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11. Les actes juridiques sont des « manifestations de volonté » (article 1100-1 du Code civil). Le consentement des personnes qui en sont à l’origine se doit d’être protégé afin de préserver ce caractère volontaire de l’acte. À ce titre, diverses mesures sont mises en place par le législateur. L’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon, le 26 novembre 2019, nous donne un aperçu de plusieurs d’entre elles.

2Le 22 avril 2015, M. B. décède sans descendant proche. Il laisse un testament olographe, datant du 24 mars 2015, afin de régler sa succession. Cet écrit vient révoquer un précédent testament qui datait du 16 septembre 2005 et qui instituait M C., jeune cousin et filleul de M. B., en qualité de légataire universel. Par ce nouveau testament, M. B. fait de son aide-ménagère, Mme Z., la légataire universelle de ses biens, ainsi que la bénéficiaire de ses contrats d’assurance-vie.

3Ce tout dernier testament de M. B., en date du 2 mars 2015, est remis en cause par M. C. qui tente d’en obtenir l’annulation, pour obtenir l’application du testament de 2005. Face au refus des juges de première instance de faire droit à sa demande, M. C. interjette appel. Il fonde cette demande sur plusieurs moyens : Mme Z. est frappée d’une incapacité légale de recevoir par testament de M. B. (I), le testateur n’était pas sain d’esprit lors de la rédaction de ce testament (II) et, enfin, Mme Z. a usé de manœuvres dolosives pour obtenir cette libéralité (III). Tout comme le jugement de première instance, la cour d’appel rejette la demande de M. C., en répondant à chacun des moyens invoqués.

I/ Inapplication des incapacités légales de recevoir des dispositions testamentaires

42. Tout d’abord, l’appelant affirmait que Mme Z., en sa qualité d’aide-ménagère de M. B., ne pouvait bénéficier de libéralités testamentaires provenant de celui-ci, en vertu de l’article L. 116-4 du Code de l’action sociale et des familles, ainsi que de l’article 909 du Code civil.

5Rappelons que l’article 909 du Code civil prévoit que les membres des professions médicales et de la pharmacie, ainsi que les auxiliaires médicaux, ne peuvent recevoir de dispositions testamentaires d’une personne à laquelle ils ont prodigué des soins durant la maladie qui a provoqué son décès. Bien que la jurisprudence ait pu à l’occasion étendre la sphère des personnes visées par l’article 909, il est également acquis que ces incapacités de recevoir restent de « droit étroit et ne peuvent être étendues de façon arbitraire par le juge » (CA Pau, 28 févr. 1968, JCP 1968. II. 15538, note Pageot). Certaines décisions avaient ainsi pu refuser, à ce titre, de faire application de l’article 909 à une auxiliaire de vie (Cassation. Civ. 1re, 25 sept. 2013, n° 12-25.160). La décision de la cour d’appel de Lyon s’inscrit dans ce mouvement, en jugeant que les aides ménagères, au même titre que les auxiliaires de vie, ne sont pas touchées par cette incapacité de recevoir.

6Quant à l’article L. 116-4 du Code de l’action sociale et des familles, il institue d’autres incapacités de recevoir pour certaines personnes intervenant dans le cadre de services sociaux ou médico-sociaux, notamment les employés d’établissements d’accueil de personnes âgées ou handicapées, ainsi que les personnes assumant la fonction d’accueillant familial. Observant que cet article est issu d’une loi du 28 décembre 2015, et donc postérieur au testament litigieux, la cour d’appel refuse d’en faire application.

7Toutefois, il convient de rappeler que cette disposition prend la suite des articles L. 331-4 et L. 443-6 du Code de l’action sociale et des familles, abrogés par cette même loi du 28 décembre 2015, qui instituaient des incapacités de recevoir énoncées dans des termes très semblables. D’ailleurs, la lecture de la décision de la cour d’appel révèle que M. C. avait également fait référence à ces anciennes dispositions dans l’exposé des articles sur lesquels il fondait sa demande. Toutefois, cela n’est pas repris dans le développement de son argumentation et la cour ne dit rien à ce sujet. On peut seulement remarquer que, dans les motifs de sa décision, la cour d’appel invoque l’article 954 du Code de procédure civile, justifiant que la juridiction ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif. Il semble donc que des questions de procédure aient amené la cour à ne pas se prononcer sur ces dispositions. On peut alors se demander si, en cas d’application de ces textes, la fonction d’aide-ménagère aurait été qualifiée par les juges lyonnais de service social ou médico-social.

II/ Absence de preuve d’une insanité d’esprit

83. Dans un deuxième temps, la cour rejette le fondement de l’insanité d’esprit pour défaut de preuve. Selon une jurisprudence constante, la santé mentale est présumée et il revient à celui qui agit en nullité de démontrer que le consentement faisait défaut (Cass. Civ. 1re, 7 févr. 1984, Gaz. Pal. 1984. 2. 433, note J. M.). L’appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond et, en l’espèce, ceux-ci estiment qu’aucun élément probant ne permet de conclure à l’insanité d’esprit du testateur.

9À ce titre, la cour relève plusieurs éléments de fait. Le testament a été rédigé à l’hôpital en présence du notaire. Ce dernier atteste que le testateur avait alors « toute sa tête », ce qui est également déclaré par un salarié de la Caisse d’Épargne. Des bulletins médicaux font état de problèmes de santé physique, mais pas de problème de santé mentale. Le testament a été daté et signé et apparaît cohérent. La signature est tremblée, mais cela reste la conséquence de l’âge avancé du testateur. Enfin, si le testament omet de préciser le prénom de l’intimé, cela ne permet pas de conclure à un problème de santé mentale. Ainsi, selon la cour, aucun élément ne permet d’apporter la preuve d’une insanité d’esprit.

III/ Absence de preuve de manœuvres dolosives

104. En dernier lieu, la cour se penche sur l’allégation des manœuvres dolosives. L’appelant affirmait en effet qu’il était incompréhensible que le défunt ait souhaité le déshériter. Selon lui, Mme Z. avait usé de manœuvres dolosives pour éloigner les deux cousins. La cour d’appel de Lyon relève toutefois qu’il ne s’agit que d’impressions, dont aucune preuve n’est rapportée par l’appelant. Au contraire, s’intéressant aux relations entre les différents protagonistes, la cour estime que l’acte n’apparaît nullement incongru. La cour constate en effet que des liens amicaux se sont tissés entre le testateur et la bénéficiaire. En effet, Mme Z. était l’aide-ménagère du défunt, mais elle était également sa voisine depuis 24 ans. À cela s’ajoute la constatation de la rareté des relations entre les deux cousins en raison de leur éloignement au cours des dernières années. Ces éléments, ajoutés au défaut de preuve de manœuvres, amènent les juges au rejet de ce troisième moyen.

11La question du consentement et de ses potentiels vices est un sujet particulièrement délicat à traiter. Le consentement est difficilement saisissable, pour ne pas dire insaisissable. Ces cas d’espèce n’en demeurent pas moins précieux pour découvrir les éléments amenant les juges à prendre leur décision. Le principe doit rester celui de l’autonomie de la volonté, c’est-à-dire de la liberté de choisir, même si ce choix semble à certains incompréhensible.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 1re chambre civile B, 26 novembre 2019, n° 18/02037



Citer ce document


Anouk Paillet, «Testament et consentement», BACALy [En ligne], n°14, Publié le : 01/01/2020,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2236.

Auteur


À propos de l'auteur Anouk Paillet

Doctorante à l’équipe de recherche Louis Josserand, université Jean Moulin Lyon 3 et à l’université Laval du Québec


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