Le Conseil d’État, par deux arrêts rendus le même jour (CE, 12 décembre 2014, n° 355052 et 365211), clarifie les contours de la notion d’anormalité du dommage qui constitue, rappelons-le, l’une des conditions de la prise en charge par la solidarité nationale des accidents médicaux non fautifs.
La Haute juridiction administrative commence par rappeler que la condition d’anormalité du dommage doit toujours être regardée comme remplie lorsque l’acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l’absence de traitement.
Ainsi, apprécier l’anormalité implique pour le juge de comparer le dommage subi effectivement par le patient consécutivement à l’acte médical litigieux avec celui auquel il aurait été spontanément exposé si l’intervention n’avait pas été pratiquée.
Toutefois le Conseil d’État ajoute que « même lorsque les conséquences de l’acte médical sont sans commune mesure avec l’évolution de l’état du patient, celles-ci devront être regardées comme anormales si, dans les conditions où l’acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible ».
Ainsi, la Haute juridiction prend en considération à la fois l’évolution prévisible de l’état du patient mais également l’importance du risque opératoire comme élément constitutif de l’anormalité.
Ainsi, « elles [les conséquences] ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l’état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l’origine du dommage ; »
C’est dans ces conditions que le Conseil d’État a approuvé une cour d’appel d’avoir retenu l’anormalité du dommage s’agissant d’une femme paralysée des 4 membres à la suite d’une intervention chirurgicale ayant pour objet de traiter la hernie discale dont elle était atteinte.
Comme l’avait relevé la cour d’appel, l’anormalité était caractérisée à deux niveaux. D’une part, la gravité de ce handicap était sans commune mesure avec celle de l’état initial de l’intéressé. D’autre part, selon l’expert, il n’existait pratiquement aucun risque, en l’absence d’intervention, de voir la hernie discale cervicale C4-C5 évoluer vers une tétra parésie.
En revanche, dans la seconde décision, le Conseil d’État a estimé que ne constituait pas un dommage anormal une sténose laryngée (provoquant des difficultés respiratoires ainsi que des troubles de la phonation et de la déglutition) dans la mesure où cette pathologie était consécutive à une intubation pratiquée en urgence sur une patiente en état de coma diabétique et dont le pronostic vital était engagé.
La Cour relève que l’état initial du patient était sans commune mesure avec le dommage qui s’est réalisé et que le risque de sténose laryngée inhérent à cet acte médical s’il revêtait, en principe, un caractère exceptionnel, présentait un risque important, dans les circonstances de l’espèce, compte tenu notamment du fait qu’il avait dû être pratiqué en urgence.
On ne peut que se réjouir de ces décisions qui posent enfin une définition claire et synthétique d’une condition essentielle de la réparation.