Reconnue par un arrêt du 11 mai 2010 (Soc., 11 mai 2010, n° 09-42.241) comme le fait pour le salarié de se trouver, de par le fait de son employeur, dans une situation d’inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante, la réparation du préjudice d’anxiété fait depuis l’objet d’une jurisprudence prolifique visant à en préciser progressivement le régime.
De ce point de vue, l’arrêt commenté, promis à une publication au Bulletin, présente un double intérêt : celui d’un rappel quant à l’allègement de la preuve du préjudice d’anxiété et d’une précision quant à ses éléments constitutifs.
S’agissant tout d’abord de la preuve du préjudice, l’un des moyens du pourvoi reprochait notamment aux juges du fond d’avoir retenu l’existence d’un préjudice d’anxiété aux salariés alors même qu’ils ne justifiaient pas de sa réalité. Sur ce point, la position adoptée par la Haute juridiction ne s’avère guère originale. Reprenant la solution qu’elle avait posée dans un arrêt du 4 décembre 2012 (Soc., 4 décembre 2012, n° 11-26.294) puis confirmé dans plusieurs arrêts du 25 septembre 2013 (Soc., 25 septembre 2013, n° 12-17667, 12-17.668, 12.17.669), la chambre sociale de la Cour de cassation rejette le moyen invoqué, rappelant que la caractérisation du préjudice d’anxiété n’est plus conditionnée par le fait pour le salarié de s’être soumis à des contrôles et examens réguliers. Désormais, le seul fait d’avoir travaillé dans un établissement mentionné à l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l’amiante ou des matériaux contenant de l’amiante suffit à démontrer l’existence d’un préjudice pour le salarié, ce qui était le cas en l’espèce.
L’arrêt s’avère bien plus singulier quant à l’appréciation qu’il fait des éléments constitutifs du préjudice d’anxiété. La Haute juridiction énonce en effet que le préjudice d’anxiété n’est pas seulement constitué par l’exposition au risque créé par l’amiante, mais nécessite également la connaissance de ce risque par le salarié.
Se fondant sur un élément objectif, l’arrêté ministériel, pour en déterminer la date, elle conclut que le préjudice était né à la postérieurement à l’ouverture de la procédure collective, de sorte que la garantie de l’AGS prévue par l’article L3253-8, 1° du code du travail n’était pas due.
Si cette solution se révèle peu opportune au regard de la situation des salariés, elle semble malgré tout se justifier du fait de la spécificité du préjudice réparé. Ainsi, si le préjudice d’anxiété a vocation à réparer le sentiment d’angoisse dans lequel les salariés exposés se trouvent, celui-ci induit irrémédiablement la connaissance par ces salariés des risques liés à telle exposition. À défaut, ce sentiment ne peut exister. Une appréciation analogue se retrouve dans le contentieux relatif au préjudice spécifique de contamination. La deuxième chambre civile a ainsi pu considérer à l’occasion d’un arrêt du 22 novembre 2012 (Civ. 2e, 22 novembre 2012, n° 11-21.031) que « le caractère exceptionnel de ce préjudice est intrinsèquement associé à la prise de conscience des effets spécifiques de la contamination », refusant sur ce motif l’indemnisation des ayants droit d’une victime décédée des suites d’une contamination transfusionnelle alors même qu’elle n’en avait pas eu connaissance.