Pas de préjudice de perte de chance de vivre et indemnisation du préjudice d’angoisse de mort au titre des souffrances endurées

Civ. 2e, 23 novembre 2017, n° 16-13.948

DOI : 10.35562/ajdc.1009

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Mots-clés

perte de chance de vivre, absence de droit à réparation, angoisse de mort imminente

Rubriques

Victime directe décédée : préjudices extrapatrimoniaux

Selon la nomenclature Dintilhac, le poste de préjudice souffrances endurées englobe « toutes les souffrances physiques et psychiques ainsi que les troubles associés que doit endurer la victime durant la maladie traumatique » (J.-P. Dintilhac (dir.), Rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels, Paris, ministère de la Justice, 2005, p. 38). Sont inclus dans ce chef de préjudice les souffrances morales résultant de l’accident jusqu’à la date de consolidation puisque c’est le fait dommageable qui est la cause de ces souffrances morales (en ce sens : Y. Lambert-Faivre, S. Porchy-Simon, Droit du dommage corporel. Systèmes d’indemnisation, 8e éd., Paris, Dalloz, 2015, n° 203). Il faut donc déterminer la nature des souffrances morales subies par la victime au titre des souffrances endurées, ce dont il était justement question dans l’arrêt étudié.

En l’espèce, les demandeurs au pourvoi, agissant notamment en qualité d’héritier de leur fils décédé, reprochaient à la cour d’appel de Bastia de les avoir déboutés, dans son arrêt du 20 janvier 2016, de leur demande en indemnisation de la perte de chance de vivre et de la conscience de l’imminence de sa mort par la victime directe. Leur pourvoi avait cependant peu de chance d’aboutir. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, si elle englobe dans les souffrances endurées l’angoisse de mort imminente, susceptible d’être indemnisée quand la victime a pris conscience du caractère inéluctable de sa mort, refuse d’indemniser le préjudice lié à l’abrégement de la vie. Il importe ainsi pour les héritiers de qualifier précisément le préjudice dont ils demandent réparation.

L’état actuel de la jurisprudence montre que la Cour de cassation ne reconnaît pas l’existence d’un préjudice de vie abrégée, de perte de chance de vie ou encore d’espérance de vie. La chambre criminelle considère qu’« aucun préjudice résultant de son propre décès n’a pu naître, du vivant de la victime, dans son patrimoine et être ainsi transmis à ses héritiers » et que « le droit de vivre jusqu’à un âge statistiquement déterminé n’est pas suffisamment certain au regard des aléas innombrables de la vie quotidienne et des fluctuations de l’état de santé de toute personne, pour être tenu pour un droit acquis, entré dans le patrimoine de celle-ci, et comme tel, transmissible à ses héritiers lorsque survient un évènement qui emporte le décès » (Cass. crim., 26 mars 2013, n° 12-82.600 ; V. égal. : Cass. crim., 29 avril 2014, n° 13-80.693). La deuxième chambre civile juge également que « la perte de sa vie ne fait en elle-même naître aucun droit à réparation dans le patrimoine de la victime » et « que seul est indemnisable le préjudice résultant de la souffrance morale liée à la conscience de sa mort prochaine » (Civ. 2e, 20 octobre 2016, n° 14-28.866 ; V. égal. : Cass. Civ. 18 avril 2013, n° 12-18.199). Dans cet arrêt du 23 novembre 2017, la deuxième chambre civile rappelle ainsi dans les mêmes termes une solution constante. Elle précise même que c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que la perte de la possibilité de vivre, engendrée par son décès, n’était pas un préjudice que l’enfant avait pu subir de son vivant.

Cet arrêt est aussi l’occasion pour la deuxième chambre de rappeler que le poste de préjudice souffrances endurées englobe également, en fonction des circonstances de l’accident, l’angoisse de mort imminente. À la différence de la chambre criminelle (Cass. crim., 23 octobre 2012, n° 11-83.770 ; Cass. crim., 15 octobre 2013, n° 12-83.055 ; Cass. crim. 27 septembre 2016, n° 11-83.770), elle refuse de réparer séparément l’angoisse de mort imminente et les souffrances endurées. Elle a en effet jugé que « le préjudice moral lié aux souffrances psychiques et aux troubles qui y sont associés étant inclus dans le poste de préjudice temporaire des souffrances endurées, quelle que soit l’origine desdites souffrances, le préjudice lié à la conscience de sa mort prochaine, qualifié dans l’arrêt de préjudice d’angoisse de mort imminente, ne peut être indemnisé séparément » (Civ. 2e, 2 février 2017, n° 16-11.411 ; V. égal. : Civ. 2e, 11 septembre 2014, n° 13-21.506 ; Civ. 2e, 14 septembre 2017, n° 16-22.013). Pour autant, certains considèrent que le poste des souffrances endurées « a pour objet d’indemniser principalement les souffrances subies pendant la maladie traumatique, c’est-à-dire à partir du moment où la victime a subi une atteinte corporelle » et qu’il n’a « pas vocation à saisir les souffrances psychiques liées à l’angoisse extrême ressentie par les victimes confrontées à ces actes violents pendant le cours de l’événement, indépendamment des conséquences du stress post-traumatique ou de l’existence de blessures » (S. Porchy-Simon (dir.), L’Indemnisation des préjudices situationnels d’angoisse des victimes directes et de leurs proches, Paris, ministère de la Justice/ministère de l’Économie et des Finances/ secrétariat d’État chargé de l’Aide aux Victimes, 2016, p. 40).

En tout état de cause, l’angoisse de mort imminente, pour exister et être réparable au titre des souffrances endurées – devant la deuxième chambre de la Cour de cassation – ou de manière autonome – devant la chambre criminelle de la Cour de cassation, doit être établie. Cela implique que la victime ait eu un état de conscience suffisant pour envisager sa propre mort (Cass. crim., 5 octobre 2010, n° 09-87.385 ; Cass. crim., 5 octobre 2010, n° 10-81.743 ; Cass. crim., 23 octobre 2012, n° 11-83.770 ; Cass. crim., 26 mars 2013, n° 12-82.600), ou encore qu’elle ait eu conscience de la gravité de son état et du caractère inéluctable de son décès (Civ 2e, 18 avril 2013, n° 12-18.199). Autrement dit, la victime doit être consciente de son état (Cass. crim., 17 septembre 2016, n° 15-83.409 ; V. égal. : Civ. 2e, 20 octobre 2016, n° 14-28.866), notamment dans les minutes qui suivent l’accident (Cass. crim., 27 septembre 2016, n° 15-84.238). La conscience d’une mort imminente n’est dès lors pas automatique. Elle est encore moins présumée. Son indemnisation n’est possible que si la preuve d’une véritable conscience de la victime est rapportée, car c’est à cette condition que ce préjudice – et la créance de réparation qui en découle – est entré dans le patrimoine de la victime et transmis aux héritiers. En l’espèce, cette preuve n’était pas rapportée pour la cour d’appel de Bastia qui a considéré quant à la conscience qu’aurait pu avoir l’enfant de l’imminence de sa mort, qu’il s’agit d’un préjudice dont l’existence n’est pas établie avec certitude par les éléments du dossier.

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Geoffroy Hilger, « Pas de préjudice de perte de chance de vivre et indemnisation du préjudice d’angoisse de mort au titre des souffrances endurées », Actualité juridique du dommage corporel [En ligne], 14 | 2017, mis en ligne le 20 février 2018, consulté le 20 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/ajdc/index.php?id=1009

Auteur

Geoffroy Hilger

Université de Lille, Centre de recherche droit et perspectives du droit, CRDP, EA 4487, F-59024, Lille, France

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