Institués par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, les tribunaux de commerce spécialisés (TCS) sont destinés à traiter les dossiers de grande envergure suivant la taille de l’entreprise ou bien de la dimension internationale de la procédure. L’article L. 721-8, 1°, B) du Code de commerce précise ainsi que ces tribunaux sont compétents pour connaître d’une procédure collective lorsque le débiteur est « une entreprise dont le montant net du chiffre d’affaires est d’au moins 40 millions d'euros ». Faute de précision quant aux modalités d’appréciation des règles de compétence des tribunaux spécialisés, la cour d’appel de Lyon fut invitée à se prononcer à ce sujet.
En l’espèce, après avoir bénéficié d’une procédure de mandat ad hoc, une société membre d’un groupe sollicitait du tribunal de commerce de Saint-Étienne l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire le 30 septembre 2019. Le tribunal s’est reconnu compétent mais la déclaration de cessation des paiements et les comptes du dernier exercice clos affichaient un chiffre d’affaires de 40,5 millions d’euros, ce qui justifiait de soulever le défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal de commerce de Saint-Étienne, qui ne relève pas de la liste des tribunaux spécialisés.
Dans un premier temps, la cour d’appel jugea recevable l’appel du ministère public, en précisant que la question de la compétence exclusive des tribunaux de commerce spécialisés est en réalité une question de pouvoir juridictionnel du tribunal. Il s’ensuit que le défaut de compétence au titre de l’article L. 721-8 du Code de commerce constitue une fin de non-recevoir pouvant être soulevée en cause d’appel et non une exception de procédure devant être soulevée in limine litis.
Néanmoins, dans le silence des textes, la cour d’appel fit preuve d’innovation en estimant qu’il est possible de vérifier si une évolution significative s’est déroulée depuis la date de clôture du dernier exercice. Il en résulte qu’après avoir apprécié la situation concrète du débiteur au regard notamment de la cession d’une partie de son activité le 30 juin 2018 et de la minoration des prévisions de commandes, le chiffre d’affaires apparaissait inférieur au seuil de l’article L. 721-8, 1°, B) du Code de commerce, justifiant ainsi la compétence du tribunal de commerce stéphanois.
Audacieuse, la position de la cour d’appel s’éloigne de l’esprit du Livre VI qui fixe l’appréciation du chiffre d’affaires au jour de clôture du dernier exercice. C’est notamment le cas de la sauvegarde accélérée (article D. 628-3 du Code de commerce) ou de la liquidation judiciaire simplifiée (article D. 641-10 du Code de commerce). Au surplus, ce critère d’appréciation ne semble pas garantir une indépendance suffisante du juge pour apprécier si une affaire relève ou non de sa compétence.
Une intervention du législateur pour corriger ce flou juridique serait bienvenue afin d’éviter la multiplication de positions divergentes des cours d’appel.
Arrêt commenté :
CA Lyon, 3e chambre A, 14 novembre 2019, n° 19/07075