La succession testamentaire est une succession volontaire : c’est le défunt et non pas la loi qui détermine l’octroi de la qualité de successeur. Le testament se révèle être l’instrument idoine de la mise en œuvre des dernières volontés. Néanmoins, certaines limites se dressent face au pouvoir de création de la volonté, notamment lorsque l’autonomie de celle-ci est susceptible d’être contestée. Ainsi, la remise en cause du pouvoir de tester est souvent l’objet du recours des héritiers légaux évincés, comme l’illustre l’arrêt ci-dessous référencé.
Mme S décède le 5 février 2012 en laissant pour lui succéder ses neveux. Toutefois, en vertu d’un testament olographe rédigé le 18 mars 2005, elle a institué l’association diocésaine de Lyon, légataire universelle. À compter du 15 décembre 2005 et jusqu’à son décès, Mme S a été placée sous le régime de la curatelle renforcée, à la suite d’une procédure ouverte le 15 mars 2005. Dès lors, ses héritiers légaux remettent en cause la validité du testament réalisé en fondant leur demande sur l’état de santé mental de la testatrice qui l’aurait empêché d’agir en pleine connaissance de cause, entrainant un vice du consentement. Face au refus des juges de première instance de faire droit à leur demande en nullité du testament, ils interjettent appel.
À l’appui de leur demande en nullité du testament olographe, ils soutiennent que lors de sa rédaction, Mme S ne disposait pas d’un discernement et d’une volonté suffisante en raison de l’affaiblissement de ses facultés mentales, de sorte qu’elle ne pouvait pas tester en toute connaissance de cause. Les appelants font notamment valoir que la procédure devant le juge des tutelles ayant été ouverte le 15 mars 2005, les causes justifiant la mise en place d’une mesure de curatelle renforcée étaient déjà présentes lors de la rédaction du testament litigieux. Ils se prévalent également du résultat de l’examen médical qui révèle que Mme S présentait depuis 2004/2005 des troubles importants du comportement et cognitifs, même si ceux-ci ont été réduits par la suite. Ce rapport établit qu’elle présentait un état de fragilité et de vulnérabilité nécessitant qu’elle soit assistée, contrôlée et conseillée pour les actes de la vie civile. Les héritiers légaux de Mme S affirment qu’ils ne se sont pas désintéressés de leur tante en lui rendant visite à plusieurs reprises. Enfin, ils se prévalent du fait que M. M, organiste à la cathédrale, avait guidé Mme S dans la rédaction de son testament en profitant de sa vulnérabilité. De plus, Mme S a suivi le modèle de testament proposé par le diocèse, ce dernier incitant à le désigner légataire, au détriment des neveux en raison notamment de la forte imposition qui serait générée.
Néanmoins, la cour d’appel de Lyon déboute les héritiers légaux de leurs demandes, en répondant à chacun des moyens invoqués.
Elle rejette dans un premier temps le moyen selon lequel le consentement de Mme S ferait défaut. Rappelant la lettre de l’article 901 du Code civil, prévoyant que pour faire un testament, « il faut être sain d’esprit », elle affirme que la charge de la preuve de l’insanité d’esprit pèse sur les demandeurs. Conformément à la jurisprudence, il revient à l’appréciation souveraine des juges du fond de la caractériser (Civ. 1re, 6 mars 2013). La cour relève qu’il ne résulte pas du rapport médical que Mme S ait souffert d’une altération de ses facultés mentales ou d’une insanité d’esprit au moment de la rédaction du testament litigieux. Elle affirme que la demande d’ouverture de la procédure se justifiait seulement par la fragilité de Mme S envers les tiers. Ainsi, les juges estiment que les héritiers n’ont pas rapporté la preuve d’une insanité d’esprit, au moment de la rédaction du testament.
Dans un deuxième temps, la cour d’appel fait valoir que Mme S n’avait plus de contact avec ses neveux. Ces circonstances permettent donc de justifier la motivation de celle-ci de léguer l’intégralité de sa succession à l’association diocésaine en tant que légataire universelle.
Dans un troisième et dernier temps, la cour d’appel affirme que le fait pour Mme S de suivre le modèle de testament délivré par l’association diocésaine qui lui procure une information exacte concernant l’imposition de ses neveux, ne révèle en soi aucune manipulation. En effet, dès lors que Mme S souhaite lui léguer ses biens, il est logique, selon la cour, de suivre le modèle proposé par celle-ci. Si rien ne fait obstacle à ce procédé, considéré comme licite (Civ. 1re, 6 oct. 1959), il faut néanmoins que le testateur ait eu conscience de la valeur des caractères reproduits (Civ. 1re, 5 nov. 1956). Dès lors, la cour, en affirmant que Mme S a rédigé le testament d’une écriture ferme et assurée, sans qu’il ne révèle d’incohérences, établit que celle-ci a eu l’intelligence de ce qu’elle a écrit. Ainsi, elle se prononce en faveur de la validité du testament en considérant qu’il était bien le fruit de l’expression de la volonté de la testatrice.
Arrêt commenté :
CA Lyon, 1re ch. civ. B, 14 janvier 2020, n° 18/03951