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Annulation d’un acte de reconnaissance : quid des conséquences manifestement excessives sur un titre séjour ?

Aurore Camuzat


1Il n’est plus à démontrer que droit de la famille et droit des étrangers peuvent être liés. À l’instar des autres juridictions françaises, la cour d’appel de Lyon doit souvent statuer en matière de droit des étrangers. Le contentieux n’est pas une nouveauté. La particularité de cette affaire est que tout repose sur les éventuelles conséquences, en matière de droit des étrangers, de l’annulation d’un acte de reconnaissance.

2Une femme de nationalité marocaine a quitté son pays avec ses deux enfants pour rejoindre la France au cours de l’été 2011. Une fois arrivée sur le territoire français, elle a entretenu des relations avec plusieurs hommes, conduisant à une grossesse. Une petite fille est née sur le territoire français le 20 juin 2012. Quelques mois plus tard, plus précisément le 8 février 2013, l’un des hommes ayant entretenu des relations avec la mère a reconnu l’enfant. Par la suite, la demanderesse a bénéficié d’un titre de séjour « vie privée et familiale », délivré en qualité de parent d’un enfant français, valable jusqu’en 2020.

3Le préfet du Rhône a prévenu le procureur de la République de Lyon d’une éventuelle reconnaissance frauduleuse. Une expertise ADN a été conduite, concluant à la non-paternité de l’homme ayant reconnu l’enfant. Face à ce constat, le procureur de la République a saisi le tribunal de grande instance de Lyon de l’annulation de l’acte de reconnaissance effectué le 8 février 2013. Dans un jugement en date du 5 juin 2019, celui-ci a prononcé l’annulation dudit acte et ordonné l’exécution provisoire de son jugement.

4La demanderesse a fait appel de ce jugement et en parallèle, a saisi en référé le premier président de la cour d’appel de Lyon. Il n’est nul besoin de rappeler que l’appel ne permet pas de suspendre l’exécution provisoire d’une décision de justice et que seul le recours en référé le peut (N. Fricero, « Appel en matière civile : procédure contentieuse », Synthèse 235, JCl pr. civ., 9 janvier 2019, n° 112).

5Le premier président a le droit de suspendre l’exécution provisoire d’un jugement, à condition que celle-ci soit interdite par la loi ou qu’elle risque d’entrainer des conséquences manifestement excessives (art. 525, C. pr. civ.), voire irréversibles (Cass. civ. 2e, 10 septembre 2009, n° 08-18.683). La première condition alternative peut être écartée, la demanderesse ne l’ayant pas invoqué. Toute cette affaire repose, sans grand étonnement, sur l’appréciation des conséquences manifestement excessives. En quoi l’annulation d’un acte de reconnaissance pourrait justifier de l’existence de conséquences manifestement excessives ?

6S’agissant de l’enfant, la première conséquence concerne, de toute évidence, l’établissement du lien de filiation. La petite fille en avait deux, désormais, elle n’en a plus qu’un, le lien de filiation maternel. La seconde conséquence porte sur la nationalité. Un enfant né sur le territoire français dont l’un des parents au moins est français l’est également selon le jus sanguinis. La demanderesse étant marocaine, son enfant ne peut donc être français en vertu du droit du sang. Si jamais l’auteur de l’acte de reconnaissance était français, ce qui semble a fortiori le cas, alors l’enfant pourrait également l’être de plein droit. Toutefois, le lien de filiation paternel n’étant plus, la nationalité française ne peut s’établir sur le droit du sang. Reste le jus soli, permettant à un enfant né sur le territoire français de parents étrangers d’être français à sa majorité, à condition qu’il réside en France à sa majorité et qu’il y ait résidé habituellement, de manière continue ou non, pendant au moins cinq ans à partir de ses onze ans. Dès lors, l’enfant, né en France le 20 juin 2012 et âgé de sept ans, ne dispose pas de la nationalité française. Pour autant, rien ne semble justifier de l’existence de conséquences manifestement excessives le concernant, à moins de les mettre en parallèle des conséquences pouvant affecter la mère.

7Celle-ci invoque, à l’appui de ses prétentions, le fait qu’une telle annulation risquerait d’entrainer l’absence de renouvellement de son titre de séjour « vie privée et familiale » en qualité de mère d’un enfant français, conduisant in fine, à son expulsion du territoire français. En effet, lorsqu’un étranger séjourne sur le territoire français alors que son titre de séjour n’a pas été renouvelé ou lui a été retiré, il est alors en situation irrégulière. Cette situation peut conduire à une obligation de quitter le territoire français, parfois adjointe d’une interdiction de retour (art. L. 511-1, I, CESEDA).

8Le premier président de la cour d’appel de Lyon relève que la demanderesse séjourne régulièrement et travaille sur le territoire français depuis 2011, soit depuis plus de sept ans. Malgré le fait que seul l’un de ses trois enfants soit né en France, tous trois sont scolarisés et réussissent brillamment leur scolarité. L’expulsion de la demanderesse conduirait à freiner le processus d’intégration de la famille, alors même qu’elle pourrait formuler une nouvelle demande de titre de séjour en sa qualité de salariée sur le territoire français. Enfin, il relève que si le jugement litigieux annule l’acte de reconnaissance, l’enfant entretenait des relations suivies avec l’auteur de celui-ci, ce qui écarte toute possibilité de fraude. Dès lors, le premier président conclut, de manière somme toute logique, à l’existence de conséquences manifestement excessives et suspend l’exécution provisoire du jugement litigieux.

9Quant à la suite au fond de cette affaire, il faudra patiemment attendre l’arrêt de la cour d’appel de Lyon.

Arrêt commenté :
CA Lyon, premier président, 21 octobre 2019 - n° 19/00148



Citer ce document


Aurore Camuzat, «Annulation d’un acte de reconnaissance : quid des conséquences manifestement excessives sur un titre séjour ?», BACALy [En ligne], n°14, Publié le : 01/01/2020,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2213.

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À propos de l'auteur Aurore Camuzat

Doctorante au Centre de droit de la famille, équipe de recherche Louis Josserand, université Jean Moulin Lyon 3


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