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Caractère non perpétuel d’une condition suspensive sans terme fixe

Albane Naudin


1Des époux ont conclu une promesse synallagmatique de vente avec une indivision en 2015 pour l’achat d’un terrain afin d’y construire une maison d’habitation. Cet avant-contrat était soumis à la réalisation de conditions suspensives dont l’une, souscrite au profit des acquéreurs, prévoyait la viabilisation du terrain par les vendeurs. Passé le terme de la promesse, les membres de l’indivision ont néanmoins poursuivi sa réitération authentique. Au contraire les époux, renonçant à poursuivre les relations contractuelles pour défaut de réalisation de cette condition suspensive, ont exigé de l’indivision la restitution de leur dépôt de garantie.

2Les époux ont assigné l’indivision devant le tribunal de grande instance de Lyon après que le juge des référés les a renvoyés devant les juges du fond estimant que la question du délai de réalisation de la condition suspensive ne relevait pas de sa compétence. Dans une décision du 30 août 2018, le tribunal a fait droit à la demande des époux. Elle ordonne la restitution du dépôt de garantie et condamne l’indivision à verser le montant prévu par la clause pénale. L’indivision interjette appel de la décision. Elle soutient qu’en raison de l’absence de délai fixé pour la réalisation de la condition suspensive, celle-ci ne pouvait être considérée comme défaillante, mais au contraire réalisée et ce, même passé le terme de réitération de la promesse. À défaut, les demandeurs font valoir que les époux ont renoncé à se prévaloir de la condition suspensive dès lors qu’ils ont consenti à la signature de l’acte authentique. Enfin, ils arguaient de l’accomplissement de diligences suffisantes à mettre en échec l’exécution de la clause pénale. Les défendeurs dénoncent quant à eux la non-réalisation de la condition suspensive dans le délai de réitération authentique de l’acte, le rendant caduc. La réalisation postérieure de la condition devait être considérée comme non avenue, à défaut d’être intervenue au terme de la promesse, sinon dans un délai raisonnable eu égard à leur projet.

3La cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 17 décembre 2019 rappelle, en vertu de l’article 1176 ancien du Code civil qu’à défaut d’avoir stipulé un terme fixe, la réalisation de la condition suspensive est défaillante pour autant qu’il soit devenu certain qu’elle ne se réaliserait pas. Constituant par ailleurs une modalité d’exécution de la vente et non une condition de sa formation, le seul dépassement de la date de sa réitération authentique ne peut entraîner sa caducité. Dès lors, l’exécution forcée de la vente, à savoir sa réitération, peut être poursuivie à tout moment. Par association, il découle la possibilité qu’une condition suspensive se réalise, quand bien même le terme initial prévu pour la réitération de la vente serait dépassé. Néanmoins, la cour ne manque pas d’y imposer la stricte limite du délai raisonnable, apportant une illustration de ce qui peut tomber sous le joug du principe d’absence de caractère perpétuel de la condition sans terme fixe. Passé celui-ci, une condition, même matériellement réalisée, comme Mme S est efforcée de le démontrer à l’indivision, ne pourrait revêtir cette qualité selon les termes de la promesse. Ainsi, la cour fait droit aux prétentions des époux, mais pas sur le motif de la non-réalisation de la condition suspensive avant le terme de la promesse, stipulation que celle-ci contenait pourtant expressément bien qu’entrant en contradiction avec l’article 1176 ancien du Code civil.

4Cette solution, qui relève du cas par cas, apporte une protection pour l’acquéreur dans l’intérêt exclusif duquel la condition est stipulée. Elle nous alerte toutefois sur les dangers que représente une appréciation trop libérale du délai de réalisation de celle-ci. Une telle décision invite les auteurs de telles promesses à encadrer davantage leurs engagements dans des délais déterminés à termes fixes, bien que prorogeables du fait d’un consentement mutuel. Cette décision met également en lumière le caractère intangible de l’engagement de la promesse de vente laquelle ne saurait être si facilement contestée par une condition suspensive réalisée certes tardivement, mais néanmoins dans un délai raisonnable. Donc tant que l’exécution forcée ne joue pas, la condition suspensive peut toujours se réaliser. Pour autant, il ne faut pas lui conférer un caractère perpétuel. La Cour de cassation rappelle que les juges du fond peuvent fixer un délai tacite à la réalisation de la condition suspensive (Cass. civ. 3e, 20 mai 2015 n° 14-11.851). La cour d’appel relève donc que les époux N qui achetaient le terrain pour y faire construire leur maison avaient la commune intention que la condition se réalise dans un futur proche et non plusieurs années après. S’agissant de la renonciation, le différé de la date de réitération de l’acte authentique n’emporte pas renonciation de la condition de la part des acquéreurs. Enfin, la cour d’appel rappelle son pouvoir modérateur de la clause pénale pour sanctionner le comportement fautif.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 1re ch. civ. B, 17 décembre 2019, n° 18/06944



Citer ce document


Albane Naudin, «Caractère non perpétuel d’une condition suspensive sans terme fixe», BACALy [En ligne], n°15, Publié le : 01/10/2020,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2567.

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À propos de l'auteur Albane Naudin

Étudiante, M2 droit notarial interne, université Jean Moulin Lyon 3


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