L'office du juge d'appel dans le contentieux de l'excès de pouvoir des décisions en matière d'urbanisme

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Décision de justice

CAA Toulouse, 4ème chambre – N° 23TL03020 – Société Soleia 55/ ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires – 17 octobre 2024

Juridiction : CAA Toulouse

Numéro de la décision : 23TL03020

Numéro Légifrance : CETATEXT000051235266

Date de la décision : 17 octobre 2024

Index

Rubriques

Urbanisme et aménagement du territoire

Textes

Résumé

1) Statuant sur l’appel du demandeur de première instance dirigé contre un jugement qui a rejeté ses conclusions à fin d’annulation d’une décision administrative reposant sur plusieurs motifs en jugeant, après avoir censuré tel ou tel de ces motifs, que l’administration aurait pris la même décision si elle s’était fondée sur le ou les motifs que le jugement ne censure pas, il appartient au juge d’appel, s’il remet en cause le ou les motifs n’ayant pas été censurés en première instance, d’apprécier la légalité des autres motifs fondant cette décision.

2) Toutefois, lorsqu’il juge que l’un ou certains seulement des motifs de la décision censurés par le tribunal administratif sont de nature à la justifier légalement, le juge d’appel peut, sans méconnaître l’article L. 600-4-1 du code de l’urbanisme, rejeter les conclusions en annulation de cette décision et rejeter en conséquence la requête d’appel sans être tenu de se prononcer sur les moyens de cette demande qui ne se rapportent pas à la légalité de ces motifs de refus.

54 – Procédure

54-08 – Voies de recours

54-08-01 – Appel

54-08-01-04 – Effet dévolutif et évocation

54-08-01-04-01 – Effet dévolutif

68 – Urbanisme et aménagement du territoire

68-06 – Règles de procédure contentieuse spéciales

Note – références

1. Cf. CE, 7 novembre 2022, n° 455195, Commune de Gometz-le-Châtel, classé en B sur ce point.

2. Rappr s’agissant d’un jugement ayant annulé une décision refusant une autorisation d’urbanisme CE, 22 mars 2024, n° 463970, Société AC Promotions, classé en B sur ce point.

L’office du juge d’appel dans le contentieux de l’excès de pouvoir des décisions en matière d’urbanisme

François Barloy

Maître de conférences en droit public, université de Montpellier (CREAM)

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DOI : 10.35562/ajamont.323

Mots-clefs : Procédure administrative contentieuse – Office du juge d’appel de l’excès de pouvoir - Distinction entre évocation et effet dévolutif de l’appel – Régularité du jugement dont appel (oui) – Bien-fondé des motifs retenus par le premier juge (non) – Substitution de motifs – Matière d’urbanisme : application de l’article L.600-4-1 du code de l’urbanisme (non) - Contrôle du juge sur l’appréciation des faits dans l’exercice par l’administration de sa compétence discrétionnaire.

Par le dépôt d’un dossier de demande le 4 mars 2020, la SAS Soleia 55 a sollicité du préfet de l’Aude le permis de construire une centrale photovoltaïque au sol d’une puissance prévisionnelle de 18,15 mégawatts-crète et d’une superficie de 17,3 hectares au lieudit La Bruga sur le territoire de la commune de Badens.

L’autorisation d’urbanisme relève ici de la compétence du préfet au nom de l’État en application de l’article R.422-2 b du Code de l’urbanisme qui vise « les ouvrages de production, de transport, de distribution et de stockage d’énergie lorsque cette énergie n’est pas destinée, principalement, à une utilisation directe par le demandeur. »

Au terme de plus de deux années et demi d’instruction le préfet de l’Aude a opposé par arrêté du 25 novembre 2022 un refus à ladite demande de permis de construire en se fondant sur les motifs de l’atteinte aux paysages (R.111-27 du Code de l’urbanisme) et du risque pour la sécurité publique (R.111-2 du Code de l’urbanisme).

Saisi par la société Soleia 55 d’un recours pour excès de pouvoir contre l’arrêté préfectoral du 25 novembre 2022, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande d’annulation par jugement du 26 octobre 2023.

Par requête en date du 22 décembre 2023, complétée par un mémoire en réplique du 17 mai 2024, la société déboutée a interjeté appel du jugement de première instance devant la cour administrative d’appel de Toulouse.

La cour a rendu le 17 octobre 2024 l’arrêt ci-après commenté, lequel réforme le jugement attaqué en confirmant le dispositif par la voie d’une substitution de motifs.

L’intérêt de cette décision réside essentiellement dans la démonstration de l’office subtilement complexe de la juridiction d’appel.

À cet égard, préalablement à tout examen au fond de l’affaire dont elle est saisie, la cour d’appel, dans une alternative exclusive, doit s’engager soit dans la voie de l’évocation, soit dans la voie de l’effet dévolutif de l’appel (I). C’est cette dernière hypothèse qu’illustre l’arrêt commenté qui retient, parmi les options offertes à la cour saisie par l’effet dévolutif de l’appel, celle de la confirmation du jugement dont appel avec réformation par substitution des motifs (II).

L’office du juge d’appel dans le contentieux administratif des décisions en matière d’urbanisme.

Liminairement il convient de remarquer que, contrairement à ce que semblerait annoncer la référence à la « matière d’urbanisme », il ne sera pas ici question, tout au moins à titre principal, de l’article L.600-4-1 du Code de l’urbanisme portant exception au principe de l’économie des moyens.

En effet, cette disposition introduite par la loi SRU du 13 décembre 2000 impose au juge de l’excès de pouvoir de se prononcer sur l’ensemble des moyens de la requête susceptibles de fonder l’annulation ou la suspension d’un acte intervenu en matière d’urbanisme dans les seuls cas où sa décision consiste à annuler ou suspendre l’acte attaqué.

Or, au cas d’espèce, le tribunal administratif puis la cour d’appel ont successivement débouté la société requérante de son recours dirigé contre l’arrêté préfectoral de refus du permis de construire.

L’article L.600-4-1 ne sera donc évoqué qu’hypothétiquement lors du recensement des différentes voies ouvertes au juge d’appel saisi d’une requête en annulation du jugement du tribunal administratif.

C’est donc bien de la spécificité de l’office du juge d’appel de l’excès de pouvoir dont il s’agit au-delà de la formule générique « juges du fond » qui englobe les juridictions de premier et deuxième degré par opposition au juge de cassation.

À ce stade de la procédure juridictionnelle, la première option de l’alternative consiste à déterminer si la Cour d’appel est saisie par voie d’évocation ou par l’effet dévolutif de l’appel (I).

I- Évocation ou effet dévolutif de l’appel

Le choix entre les deux branches de l’alternative dépend à la fois du contenu de la saisine de l’appelant et de la réponse qui y est apportée par la cour.

Il est souvent considéré, dans une présentation par trop simplificatrice, que la cour, en sa qualité de juge du fond, est placée dans la même situation que le premier juge.

Or, la cour est saisie d’une requête contre un jugement qui forme toujours un écran, plus ou moins transparent selon les cas, entre le juge d’appel et l’acte administratif dont la légalité est juridictionnellement discutée.

Confrontée au jugement du premier juge, la cour doit se prononcer en premier lieu sur sa régularité formelle et procédurale, si toutefois celle-ci est mise en cause par la requête en appel ; dans le cas où les appelants ne demandent pas à la cour de prononcer l’irrégularité du jugement, ou si, effectivement demandée, l’irrégularité n’est pas prononcée, la cour juge alors du bien-fondé du jugement.

Dans l’hypothèse où elle annulerait le premier jugement en raison d’une irrégularité qui l’affecte, la cour se prononcera alors sur l’affaire par la voie de l’évocation. Par l’évocation, le juge d’appel se trouve placé dans la situation du premier juge, table rase étant faite du jugement de première instance qui disparaît rétroactivement de la procédure ; la cour se prononce alors directement sur les moyens de la requête de première instance tels que repris dans la requête en appel.

Différemment, dans l’hypothèse où le premier jugement serait régulier, la cour sera saisie de l’affaire par l’effet dévolutif de l’appel et confirmera ou infirmera la décision du premier juge selon qu’elle la jugera bien ou mal fondé.

Lorsqu’elle confirme, le jugement de première instance perdure et voit en quelque sorte son autorité encore renforcée par l’arrêt de la cour d’appel.

Mais lorsque la cour annule un jugement qu’elle considère mal fondé, l’ombre de ce jugement continue à planer sur la procédure, la cour étant alors conduite à se prononcer sur l’affaire par la voie de la réformation de la décision rendue par le premier juge.

L’arrêt commenté illustre la démarche exposée.

La cour statue d’abord « sur la régularité du jugement ».

En son troisième considérant, elle écarte le moyen avancé par l’appelante selon lequel le premier juge aurait omis de se prononcer sur les éventuelles erreurs de droit et erreur manifeste d’appréciation commises par le préfet de l’Aude au regard des dispositions de l’article R.111-26 du code de l’urbanisme dans la motivation du refus de permis de construire opposé à la société Soleia 55.

L’intérêt du deuxième considérant réside dans la requalification par la cour d’appel d’un moyen avancé par l’appelante au soutien de ses conclusions sur l’irrégularité du jugement en moyen relevant du bien-fondé du jugement. Dès lors que le moyen tiré de ce que le jugement est entaché « d’une contradiction dans sa motivation » dans sa réponse au moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article R.122-5 du Code de l’environnement s’agissant du caractère suffisant de l’étude d’impact, relève du bien-fondé du jugement, il n’a pas d’incidence sur la régularité formelle et procédurale du jugement.

La cour d’appel de Toulouse n’a pas annulé le jugement du tribunal administratif de Montpellier comme entaché d’irrégularité ; elle a, par suite, été amenée à se prononcer sur le bien-fondé dudit jugement dans le cadre de l’effet dévolutif de l’appel.

II- Les voies ouvertes par l’effet dévolutif de l’appel

Dans une telle situation, trois voies s’ouvrent au juge d’appel.

Il peut d’abord confirmer intégralement le jugement dans son dispositif comme dans les motifs à son soutien. Cela aurait conduit la cour de Toulouse à confirmer le rejet de la requête en se fondant sur les mêmes motifs que le tribunal administratif de Montpellier.

Il peut inversement l’infirmer totalement en prenant, dans le dispositif de son arrêt, la décision inverse de celle prise dans le dispositif du jugement. Si la cour de Toulouse avait retenu cette option, elle aurait été conduite à annuler le refus de permis opposé par l’arrêté du préfet de l’Aude et, en conséquence, aurait dû faire application de l’article L.600-4-1 du Code de l’urbanisme1.

Enfin, le juge d’appel peut confirmer le dispositif du jugement en infirmant toutefois les motifs retenus par le tribunal et en en substituant d’autres sur lesquels le premier juge ne s’était pas fondé. C’est la voie retenue par la cour de Toulouse en l’espèce.

En procédure administrative contentieuse de droit commun, le principe voudrait que lorsqu’il rejette une demande d’annulation d’un acte administratif, en matière d’urbanisme comme en toute autre matière, le juge de l’excès de pouvoir se prononce sur l’ensemble des moyens soulevés par le demandeur, fussent-ils très nombreux, et en relève le mal-fondé pour motiver sa décision de rejet de la requête en annulation.

L’examen exhaustif des moyens ne lui est alors nullement imposé dans cette hypothèse par l’article L.600-4-1 puisque le juge n’est pas amené à annuler un acte intervenu en matière d’urbanisme mais, au contraire, à le confirmer en déboutant le requérant. Cet examen exhaustif relève de l’office du juge du fond, en application des règles de droit commun de procédure administrative contentieuse, en première instance comme en appel, lorsqu’il déboute un requérant de sa demande d’annulation d’un acte.

Avec une réserve toutefois, rappelée au dix-huitième considérant de l’arrêt commenté, s’agissant du juge d’appel. Ce dernier a la faculté de rejeter la requête d’appel en relevant qu’un seul des motifs de la décision de refus censurés en première instance est fondé, motif qui, à lui seul, aurait permis à l’administration de prendre exactement la même décision. Le juge d’appel est alors dispensé de se prononcer sur les autres motifs censurés en première instance.

Ainsi, en l’espèce, la cour d’appel ne s’est pas prononcée sur le moyen tiré de l’insuffisance de l’étude préalable agricole ni sur celui tiré de l’insuffisance de l’étude d’impact que le premier juge avait l’un et l’autre censurés.

L’office du juge d’appel est donc à cet égard moins exigeant que celui du premier juge.

La démarche mise en œuvre par la cour d’appel est abstraitement mais très précisément annoncée au cinquième considérant de l’arrêt commenté.

Concrètement, elle consiste, dans une classique appréhension casuistique du dossier, à contrôler la qualification juridique des faits retenus par le préfet pour fonder son refus d’autorisation sur deux dispositions d’ordre public du règlement national d’urbanisme très communément employées par l’administration : la disposition « sécurité-salubrité publiques » de l’article R.111-2 et la disposition « esthétique » de l’article R.111-27.

Contrairement au premier juge, la cour considère, dans le cadre du contrôle normal des refus d’autorisations d’urbanisme, que le préfet a commis une erreur d’appréciation des faits dans l’application à la situation en cause des articles R.111-2 et R.111-27 et qu’il ne pouvait donc fonder son arrêté de refus sur ces dispositions.

Contrairement encore au premier juge, la cour considère que le préfet pouvait en revanche fonder juridiquement son refus de permis de construire sur les dispositions combinées de l’article L. 151-11 du Code de l’urbanisme et de l’article 1 du règlement de la zone agricole du plan local d’urbanisme de la commune de Badens.

Au terme d’une démonstration tout aussi précisément circonstanciée que la précédente, le juge d’appel conclut

« qu’eu égard notamment au potentiel agronomique des parcelles concernées, le préfet de l’Aude n’a pas commis d’erreur d’appréciation en estimant que le projet en litige ne pourrait permettre le maintien d’une activité agricole significative sur le terrain d’implantation de l’équipement collectif envisagé. »

Le dispositif du jugement dont appel peut ainsi être confirmé quand bien même ledit jugement se trouve réformé par une substitution de motifs.

De ces dernières observations découlent à titre conclusif quelques remarques sur le fond de l’affaire. Distinctement de l’intérêt principal qu’elle présente en procédure administrative contentieuse, cette décision illustre une problématique classiquement centenaire depuis l’arrêt Gomel jusqu’à l’arrêt Grands magasins La Samaritaine mais qui conserve une sensibilité majeure eu égard aux enjeux de lisibilité du droit et de sécurité et prévisibilité juridiques qu’elle recouvre.

En effet, le contrôle casuistique du juge sur l’appréciation des faits par l’administration dans le cadre de l’exercice de sa compétence discrétionnaire offre depuis l’origine, comme au cas d’espèce, quantité d’illustrations de valses-hésitations dans l’appréhension des faits par l’administration active et les différents degrés de la hiérarchie des juridictions dont on peut regretter l’incompréhension qu’elles peuvent susciter dans l’esprit du justiciable.

Notes

1 CAA Lyon, 27 déc. 2001, SCI La Cluiseraz, req. nº 98LY01450 ; BJDU, 2002.154. Retour au texte

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