Décision attaquée : Cour d’appel de Paris du 15 février 2022.
En l’espèce, Mme R. est blessée dans un accident de la circulation impliquant un autre véhicule. Le conducteur est déclaré responsable. Statuant ultérieurement sur les intérêts civils, le tribunal le condamne à réparer les préjudices subis par la victime, dont 34 438,31 € au titre des dépenses de santé futures (« DSF »). Insatisfaite, la victime interjette appel de cette décision et estime que ce préjudice s’élève à la somme de 89 141,14 €. Dans un arrêt du 15 février 2022, la cour d’appel de Paris évalue les DSF de la victime à hauteur de 52 722, 43 € (somme capitalisée de manière viagère). Elle refuse, notamment, la demande de la victime au titre des comprimés de Cacit indispensables à son traitement médical, aux motifs « qu’il n’était pas établi qu’ils n’étaient pas pris en charge par la sécurité sociale » selon le médecin expert. Les juges du fond en déduisent alors qu’au vu des certificats médicaux, ordonnances et factures produites, le reste à charge annuel se limite à la somme de 2 099,03 €.
La victime forme alors un pourvoi en cassation. Elle considère, d’une part, que les magistrats doivent procéder à l’évaluation du préjudice, indépendamment des prestations versées par les organismes sociaux. Elle rappelle, d’autre part, « que celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver » et que réciproquement « celui qui se prétend libéré, doit justifier le payement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ».
La chambre criminelle de la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa des articles 1240 du Code civil et 593 du Code de procédure pénale :
« Selon le premier de ces textes, le préjudice résultant d’une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties, et dans les limites des conclusions de celles-ci. Selon le second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence. »
La haute juridique indique qu’en constatant que l’état de santé de la victime nécessitait un traitement à vie de calcium – fût-il non remboursé par l’organisme social ou la mutuelle de celle-ci – la cour d’appel établissait l’existence d’un préjudice. Partant, elle devait (dans la limite des conclusions des parties) en évaluer le coût, et le réparer dans son intégralité (au titre des DSF de la victime directe). L’affaire est finalement renvoyée devant la cour d’appel de Paris autrement composée.
La solution retenue par la Cour de cassation n’est pas surprenante. Cette décision s’inscrit dans la lignée jurisprudentielle : les juges du fond doivent procéder à l’évaluation du préjudice et le réparer dans son intégralité dès lors qu’ils en constatent l’existence ; quelles que soient les difficultés rencontrées pour le chiffrage indemnitaire (en ce sens : Cass. 2e Civ., 14 décembre 2017, no 16-25.245 « Qu’en statuant ainsi, en refusant d’évaluer le montant d’un dommage dont elle avait constaté l’existence en son principe, la cour d’appel a violé le texte susvisé » ; Cass. 2e Civ., 25 octobre 2018, no 17-26.696 ou encore Cass. 2e Civ., 13 juin 2019, no 18-20.547). Dans la mesure où la victime nécessite – consécutivement à l’accident – un traitement à vie, celui-ci doit faire l’objet d’une réparation de la part des juridictions (au titre des DSF) ; même en l’absence d’information sur la prise en charge par les organismes sociaux. Ainsi que l’indique un auteur : « la carence des caisses ne doit pas peser sur l’évaluation et l’indemnisation des victimes » (Dahbia Zegout, « La réparation intégrale implique l’évaluation d’un traitement à vie, y compris en l’absence de créance de la caisse », Gaz Pal., 2023, no 6, p. 52). Il s’agit là d’une manière indirecte, pour la Cour de cassation, de venir rappeler, d’une part, le principe de non affection (libre disposition) des dommages et intérêts ; et, d’autre part, que les juges ne sont pas liés par les conclusions du rapport d’expertise (Noémie Klein, « Le juge doit lui-même évaluer le montant de l’indemnisation d’un dommage dès lors qu’il en constate l’existence », Gaz Pal., 2019, no 3, p. 52). En cela, la solution mérite d’être approuvée puisqu’elle a vocation à préserver l’intérêt des victimes.