Autonomisation de l’assistance par tierce personne temporaire

Cass. 2e Civ., 19 janvier 2023, no 20-20.071

DOI : 10.35562/ajdc.1739

Résumé

L’assistance par tierce personne de la victime directe doit pouvoir être indemnisée, en toute autonomie, à titre temporaire, dès lors que la victime était dans l’impossibilité de vivre seule pendant une période ante-consolidation.

Décision attaquée : Cour d’appel de Grenoble du 1er octobre 2019.

Dans les faits de l’espèce, M. Y est victime d’une agression. Le coupable est déclaré entièrement responsable. Une expertise médicale est ordonnée. La victime et plusieurs ayants droit ont saisi la commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) pour obtenir une indemnisation de leurs préjudices. La victime est finalement décédée.

La cour d’appel de Grenoble, dans un arrêt en date du 1er octobre 2019, déboute la victime de sa demande au titre de l’assistance par tierce personne (ATP). Les juges du fonds rappellent que ce poste de préjudice à vocation à indemniser exclusivement les dépenses permanentes de la victime directe. Partant, les frais temporaires que la victime peut être amenée à débourser durant la maladie traumatique doivent être indemnisés au titre des « frais divers » (FD). Or, d’après le rapport d’expertise, la victime – qui était temporairement dans l’incapacité de vivre seule – a pu bénéficier d’une assistance familiale dans les suites de son agression jusqu’à la mi-juillet 2008 (soit avant consolidation). D’après les magistrats, la réparation au titre d’une ATP n’est donc pas « médicalement justifiée ». La solution s’inscrit dans la logique du rapport Dintilhac qui a fait le choix de faire de ce préjudice un poste purement permanent.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation ne semble toutefois pas de cet avis. En effet, la haute juridiction vient censurer la solution, au nom du principe de réparation intégrale. Elle indique qu’en statuant ainsi, « alors qu’elle relevait que les experts avaient conclu que [la victime] avait été dans l’impossibilité de vivre seul pendant une certaine période et avait dû avoir recours à l’assistance de sa famille, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le principe [de réparation intégrale] ». La Cour se fonde ainsi sur des éléments factuels pour considérer que la demande d’indemnisation de la victime est recevable. La solution apparaît intéressante sur deux points.

Premièrement, cette affaire est l’occasion pour la Cour de cassation de venir rappeler que l’assistance par tierce personne doit être indemnisée, même si celle-ci est assurée par la famille (sur ce point V. CE, 27 décembre 2019, no 421792 ; Cass. 2e Civ., 4 mai 2017, no 16-16.885 et pour un rappel récent Cass. 2e Civ., 17 décembre 2020, no 19-15.969 : « Le montant de l’indemnité allouée au titre de l’assistance d’une tierce personne ne saurait être réduit en cas d’assistance familiale ni subordonné à la justification de dépenses effectives. »)

Deuxièmement, cette affaire est également l’occasion pour la Cour de cassation de venir indiquer que les besoins en aide humaine doivent être réparés à titre autonome, qu’ils soient permanents ou temporaires, sans que ceux-ci ne soient soumis à une condition de gravité de l’atteinte (obs. Renelier A., « La réparation intégrale de l’assistance par tierce personne : rien que le besoin mais tout le besoin ! », Gaz Pal., 2023, no 19, p. 58). Bien que ce poste de préjudice ne soit pas ainsi envisagé dans la nomenclature « Dintilhac », la décision apparaît plutôt cohérente. Effectivement, il ne s’agit pas de « dépenses engagées » mais « d’un besoin » qu’il convient de compenser (Lambert-Faivre Y. et Porchy-Simon S., Droit du dommage corporel. Systèmes d’indemnisation, Dalloz, 8e éd. 2016 p. 120 ; Mor G. et Clerc-Renaud L., Réparation du préjudice corporel. Stratégies d’indemnisation, méthodes d’évaluation, éd. Delmas, 3e éd. 2020, p. 453 ; Ceccaldi M.-A., « Fiche pratique III : La tierce personne temporaire », Gaz. Pal., 31 janvier 2009, no 31, p. 25). À ce titre, la décision n’apparaît pas injustifiée, dans la mesure où « la consolidation n’est pas nécessairement une césure unique ou pertinente dans l’évaluation de la tierce personne » (Quézel-Ambrunaz C., Le Droit du dommage corporel, LGDJ, 2022, p. 208). La nomenclature « Dintilhac » n’ayant pas force obligatoire, aucun interdit n’empêche d’opérer cette autonomisation. Celle-ci est d’ailleurs largement plébiscitée par les avocats de victimes et les médecins conseils (Le Roy M., Le Roy J-D., Bibal F., L’Évaluation du préjudice corporel, LexisNexis, 20e éd., 2015, p. 71) ; notamment par l’ANADOC (cf. fiche pratique). En pratique, les juges œuvrent également pour l’indépendance de ce poste de préjudice lorsque cela leur est demandé afin de réparer le besoin d’un tiers auprès de la victime, entre le fait générateur et la consolidation (pour un exemple : Cass. 2e Civ., 15 avril 2010, no 09-14.042). Bien que les assureurs, quant à eux, s’arrêtent à une lecture strictement littérale de la nomenclature « Dintilhac », et considèrent que cette assistance temporaire (matérielle comme humaine) doit être réparée au titre des « frais divers » de la victime directe, la dernière mission d’expertise médicale présentée par l’AREDOC tend à en caractériser une progressive indépendance (Mission AREDOC 2023).

Enfin, soulignons que la Cour de cassation est également venue préciser, dans un arrêt du 8 février 2023 (Cass. 1re Civ., 8 février 2023, no 21-24.991), que la victime directe peut obtenir une indemnisation au titre de l’assistance par tierce personne pendant les périodes d’hospitalisation.

En conclusion, par ces deux arrêts la haute juridiction vient rappeler que le préjudice lié à l’assistance par une tierce personne « ne se limite pas aux seuls besoins vitaux de la victime, mais indemnise sa perte d’autonomie la mettant dans l’obligation de recourir à un tiers pour l’assister dans l’ensemble des actes de la vie quotidienne », dans le prolongement de sa jurisprudence constance (en ce sens V. Cass. 2e Civ., 16 décembre 2021, no 20-14.233 et Cass. 2e Civ., 10 février 2022, no 20-19.356).

Document annexe

Citer cet article

Référence électronique

Émeline Augier-Francia, « Autonomisation de l’assistance par tierce personne temporaire », Actualité juridique du dommage corporel [En ligne], 25 | 2023, mis en ligne le 20 juillet 2023, consulté le 05 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/ajdc/index.php?id=1739

Auteur

Émeline Augier-Francia

Maître de conférences de droit privé, université Clermont Auvergne, Centre Michel de L’Hospital, F-63000 Clermont-Ferrand, France

Autres ressources du même auteur

  • IDREF

Articles du même auteur

Droits d'auteur

CC BY