernier jusqu’au 2 février 2025. Finalement, la commune de Beaucaire a été contrainte de payer 103 000 euros en raison du refus délibéré du maire d’exécuter la décision de justice5. Nul doute que les contribuables beaucairois apprécieront. Politiquement, on peut regretter qu’une partie de la classe politique encourage la violation de principes fondamentaux de notre Constitution, à l’instar du principe de laïcité. Juridiquement, on regrettera sans doute la position du juge qui semble être bien démuni face à un comportement répété et ouvertement illégal d’une commune6. Il faut espérer que le maintien, quoi qu’il en coûte, de la crèche de Beaucaire pendant encore plusieurs années n’aboutisse pas à faire naître, en violation de la loi et de la Constitution, un « usage local » susceptible de le justifier7. On peut espérer que le juge administratif soit à nouveau vigilant et qu’il n’accepte ces usages locaux que dans la mesure où la répétition qui conduit à l’usage se fait sans heurts ni opposition, ce qui n’est pas le cas à Beaucaire.

Nous terminerons par souhaiter une « douce nuit » aux juges administratifs français, en leur rappelant que c’est à Beaucaire, peut-être plus qu’ailleurs, qu’on entend « résonner les pipeaux » des maires « conduisant leurs troupeaux ».

Notes

1 CE, ass., 9 novembre 2016, Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne, nº 395122 et CE, ass., 9 novembre 2016, Fédération de la libre pensée de Vendée nº 395223. Retour au texte

2 TA Lyon, ord. 17 décembre 2016, nº 1609064. Retour au texte

3 CAA Marseille, ord. 18 janvier 2021, nº 20MA04842. Retour au texte

4 CE, ass., 9 novembre 2016, commune de Melun, nº 395122 et CE, ass., 9 novembre 2016, Fédération de la libre pensée de Vendée nº 395223 ; CE, 14 février 2018, Fédération de la libre pensée de Vendée, nº 416348. Retour au texte

5 TA Nîmes, ord. du 7 février 2025, nº 2500194. Retour au texte

6 Pour une analyse similaire à la suite de l’affaire de 2020, voir Wathle, Camille, « Le Huron usé, fatigué, vieilli », AJDA, 2021, nº 8, p. 417. Retour au texte

7 Pour un exemple d’usage local : CAA Nantes, 6 octobre 2017, département de la Vendée c. Fédération de la libre pensée de Vendée, nº 16NT03735. Retour au texte

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