Compétence du juge administratif pour l’action indemnitaire intentée contre un OPHLM par des personnes hébergées ponctuellement chez le locataire d’un logement social

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Décision de justice

CAA Toulouse, 1ère chambre – N° 23TL00277 – 12 décembre 2024 – C+

Juridiction : CAA Toulouse

Numéro de la décision : 23TL00277

Numéro Légifrance : CETATEXT000050773878

Date de la décision : 12 décembre 2024

Code de publication : C+

Index

Rubriques

Travaux publics

Textes

Résumé

Une enquête environnementale diligentée par l’agence régionale de santé à la suite du diagnostic de saturnisme chez un enfant a notamment permis d’identifier la présence de plomb dans les peintures écaillées des garde-corps du balcon du logement social occupé par ses grands-parents, dans une concentration nettement supérieure au seuil réglementaire de 1,5 mg/g visé notamment par l’article L. 1334-2 du code de la santé publique. Une telle source de plomb, non endiguée par les travaux de sécurisation adéquats, et aggravée par l’effritement des peintures du fait de leur état dégradé, caractérise un défaut d’entretien normal de l’ouvrage public par le bailleur social, à qui il incombait, en vertu notamment de l’article L. 1334-2 du code de la santé publique dans sa version en vigueur à la date à laquelle la contamination a été constatée, de réaliser les travaux de suppression du risque de contamination au plomb.

Les principales victimes, trois enfants mineurs, n’étant pas parties au contrat de location de l’appartement de leurs grands-parents, qui lie ces derniers à leur bailleur social, dès lors que ni les visites fréquentes des enfants chez leurs grands-parents, ni l’hébergement ponctuel, par ceux-ci, des membres de leur famille à l’occasion d’un déménagement ou de travaux, ne conduisent à assimiler les enfants précités à des locataires du logement social occupé par leurs grands-parents. L’action tendant à l’indemnisation des préjudices subis du fait de la contamination au plomb de ces enfants ne peut être regardée comme trouvant sa source dans un contrat de droit privé. Les trois enfants doivent donc être regardés comme de simples usagers de l’ouvrage public que constitue le logement social. L’action en responsabilité intentée en leur nom, en réparation des dommages subis en qualité d’usagers d’un ouvrage public, de même que celle intentée par leurs proches en réparation des dommages qu’ils estiment avoir subis par ricochet, relève donc de la compétence de la juridiction administrative.

17 Compétence

17-03 Répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction

17-03-02 Compétence déterminée par un critère jurisprudentiel

17-03-02-06 Travaux

17-03-02-06-01 Dommages de travaux publics

67 Travaux publics

67-02 Règles communes à l'ensemble des dommages de travaux publics

67-02-02 Régime de la responsabilité

67-02-02-02 Qualité d’usager

Notes – références

Rapp. Tribunal des conflits, 23 juin 2003, Carras et Pierboni c/OPAC de l’Isère, 3355 (compétence du juge administratif pour connaître de l’action en responsabilité des dommages causés par des immeubles construits par des offices publics d’habitations à loyers modérés), Tribunal des conflits, 14 octobre 2013, M. Benaissa c/OPHLM de Saint Dizier, 3916 (compétence du juge administratif lorsque l’action est conduite par un occupant d’un logement social et non un locataire) et cour administrative d’appel de Nantes, 8 mars 2019, Binet c/office public de l’habitat d’Eure-et-Loir, 17NT01182 (compétence du juge administratif lorsqu’action est intentée par une personne ayant rendu visite au locataire du logement social)

Comp. Tribunal des conflits, 23 mai 2005, Orem c/société Habitat Marseille Provence,n° 3449 (lorsque l’action est menée par le locataire du logement social)

Compétence du juge administratif pour l’action indemnitaire intentée contre un OPHLM par des personnes hébergées ponctuellement chez le locataire d’un logement social

Guylain Clamour

Doyen de la faculté de droit et de science politique de l’université de Montpellier, professeur de droit public (CREAM)

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DOI : 10.35562/ajamont.301

En raison d’une contamination imputable à une source de plomb identifiée dans l’appartement loué par leurs grands-parents maternels, trois enfants d’une même fratrie ont été atteints de saturnisme. Les ayants droits ont engagé une action indemnitaire contre le propriétaire, établissement public d’habitation à loyer modéré, devant le tribunal administratif de Nîmes qui s’est déclaré incompétent. L’incompétence de la juridiction administrative était-elle bien fondée ? Telle est la première question à laquelle dû répondre la cour administrative d’appel de Toulouse dans son arrêt du 12 décembre 2024.

Le logement relevant d’un service public1, le Conseil d’État a pu retenir que les immeubles construits par les OPHLM ont le caractère d’ouvrage public2, qualification s’étendant aux accessoires et dépendances de l’immeuble3 et perdurant sous l’empire des règles issues de l’ordonnance nº 2007-137 du 1er février 2007 ayant créé les offices publics de l’habitat (OPH) sous statut d’établissement public à caractère industriel et commercial4.

Pareille qualification entraîne « l’application d’un régime de responsabilité conçu pour les ouvrages publics traditionnels mais qui peut paraître mal adapté à des bâtiments d’habitation »5, du moins dès lors que la victime ne se trouve pas en relation contractuelle avec le propriétaire responsable. En effet, et en application du principe de primauté de la responsabilité contractuelle6, toute action indemnitaire d’une victime partie à un contrat contre son cocontractant relève exclusivement de la responsabilité contractuelle, devant le juge judiciaire si le contrat ne fait naitre que des rapports de droit privé. Les logements sociaux relevant du domaine privé7 et le droit des baux d’habitation leur étant applicables, la compétence du juge judiciaire s’impose, nonobstant la qualité d’ouvrage public, pour les rapports entre locataires et propriétaires8.

Toutefois, en l’espèce, les victimes n’étaient pas les grands-parents locataires, mais leurs petits-enfants, visiteurs occasionnels. Dans cette hypothèse, faute de liens contractuels, ressurgit la qualité d’usager de l’ouvrage public et, avec elle, la compétence des juridictions administratives9. Le tribunal administratif de Nîmes aurait dû se reconnaître compétent ainsi que le juge la cour administrative d’appel de Toulouse au terme d’une motivation intéressante :

« les principales victimes n’étant pas parties au contrat de location de l’appartement […], dès lors que ni les visites fréquentes des enfants […] chez leurs grands-parents, ni l’hébergement ponctuel […] à l’occasion d’un déménagement ou de travaux, ne conduisent à assimiler les enfants […] à des locataires du logement social occupé par leurs grands-parents, l’action […] ne peut être regardée comme trouvant sa source dans un contrat de droit privé ».

Si l’on peut apprécier la clarté du propos retenant une lecture stricte des rapports de droit privé, ce qui au demeurant se justifie parfaitement à la lumière de l’attractivité des notions de travail et d’ouvrage publics, l’on ne saurait blâmer l’analyse du tribunal administratif de Nîmes tant, à l’inverse, la présence des petits-enfants ne pouvait légalement se justifier que par l’existence d’un contrat de droit privé fondant la présence des grands-parents dans le logement et leur donnant le droit, en qualité de locataire, de recevoir des invités ou d’héberger de la famille, sans compter les règles du droit civil sur la responsabilité des personnes dont on doit répondre.

Sur le fond, la cour fait application du régime de responsabilité pour défaut d’entretien normal en rappelant la nécessité pour la victime de rapporter la preuve de l’existence d’un lien de causalité entre le préjudice invoqué et l’ouvrage avant d’atténuer d’un tiers la responsabilité en raison du comportement des enfants permis par le défaut de surveillance des adultes qui en avaient la garde, au sens du droit de la responsabilité… mais pas aux termes du bail.

Notes

1 CE sect., 20 mars 1959, nº 42742, sieur Lauthier : Rec. p. 198 – CE, 29 déc. 2000, nº 209443, Régie immobilière de la ville de Paris. Retour au texte

2 CE, 10 mars 1978, nº 04396, OPHLM de la ville de Nancy : Rec. p. 121 – CE, 14 févr. 1983, Bergoni : Rec. T., p. 777 – CE, 10 juin 1983, OPAC de l’Oise : Rec. p. 254. Retour au texte

3 CE, 14 janv. 1987, nº 68560, OPAC d’Amiens – CE, 7 juin 1999, nº 181605, OPHLM d’Arcueil-Gentilly : Rec. p. 169. Retour au texte

4 CE, 28 sept. 2016, nº 389581, OPH Gironde habitat : Rec. T. p. 761. Retour au texte

5 Labetoulle, Daniel, concl. sur CE, 10 mars 1978, n° 04396, OPHLM de la Ville de Nancy : AJDA 1978, p. 401. Retour au texte

6 CE, 1er déc. 1976, nº 98946, Berezowski : Rec. 521. Retour au texte

7 CE 23 févr. 1979, nº 09663, Vildart. Retour au texte

8 TC, 15 décembre 1980, Jaouen c/ OPHLM de la ville de Paris : Rec. p. 513 – T. confl., 18 oct. 1999, nº 3132, Caisse primaire d’assurance maladie de l’Essonne c/ OPHLM interdépartemental Essonne et Val-de-Marne : Rec. p. 474 – T. confl., 24 mai 2004, nº 3399, consorts Garcia c/ OPHLM de l’Aude : Rec. T. p. 628, – T. confl., 20 juin 2005, nº 3449, Orem c/ Société Marseille habitat Provence. Retour au texte

9 TC, 21 mars 1980, OPHLM du département des Bouches-du-Rhône : Rec. p. 165. Retour au texte

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