Affaire Médiator : le régime spécial du fait des produits défectueux n’exclut pas une action en responsabilité sur le fondement de droit commun en cas de faute détachable de la défectuosité du produit de la part du producteur

DOI : 10.35562/ajdc.1896

Cour de cassation, Cass. 2e Civ. – N° 22-21.174 – 15 novembre 2023

Décision attaquée : CA Versailles, 7 juillet 2022, nº 21/06043

V. également du même jour les décisions nº 22-21.178, nº 22-21.179 et nº 22-21.180

 : Cour de cassation

 : 22-21.174

 : 15 novembre 2023

Abstract

À travers cette série de décisions, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation vient préciser les conditions dans lesquelles la victime d’un dommage causé par un médicament défectueux peut agir sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle de droit commun (article 1240 du Code civil). Aussi, la victime peut engager la responsabilité civile du producteur du médicament, si elle parvient à prouver que son dommage est imputable à une faute délictuelle. Cette faute est caractérisée si le producteur maintient en circulation un produit dont il connaît la défectuosité, ou en cas de manquement à son devoir de vigilance quant aux risques présentés par le produit.

En l’espèce, la victime présente des lésions cardiaques consécutivement à la prise de Médiator pendant plusieurs années. Le 14 octobre 2011, elle décide de saisir le collège d’experts de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM). Par avis du 21 juillet 2015, l’ONIAM considère que son dommage est imputable au médicament. Le 16 octobre 2015, les laboratoires Servier (producteur du médicament depuis 1976) transmettent à la victime une offre d’indemnisation qui est refusée car jugée insuffisante. En juillet 2020, la victime (ainsi que sa fille et sa petite-fille) assigne le producteur. Elle intente l’action sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux. Le producteur lui oppose toutefois la prescription de l’action. La victime fonde alors son action sur le fondement de la responsabilité du fait personnel de l’article 1240 du Code civil.

La cour d’appel de Versailles, le 7 juillet 2022, déclare la demande irrecevable. Elle indique, d’abord, que l’action de la victime, sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux, est prescrite. Elle précise, ensuite, que la victime n’est pas en droit d’agir envers le producteur sur le fondement du droit commun (de l’article 1240 du Code civil), donc de lui reprocher une faute personnelle, dans la mesure où il existe un régime indemnitaire spécifique.

La victime déboutée décide de former un pourvoi en cassation. Elle soutient que « le régime de responsabilité du fait des produits défectueux n’exclut pas l’application d’autres régimes de responsabilité, dès lors que ceux-ci reposent sur des fondements différents de celui d’un défaut de sécurité du produit litigieux, [telle] la faute […] ». Or, selon elle, le producteur, « bien que connaissant la dangerosité du Médiator, s’était volontairement abstenu de toute mesure pour en suspendre la commercialisation et avait délibérément maintenu ce produit en circulation ». Il s’agit là d’un comportement dont il résulte une faute distincte du défaut de sécurité du produit.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, le 15 novembre 2023, opère une cassation totale. Au visa des articles 1386-18 et 1382 devenus 1245-17 et 1240 du Code civil, elle considère que :

« la victime d’un dommage imputé à un produit défectueux peut agir en responsabilité contre le producteur sur le fondement du second de ces textes, si elle établit que son dommage résulte d’une faute commise par le producteur, telle qu’un maintien en circulation du produit dont il connaît le défaut ou encore un manquement à son devoir de vigilance quant aux risques présentés par le produit ».

Ce faisant, la Cour vient donc « faciliter l’action en justice de la victime d’un médicament défectueux » (communiqué de presse de la Cour de cassation relatif à l’arrêt). Au regard de la solution, la victime peut demander au producteur la réparation de son préjudice en choisissant d’invoquer soit le défaut du produit (responsabilité objective du fait des produits défectueux), soit une faute commise par le producteur (droit commun de la responsabilité civile délictuelle), ce qui lui laisse davantage de temps pour agir. En effet, si la victime n’est plus en droit d’agir en invoquant le défaut du produit en raison d’une prescription (car rappelons que la responsabilité doit être engagée dans un délai maximum de 3 ans à partir de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage et de l’identité du producteur et qu’elle est éteinte dix ans après la mise en circulation du produit), elle détient toujours l’opportunité de rechercher la responsabilité du producteur en prouvant l’existence d’une faute (au sens de l’article 1240 du Code civil) dans le délai de dix ans après la date de consolidation des dommages corporels (article 2226 du Code civil). Le régime spécial du fait des produits défectueux n’exclut donc pas une action en responsabilité sur le fondement de droit commun en cas de faute détachable de la défectuosité du produit de la part du producteur (CJCE, 25 avr. 2002, González Sanchez, affaire C-183/00). En l’espèce, les parties sont renvoyées devant la cour d’appel de Paris, qui détiendra la tâche de vérifier si le producteur a effectivement commis une faute civile délictuelle à l’origine du dommage de la victime (V. également Cass. 1re civ., 10 décembre 2014, nº 13-14.314 ; Cass. 1re civ., 17 mars 2016, nº 13-18.876). Rappelons que le Médiator n’a perdu son autorisation de mise sur le marché qu’en novembre 2009 et que de très nombreuses personnes ont été traitées par ce médicament pendant plusieurs années. Cette solution présente donc, a minima, le mérite de venir simplifier l’action en justice des victimes de ce médicament – de facto plus largement l’indemnisation des victimes de produits défectueux –, et de pallier les inconvénients liés aux délais de prescription (article 1245-16 du Code civil) et de forclusion (article 1245-15 du Code civil) de la responsabilité de l’article 1245 du Code civil.

Pour plus de précision sur cette décision, il est possible de consulter les analyses suivantes (liste non exhaustive) :

  • Amandine Cayol, « Médiator : possibilité d’agir contre le producteur sur le fondement de la responsabilité du fait personnel », Dalloz actualité 2023
  • Jérôme Peigné, « Médicament. Médiator. Responsabilité du fait des produits défectueux. Prescription. Responsabilité pour faute », RDSS 2024, p. 162-166
  • Vincent Rivollier, « L’option entre le régime de responsabilité du fait des produits défectueux et le droit commun de la responsabilité délictuelle pour faute. Vers l’abandon de l’exigence d’une faute détachable du défaut du produit ? », D. 2024, p. 150-156
  • Camillia Pereira, « La victime d’un dommage imputé à un produit défectueux peut agir en responsabilité contre le producteur sur le fondement du droit commun de la responsabilité pour faute », Revue Lamy droit civil, 2024, nº 221.

References

Electronic reference

Émeline Augier-Francia, « Affaire Médiator : le régime spécial du fait des produits défectueux n’exclut pas une action en responsabilité sur le fondement de droit commun en cas de faute détachable de la défectuosité du produit de la part du producteur », Actualité juridique du dommage corporel [Online], 26 | 2024, Online since 31 mai 2024, connection on 18 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/ajdc/index.php?id=1896

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Émeline Augier-Francia

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