Décision attaquée : Cour d’appel de Grenoble du 9 juin 2020 ; Cour d’appel de Rennes du 17 mai 2020.
Le régime d’indemnisation des accidents médicaux et des infections nosocomiales est institué par la loi no 2022-303 du 4 mars 2002. Rappelons, à ce titre, que ce régime de responsabilité objective repose tant sur les établissements de santé, que sur la solidarité nationale (article L. 1142-1 du Code de la santé publique). La loi « Kouchner » n’apportait toutefois aucune précision supplémentaire quant à la notion « d’infection nosocomiale ». Conformément à l’article R. 6111-6 du Code de la santé publique (issu du décret no 2010-1408) : « les infections associées aux soins contractées dans un établissement de santé sont dites infections nosocomiales » (critère temporel).
Le Conseil d’État est donc venu préciser cette définition légale à plusieurs reprises. En 2013, tout d’abord, il indique que l’infection nosocomiale correspond à celle « survenant au cours ou au décours d’une prise en charge et qui n’était ni présente ni en incubation au début de la prise en charge » (CE, 21 juin 2013, no 347450 solution réaffirmée CE 30, juin 2017, no 401497). En 2018, ensuite, il souligne que présente un caractère nosocomial « une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d’un patient et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s’il est établi qu’elle a une autre origine que la prise en charge » (CE, 23 mars 2018, no 402237). La responsabilité des établissements de santé est donc « présumée », à charge pour eux de démontrer l’existence d’une cause étrangère (critère substantiel). Cette position vient d’être confirmée par le Conseil d’État en 2022 (CE, 1er février 2022, no 440852), et consacrée – de manière inédite – dans un arrêt du 6 avril 2022 par la première chambre civile de la Cour de cassation.
En l’espèce, la victime d’une ostéosynthèse présente d’importantes complications post-opératoires nécessitant une nouvelle intervention chirurgicale. Les prélèvements réalisés démontrent la présence d’un staphylococcus aureus multisensible. La victime assigne donc le praticien, la clinique, ainsi que l’ONIAM, afin d’obtenir réparation de ses préjudices. Dans un arrêt du 9 juin 2020, la cour d’appel de Grenoble rejette ses demandes. S’appuyant sur le rapport de l’expert judiciaire, elle considère que l’infection constatée ne présente pas un caractère « nosocomial » dans la mesure où l’état de santé préexistant de la victime, et son tabagisme chronique, avaient contribué en totalité aux complications survenues. L’ONIAM est ainsi mise hors de cause. La victime se pourvoit alors en cassation et rappelle que l’infection est survenue sur le site opératoire dans les jours suivant l’intervention chirurgicale (critère temporel), et que : « ni [ses] prédispositions pathologiques ni le caractère endogène du germe à l’origine de l’infection n’étaient de nature à ôter à celle-ci son caractère nosocomial ». La première chambre civile de la Cour de cassation casse et annule partiellement l’arrêt d’appel au visa des articles L.1142-1 et L.1142-1-1 du Code de la santé publique. Reprenant à son compte la définition extensive consacrée par le Conseil d’État, la Haute juridiction indique que doit être regardée comme présentant un caractère nosocomial toute infection « survenant au cours ou au décours de la prise en charge d’un patient, et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s’il est établi qu’elle a une autre origine que la prise en charge ». Elle considère toutefois qu’en « se déterminant ainsi, par des motifs tirés de l’existence de prédispositions pathologiques et du caractère endogène du germe à l’origine de l’infection ne permettant pas d’écarter tout lien entre l’intervention réalisée et la survenue de l’infection, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ». En conséquence, ni le caractère endogène du germe (Cass. 1re Civ., 4 avril 2006, no 04-17.491), ni l’état antérieur (Cass. 1re Civ., 14 avril 2016, no 14-23.909), ni le comportement de la victime (Cass. 1re Civ., 8 février 2017, no 15-19.716) ne permettent d’exclure cette qualification (Porchy-Simon S. « Dommage corporel », D., 2022, p. 1934 et Gaiardo P., « Infections nosocomiales : la cour de cassation dans les pas du Conseil d’État », Dalloz actualité, 2022). Une précision qui se révèle importante alors que la crise liée à la Covid-19 a contraint le personnel, bien souvent à bout de souffle, à s’occuper d’une masse très importante de patients, et que les moyens accordés aux hôpitaux sont de plus en plus fragiles. La question de l’indemnisation des victimes d’infections nosocomiales n’est pas anodine et mérite une attention particulière de la part des juridictions (Richevaux M., « Hôpitaux : quand peut-on qualifier une infection de nosocomiale, permettant son indemnisation ? », Actu-Juridique, 2022). L’affaire est finalement renvoyée devant la cour d’appel de Lyon afin d’être rejugée.
Cette solution ne semble pas surprenante. Elle présente le mérite de venir créer une harmonisation entre les deux ordres de juridictions. Désormais, la notion « d’infection nosocomiale » détient une définition unique. La Cour de cassation – à l’image de son homologue administratif – ouvre un nouveau moyen de défense permettant de s’opposer à la demande des victimes. L’établissement peut prouver que la prise en charge médicale n’est pas à l’origine de l’infection (critère temporel), ou soulever que l’infection présente une « autre origine que la prise en charge » (critère substantiel). Cependant, cette origine doit être exclusive pour pouvoir être exonératoire. Aussi, suivant l’origine du dommage, soit l’infection peut ouvrir (car elle trouve sa source dans l’intervention médicale), ou non (car l’infection présente une autre origine) droit à une indemnisation (Thibierge L., « Infections nosocomiales : de l’indifférence des prédispositions pathologiques de la victime », La grande bibliothèque du droit, 2022).
Cet arrêt doit également être mis en relation avec une décision rendue par la première chambre civile le 6 juillet 2022 (Cass. 1re Civ., 6 juillet 2022, no 21-13028) au sein de laquelle les juges indiquent que l’origine de l’infection peut être multiple :
« Après avoir admis, en se fondant sur le rapport d’expertise, l’existence d’un lien causal entre l’infection et l’aggravation de l’état de santé de [la victime] la cour d’appel a retenu que la dégradation ayant conduit à l’amputation était multifactorielle et favorisée par l’excès pondéral du patient, ainsi que par une arthrose majeure du genou droit entraînant un surcroît de sollicitation mécanique à gauche et qu’il devait être tenu compte du rôle important et déterminant de ces facteurs étrangers à l’infection nosocomiale. Elle a pu en déduire, sans méconnaître le principe d’une réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime, que l’infection avait seulement contribué à l’aggravation du dommage dont [les victimes] sollicitaient la réparation, dans une proportion qu’elle a souverainement évaluée. »
Les magistrats du fond sont donc libres de pouvoir évaluer la proportion dans laquelle l’infection nosocomiale a réellement contribué à l’aggravation du dommage dont la réparation est sollicitée (Jacquemin Z., « Infection nosocomiale : nouvelle définition et retour aux origines », Gaz. Pal., 2022, no 29, p. 11).