La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt rendu le 2 juillet 2015 publié au Bulletin, consolide sa jurisprudence sur la question épineuse du caractère déductible de la prestation de compensation du handicap de l’indemnisation allouée à une victime de dommage corporel.
La prestation de compensation du handicap (ci-après PCH), mise en place par la loi du 11 février 2005, est une aide personnalisée versée par le conseil général permettant la prise en charge de certaines aides techniques, humaines ou animalières afin de compenser des handicaps lourds.
Cette prestation doit être différenciée de l’allocation aux adultes handicapées, versées par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), dont l’objet est d’allouer un revenu minimum aux adultes en situation de handicap. Elle se distingue également de la pension d’invalidité, versée par la sécurité sociale, qui permet d’allouer à un assuré social une pension destinée à compenser la réduction de sa capacité professionnelle.
Tout l’enjeu du présent arrêt était de savoir si la PCH devait venir en déduction de l’indemnisation allouée à la victime au titre de l’aide humaine.
Cette problématique a donné lieu à un feuilleton jurisprudentiel dont il convient de retracer les grandes lignes.
Initialement, la jurisprudence se prononçait sans équivoque par la négative, attribuant un caractère indemnitaire à l’allocation compensatrice de tierce-personne, ancêtre de la prestation de compensation du handicap (voir en ce sens : Civ. 2e, 5 juillet 2006, n° 05-16.122).
Il convient de rappeler que la jurisprudence de la Cour de cassation opérait traditionnellement une distinction entre les prestations de nature indemnitaire déductibles de l’indemnisation allouée à la victime en ce qu’elles ont pour but de réparer en partie ou en totalité le préjudice subi (prestations indemnitaires par effet de la loi ou par décision du juge) et celles de nature forfaitaire parmi lesquelles les prestations dites d’assistance, ne pouvant donner lieu à une telle déduction (voir par exemple : Civ. 2e, 10 juillet 2008, n° 07-17.424 à propos de l’allocation aux adultes handicapés). Des arrêts récents rendus par la Cour de cassation sont venus semer le trouble sur la nature de la PCH.
Ainsi, par un arrêt rendu le 16 mai 2013, la deuxième chambre civile, dans une affaire opposant une victime aux Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO) se prononçait en faveur d’une déductibilité de la prestation de compensation du handicap (Civ. 2e, 16 mai 2013, n° 12-18.093), solution qu’elle appliquait également à l’égard du Fonds de garantie des victimes d’infractions pénales (Civ. 2e, 13 février 2014, n° 12-23.731 ; Civ. 2e, 12 juin 2014, n° 13-12.185).
La portée de ces décisions a divisé la doctrine et les praticiens de l’indemnisation. Les avocats de victime considéraient que le caractère déductible de la prestation de compensation du handicap avait été retenu dans les présents arrêts seulement à l’égard des fonds d’indemnisation, une telle solution ne pouvant être étendue, selon eux, aux actions en réparation opposant une victime à une compagnie d’assurance.
Les assureurs, quant à eux, considéraient que les Conseillers du Quai de l’Horloge avaient posé une solution générale, et qu’il ne convenait donc pas de faire une distinction de régime en fonction du débiteur de l’indemnisation.
Une première réponse était apportée par la première chambre civile de la Cour de cassation qui refusait de déduire la PCH au motif qu’elle ne faisait pas partie de la liste ouvrant droit à recours subrogatoire au titre des articles 29 et33 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 (Civ. 2e, 19 mars 2015, n° 14-12.792).
Par l’arrêt commenté, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation adopte une solution similaire :
« c’est à tort que la cour d’appel se détermine ainsi et comptabilise dans une rubrique intitulée débours tiers payeur les sommes versées au titre de la prestation de compensation du handicap, alors qu’il résulte des articles 29 et 33 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 que seules doivent être imputées sur l’indemnité réparant l’atteinte à l’intégrité physique de la victime les prestations versées par des tiers payeurs qui ouvrent droit, au profit de ceux-ci, à un recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation et que la prestation de compensation du handicap non mentionnée par le premier de ces textes ne donne pas lieu à recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation ».
Ainsi, selon la Cour, dès lors qu’une prestation ne fait pas partie de celles ouvrant droit à recours pour les tiers payeurs au sens de l’article 29 de la loi de 1985, elle ne peut faire l’objet d’aucune déduction.
Comme le résume parfaitement Frédéric Bibal (« Prestation de compensation : unisson ou dissonance des chambres de la Cour de cassation ? », Gazette du Palais, 27 octobre 2015, n° 300, p. 37) :
« Le raisonnement suivi est simple :
• déterminer en premier lieu si le tiers payeur qui a versé la prestation dispose d’un recours subrogatoire, ce qui implique de se référer à la liste énumérée à l’article 29 de la loi de 1985 susvisée. Concernant la PCH, celle-ci n’étant pas mentionnée au-dit article, le Conseil général qui verse cette prestation ne dispose pas de recours subrogatoire ;
• conséquence pour l’assureur : le tiers payeur ne disposant pas de recours subrogatoire, l’assureur ne peut solliciter la déduction de la prestation. Sur d’autres prestations, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rappelle régulièrement cette solution. »
Pour aller plus loin :
Pour une transposition de la solution à l’allocation de retour à l’emploi, voir Civ. 2e, 12 juin 2014, n° 13-18.459.