L’octroi d’une autorisation environnementale à une installation de tri mécano-biologique d’ordures ménagères au regard de la condition de généralisation de tri à la source des biodéchets

Lire les commentaires de :

Décision de justice

CAA Toulouse, 4eme chambre – N° 22TL22465 - 22TL22530 – 05 décembre 2024 – C+

Juridiction : CAA Toulouse

Numéro de la décision : 22TL22465 - 22TL22530

Numéro Légifrance : CETATEXT000050756080

Date de la décision : 05 décembre 2024

Code de publication : C+

Index

Rubriques

Nature et environnement

Textes

Résumé

1) Les dispositions du I et du II de l’article L. 541-1 du code de l’environnement, en tant qu’elles fixent les objectifs de la politique nationale de prévention et de gestion des déchets et qu’elles déterminent la hiérarchie des modes de traitement des déchets, s’imposent aux dispositions prises en application du titre Ier du livre V de ce code, lorsque ces dispositions intéressent les déchets, ainsi que le mentionne l’article L. 512-14 du même code. Elles ne sont, en revanche, pas directement opposables à une demande d’autorisation portant sur une installation de traitement ou de stockage des déchets.

2) a) Les dispositions de la deuxième phrase du seizième alinéa du I du même article L. 541-1, selon lesquelles l’autorisation de nouvelles installations de tri mécano-biologique des ordures ménagères est conditionnée au respect, par les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale, de la généralisation du tri à la source des biodéchets, sont directement opposables à une demande d’autorisation portant sur une installation pratiquant cette technique de tri.

b) Les dispositions de la deuxième phrase du seizième alinéa du I de l’article L. 541-1 sont rédigées en des termes suffisamment précis et leur application ne peut dès lors être regardée comme manifestement impossible en l’absence de texte règlementaire. Par suite, leur entrée en vigueur n’est pas subordonnée à l’applicabilité des critères énoncés à l’article R. 543-227-2 du code de l’environnement issu du décret du 30 juin 2021.

c) La cour, saisie d’une autorisation portant sur une installation pratiquant le tri mécano-biologique, estime qu’en l’espèce, eu égard à la politique de déploiement du tri à la source des biodéchets mise en œuvre par l’organisme compétent et au vu de l’état d’avancement de cette démarche à la date de son arrêt, ledit organisme doit être regardé comme respectant la généralisation du tri à la source des biodéchets au sens et pour l’application de la deuxième phrase du seizième alinéa du I de l’article L. 541-1 du code de l’environnement, de sorte que l’administration a pu légalement autoriser le projet.

44-02 Installations classées pour la protection de l’environnement

44-02-01 Champ d’application de la législation

44-035 Déchets

44-035-02 Collecte

Notes-références

1. Rappr. CE, 26 juin 2019, Syndicat intercommunautaire du littoral, n° 416924

2. Rappr. CC, 22 avril 2022, Fédération nationale des collectivités de compostage et autres, n° 2022-993 QPC

3. Cf. CE, Ass, 10 mars 1961, Union départementale des associations familiales de Haute-Savoie, Rec. p. 172

L’octroi d’une autorisation environnementale à une installation de tri mécano-biologique (TMB) d’ordures ménagères au regard de la condition de généralisation de tri à la source des biodéchets

Patrice Ndiaye

Maître de conférences en droit public, université de Montpellier (CREAM)

Autres ressources du même auteur

  • UNIVDROIT
  • IDREF
  • HAL
  • ISNI
  • BNF

DOI : 10.35562/ajamont.271

Les biodéchets sont définis par le Code de l’environnement comme

« les déchets non dangereux biodégradables de jardin ou de parc, les déchets alimentaires ou de cuisine provenant des ménages, des bureaux, des restaurants, du commerce de gros, des cantines, des traiteurs ou des magasins de vente au détail, ainsi que les déchets comparables provenant des usines de transformation de denrées alimentaires. »1

Ces derniers représentent environ un tiers des déchets collectés par les collectivités territoriales et leurs groupements. Leur traitement s’est longtemps limité, au pire, à leur incinération ce qui revient à brûler des déchets contenant majoritairement de l’eau ou à leur enfouissement ou, au mieux, à leur valorisation par méthanisation après leur tri dans des installations idoines : les installations de tri mécano-biologique des ordures ménagères (TMB).

Consciente de ces limites, l’Union européenne a rendu obligatoire le tri à la source des biodéchets, au plus tard le 31 décembre 2023, conformément à l’article 22, paragraphe 1, de la directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative aux déchets, transposée en droit français par l’ordonnance nº 2010-1579 du 17 décembre 2010, à l’article L. 541-21-1 du Code de l’environnement.

Cette obligation pesant en France sur les communes et leurs groupements responsables de la collecte des déchets ménagers s’est accompagnée de fortes incitations. La première introduite par l’article 70 de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, prohibe toute aide des pouvoirs publics à la réalisation de ces installations de TMB et la seconde, plus radicale, introduite par l’article 90 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire conditionne l’autorisation de nouvelles installations TMB, l’augmentation des capacités des installations existantes ou leur modification notable, à la généralisation du tri à la source des biodéchets par les collectivités territoriales et établissements publics de coopération intercommunale.

Un décret (nº 2021-855 du 30 juin 2021) et un arrêté (7 juillet 2021) ont précisé les conditions de mise en œuvre de ces contraintes.

Des propriétaires et des riverains regroupés dans une association ou agissant en leur nom contestaient en appel, après avoir été déboutés en première instance par un jugement du tribunal administratif de Toulouse, l’arrêté du 21 août 2020 par lequel la préfète de l’Aveyron avait accordé une autorisation environnementale à une société délégataire (Soléa) du syndicat départemental des ordures ménagère de l’Aveyron (Sydom) en vue de l’exploitation d’un « pôle multi-filières de valorisation et de traitement de déchets non dangereux » sur le territoire de deux communes de l’arrondissement de Villefranche-de-Rouergue. Parmi les moyens avancés par les requérants figurait l’erreur de fait de la préfète de l’Aveyron résultant de l’octroi par celle-ci d’une autorisation d’une installation de TMB des ordures ménagères en l’absence de tri à la source des biodéchets généralisé à l’ensemble du département.

L’arrêt rendu par la cour lui permet d’apporter des précisions sur le contrôle des autorisations préfectorales d’exploitation d’installations de TMB au vu de la condition d’une généralisation de l’obligation de tri à la source.

C’est sur cette question et moins sur celles plus classiques du dossier de demande d’autorisation ou de la dérogation « espèces protégées » que l’auteur de ces lignes souhaite porter ses commentaires.

Pour la cour, si cette obligation s’impose bien à une demande d’autorisation, entre autres, de la création d’une installation pratiquant un tri mécano-biologique des déchets résiduels d’ordures ménagères, la juridiction retient une interprétation très accueillante de la condition de généralisation du tri à la source.

L’opposabilité de la généralisation du tri à la source des biodéchets à l’autorisation d’une installation TMB

La cour reconnaît l’opposabilité à l’autorisation de nouvelles installations pratiquant le tri mécano-biologique des ordures ménagères du respect, par les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale en charge du service public de gestion des déchets, de la généralisation du tri à la source des biodéchets (considérant 24) et que cette opposabilité est directement applicable sans la médiation d’un texte réglementaire d’application.

Une opposabilité affirmée

Le Code de l’environnement assigne dix objectifs la plupart quantitatifs et avec des délais maximaux d’application à la politique nationale de prévention et de gestion des déchets2. Ces objectifs s’imposent aux dispositions prises en application de la police des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) et donc aux installations de TMB, lorsque ces dispositions intéressent les déchets en application de l’article L. 512-14 du Code de l’environnement.

C’est ainsi que les autorisations d’exploitation d’ICPE doivent veiller à limiter la production de déchets à la source ou prévoir, le cas échéant, la mise en place d’un réseau de surveillance de la qualité des sols, des eaux et la fréquence des mesures à réaliser.

Par contre, ces objectifs ne sont pas directement opposables à une demande d’autorisation portant sur une installation de traitement ou de stockage des déchets et les requérants ne pouvaient utilement invoquer une incompatibilité de l’autorisation environnementale avec l’un des objectifs de la politique de prévention et de gestion.

Il en va tout autrement de la généralisation du tri à la source des biodéchets par les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale en charge du service public de gestion des déchets qui est directement opposable à l’autorisation de nouvelles installations pratiquant le TMB des ordures ménagères.

Une opposabilité directe

L’article 90 de la loi du 10 février 2020 qui conditionne l’autorisation de nouvelles installations TMB, l’augmentation des capacités des installations existantes ou leur modification notable, à la généralisation du tri à la source des biodéchets par les collectivités territoriales et établissements publics de coopération intercommunale a été complété en juin 2021 par un décret3 venant poser trois conditions dont au moins une doit être respectée pour que le tri à la source soit considéré comme généralisé.

La cour rejette en l’espèce l’application de ces critères en mettant en avant leur absence d’invocabilité à l’encontre d’une autorisation préfectorale adoptée avant l’entrée en vigueur du décret. Toutefois, pour la cour, le caractère suffisamment précis des dispositions législatives permet leur application même en l’absence d’un décret d’application.

C’est donc après avoir écarté les dispositions réglementaires précises intervenues postérieurement à l’autorisation querellée et en se référant aux termes de la loi que la cour va se livrer à une interprétation bienveillante de la condition de généralisation du tri à la source.

L’appréciation bienveillante de la condition de généralisation du tri à la source des biodéchets

La cour va finalement admettre que la condition de généralisation du tri à la source des biodéchets est satisfaite au sein du Sydom au vu de critères plus qualitatifs que quantitatifs et paradoxalement d’un tri mécanique des biodéchets. En effet, la cour relève la démarche amorcée dès 2019 par le Sydom l’ayant conduit, par une délibération adoptée le 11 mars 2021, à une solution de tri alliant le compostage de proximité dans trois des dix-huit établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) adhérents du syndicat départemental et un système de collecte dans les autres établissements membres consistant à ramasser simultanément les biodéchets et les ordures résiduelles préalablement triés par les producteurs de déchets dans des sacs séparés (collecte « bi-flux »). À partir de 2022, le syndicat a mis en place une solution expérimentale de gestion des biodéchets en construisant un hangar équipé de deux robots de tri et d’un composteur électromécanique pour accompagner la montée en charge de la collecte « bi-flux ». 

Au vu de la mise en œuvre du tri à la source des biodéchets par le syndicat et l’état d’avancement de cette démarche à la date du présent arrêt, la cour considère que le Sydom doit être regardé comme respectant la généralisation du tri à la source des biodéchets.

Au-delà de cette démarche, la cour se livre également et de manière plus surprenante à une appréciation du projet de « pôle multi-filières de valorisation et de traitement de déchets non dangereux » autorisé par la préfète de l’Aveyron. Ce dernier devrait, selon la cour, offrir à un département dépourvu de solution de traitement sur son territoire et contraint d’exporter ses déchets vers les départements voisins, une solution prévoyant, en particulier, l’extraction de la matière recyclable à partir des ordures ménagères résiduelles, la valorisation des biodéchets collectés séparément, la méthanisation et la valorisation du biométhane à partir de la fraction fermentescible des ordures ménagères et biodéchets et la production de combustibles solides de récupération. À court terme, le projet devrait également réduire de 50 % par rapport à 2010, le stockage des déchets non valorisables.

La perspective de voir le département de l’Aveyron respecter, dans un délai raisonnable, la hiérarchie de traitement des déchets, ainsi que les principes de proximité et d’autosuffisance, au cœur de la politique de prévention et de gestion des déchets, pouvait justifier cette bienveillance.

Notes

1 Code de l’environnement, article L. 541-1-1. Retour au texte

2 Article L. 541-1, I et II. Retour au texte

3 Article R. 543-227-2 du Code de l’environnement. Retour au texte

Droits d'auteur

CC BY-NC-SA 4.0