Par un arrêt du 13 novembre 2018, confirmant un jugement du 6 janvier 2016 du tribunal d’instance de Perpignan, la cour d’appel de Montpellier a autorisé le propriétaire du logement de Mme Z à faire procéder à l’expulsion de celle-ci. Cet arrêt a été signifié à cette dernière par un huissier de justice le 5 décembre 2018. Toutefois, en dépit de la mesure d’instruction ordonnée sur ce point par la cour, il n’a pas été établi que le jugement du 6 janvier 2016, qui autorise l’expulsion, ait été signifié à Mme Z. Dans ces conditions, la décision du 24 novembre 2021, par laquelle le préfet des Pyrénées-Orientales a accordé le concours de la force publique pour procéder à son expulsion du logement qu’elle occupait, ne reposait pas sur une décision de justice ayant force exécutoire. En conséquence, la cour a annulé cette décision du 24 novembre 2021.
En l’absence de signification effective d’un jugement d’expulsion, pas de décision de justice ayant force exécutoire permettant au préfet d’accorder le concours de la force publique
Décision de justice
CAA Toulouse, 3ème chambre – N° 23TL02707 – 31 décembre 2024 – C 
Informations complémentairesJuridiction : CAA Toulouse
Numéro de la décision : 23TL02707
Numéro Légifrance : CETATEXT000050935978
Date de la décision : 31 décembre 2024
Code de publication : C
Index
Rubriques
PoliceTextes
Résumé
Obligation de notification du jugement et de l’arrêt qui le confirme contre atteinte à la dignité de la personne humaine : des méandres du contentieux de l’octroi du concours de la force publique pour l’exécution d’une décision de justice
Clothilde Combes
Docteure en droit public, enseignante-chercheuse contractuelle à l’université Toulouse Capitole
DOI : 10.35562/ajamont.276
Tandis qu’une mère de famille se retrouvait privée du logement qu’elle occupait avec ses enfants depuis de nombreuses années, le préfet des Pyrénées-Orientales avait décidé d’accorder le concours de la force publique pour procéder à l’expulsion dudit logement. Une situation malheureusement classique à laquelle la cour a décidé de mettre un frein invoquant la jurisprudence de la Cour de cassation.
Une administrée en situation de handicap et mère de quatre enfants occupait un bien depuis quinze ans dont elle exploitait les terres agricoles et se nourrissait du potager. Du reste, elle avait elle-même fait effectuer, à ses frais et sans remboursement, des travaux pour le raccordement au réseau d’eau et pour bénéficier d’eau potable pensant, un jour, pouvoir en devenir propriétaire. Néanmoins, son logement étant insalubre, la locataire sollicitait depuis de nombreuses années la réalisation de travaux. Sans succès, elle avait obtenu une assignation à travaux devant le tribunal d’instance de Perpignan, impliquant qu’une expertise judiciaire soit menée. C’est dans ce contexte, alors qu’une condamnation était pendante pour le propriétaire du bien, que ce dernier avait adressé à sa locataire un congé pour vendre l’immeuble loué. Au prix demandé, il était impossible à la locataire d’acquérir ce bien déjà dégradé par le manque de travaux.
Étonnamment, le 6 janvier 2016, le tribunal d’instance de Perpignan ordonnait l’expulsion du logement de l’administrée, la déclarant comme occupante sans droit ni titre. Cette décision, qui ne lui avait pas été signifiée par le propriétaire, avait été confirmée par un arrêt de la cour d’appel de Montpellier du 13 novembre 2018, et ce, au bénéfice d’une société civile immobilière désormais propriétaire du logement. À la suite de la décision de justice, l’occupante évincée avait été interloquée de ce que le préfet, par une décision datée du 24 novembre 2021, accorde le concours de la force publique pour procéder à l’expulsion dudit logement. Elle avait alors sollicité le tribunal administratif de Montpellier pour annuler cette décision. Le tribunal, le 19 septembre 2023, avait rejeté sa demande. Était mis en avant l’état du logement pour justifier la décision d’octroi du concours de la force publique. C’est ainsi que la requérante avait relevé appel de ce jugement et demandait à la cour d’annuler la décision et le jugement. Par l’entremise de son avocat, elle invoquait pour cela plusieurs moyens parmi lesquels la subordination de l’exécution forcée des condamnations résultant d’un jugement, confirmées en appel, à la signification de l’arrêt et du jugement.
Le 31 décembre 2024, les juges ont statué sur cet unique moyen pour annuler le jugement du 19 septembre 2023 du tribunal administratif de Montpellier ainsi que l’arrêté du 24 novembre 2021. Une telle décision était attendue au regard de la jurisprudence constante de la Cour de cassation en matière de procédure civile d’exécution. Cependant, cette même décision rend compte d’une certaine priorisation des moyens qui occulte un point qui aurait pourtant mérité d’être évoqué tant le concours de la force publique en vue de l’expulsion de la requérante l’aurait plongée dans une situation de grande précarité : l’atteinte à la dignité de la personne humaine.
Tout d’abord, la décision litigieuse, défavorable à l’encontre de la personne ayant vocation à être expulsée, devait être motivée en droit et en fait. Or, au titre de l’article L. 122-1 du Code des relations entre le public et l'administration, il était soutenu par la requérante que la décision de novembre 2021 intervenait au terme d’une procédure irrégulière dès lors qu’il n’avait pas été permis à l’administrée, à la suite d’une décision administrative individuelle défavorable1, de présenter ses observations écrites ou orales. Ensuite, au titre du même article, la requérante mettait en avant l’insuffisance de motivation de cette mesure de police. D’une part, le préfet disposait d’une marge d’appréciation pour accorder ou non le concours de la force publique (éléments de fait) et d’autre part, sa décision ne mentionnait pas les textes applicables (éléments de droit).
Plus nettement, elle pointait ensuite le non-respect de la procédure civile d’exécution. En effet, la décision de justice de 2016 ne lui avait pas été signifiée par le propriétaire tandis que l’article L 411-1 du Code des procédures civiles d’exécution dispose que « l’expulsion d’un immeuble ou d’un lieu habité ne peut être poursuivie qu’en vertu d’une décision de justice ou d’un procès-verbal de conciliation exécutoire et après signification d’un commandement d’avoir à libérer les locaux ». Il était mentionné par le présent arrêt que les juges du tribunal d’instance arguaient que cette signification, non mentionnée par le jugement du tribunal administratif de Montpellier, avait été régularisée par la signification d’un arrêt de la cour d’appel de Montpellier en date du 13 novembre 2018.
Or, à l’inverse de cette affirmation, la Cour de cassation, par une jurisprudence datée du 30 juin 2022, exige une double signification du jugement et de l’arrêt pour l’exécution forcée d’un jugement, et ce, conformément à l’article 503 du Code de procédure civile. Cela est limpide en tant que la Cour énonce que « [l]’exécution forcée des condamnations résultant d’un jugement, confirmées en appel, est subordonnée à la signification de l’arrêt et du jugement »2. Autrement dit, cette notification, en tant qu’elle remplit une fonction comminatoire, est impérieuse : elle implique que le jugement confirmé – en tant que titre qui constate ou constitue la source de la condamnation – doit être visé comme titre exécutoire à l’appui de la mesure d’exécution engagée3. Partant, il était attendu que la cour s’aligne sur la décision de la haute juridiction judiciaire et suive le moyen soulevé par la requête d’appel. Si le rapporteur public concluait au rejet du recours dans la présente affaire, la cour, elle, avait été convaincue et décidé de retenir la violation de l’article 503 par le tribunal.
En l’espèce, la requérante n’ayant pas été notifiée du jugement du 6 janvier 2016 par lequel le tribunal d’instance de Perpignan avait autorisé le propriétaire du logement à faire procéder à l’expulsion de celle-ci, le préfet avait accordé le concours de la force publique en absence de décision de justice ayant force exécutoire. Par conséquent, la cour annule jugement et arrêté préfectoral. Au demeurant, si l’annulation est attendue au regard du moyen précédemment évoqué, un autre point qu’il est intéressant de soulever tient à la hiérarchisation des moyens ici opérée. Assurément, la requête d’appel mentionnait plusieurs moyens dont l’un, en particulier, nécessite un rappel au regard de la situation de grande précarité de l’occupante vouée à être expulsée.
En outre, lorsque le locataire fait l’objet d’une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, il doit obligatoirement être fait mention des démarches opérées auprès de la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives. Tel n’était pas le cas ici. Il n’était pas non plus fait mention des diligences opérées par l’huissier pour obtenir son expulsion4 ni de la réquisition qu’il devait nécessairement lui transmettre afin de l’éclairer sur sa situation et des risques encourus par son expulsion5. De plus, le préfet n’ayant pas été saisi par une réquisition comportant l’ensemble des mentions requises ne pouvait porter un regard éclairé sur sa situation6. Pour ce qui a trait à la décision du préfet en particulier, la requérante soutenait notamment qu’il ne lui était pas possible de déterminer si le délai de deux mois à compter de la réquisition ne s’était pas écoulé au moment où la décision d’octroi de la force publique a été prise7.
Surtout, le préfet n’avait pas procédé à l’examen de sa situation personnelle. Ce faisant, la requête d’appel faisait état de l’oubli de certains motifs d’ordre public. Assurément, la question de l’atteinte à l’une de ses composantes – la dignité de la personne humaine – nécessitait un examen plus fin de la situation sociale de l’occupante isolée, handicapée et, de surcroît, en difficulté financière, dès lors qu’était en jeu le concours de la force publique pour l’expulser, elle, précaire, de son logement. De telles considérations sont d’ailleurs présentes dans la jurisprudence du Conseil d’État en la matière8, mais aussi dans celle de la CEDH en tant qu’elle admet que le refus de concours de la force publique ne heurte pas nécessairement le droit à l’exécution d’une décision de justice et le droit au respect des biens dès lors que « les occupants se trouvaient en situation de précarité et fragilité, et apparaissaient mériter, à ce titre, une protection renforcée »9.
La cour d’appel n’a pas retenu l’examen des moyens relatifs aux motifs d’ordre public et ceux tirés de la précarité qu’elle semble distinguer. Une remarque peut alors être formulée : soit il est admis que la dignité de la personne humaine s’entend largement et implique la reconnaissance de celle-ci pour toutes les personnes (et donc, a fortiori, pour celles placées dans une situation de grande vulnérabilité), soit celle-ci s’interprète strictement et ne recouvre, alors, que les situations portant atteinte à une certaine moralité sociale ; dès lors, la reconnaissance de la dignité, pourtant essentielle, n’est plus garantie pour personne. Elle relève de la subjectivité de chacun. Là est la différence entre la dignité constitutionnelle et la dignité administrative qui admet, parfois, certaines considérations humanitaires.
La cour aurait pu se fonder sur l’invocation de ce moyen afin de tirer la conséquence logique que le préfet ne pouvait accorder le concours de la force publique pour procéder à l’expulsion de l’administrée. Seulement, si la dignité peut justifier le refus de concours de la force publique pour expulser un locataire, la cour a misé sur les garanties procédurales offertes par l’interprétation que livre la Cour de cassation de l’article 503 du Code de procédure civile plutôt que sur des considérations humanitaires peut-être moins objectives.
Notes
1 Article L. 211-2. Retour au texte
2 Cass. 2e civ., 30 juin 2022, nº 21-10.229. Retour au texte
3 Goujon-Bethan, Thibault, « Point de notification, point d’exécution ! », Dalloz actualité, 9 juin 2021 et « Pour exécuter, notifiez le jugement et l’arrêt qui le confirme », Dalloz actualité, 9 septembre 2022. Retour au texte
4 CE, 25 nov. 2009, nº 323359. Retour au texte
5 Article L. 153-1 du Code des procédures civiles d’exécution. Retour au texte
6 CE, 28 nov. 2014, nº 364391. Retour au texte
7 CE, 18 févr. 2010, nº 316987. Retour au texte
8 CE, 26 oct. 1998, nº 156967 ; CE, 10 oct. 2003, nº 260867 ; CE, 23 avr. 2008, nº 309685 ; CE, 24 juill. 2008, nº 318686. Retour au texte
9 CEDH, 12 oct. 2010, nº 23516/08. Retour au texte
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