Décision attaquée : Cour d’appel de Versailles, 3e ch. 19 mars 2020, no 18/07962.
En l’espèce, un athlète professionnel est victime d’un accident de la circulation. Il se tourne alors vers la commission d’indemnisation des victimes d’infractions (« CIVI ») afin d’obtenir réparation des préjudices subis. Il souhaite, notamment, que lui soit indemnisé un préjudice permanent exceptionnel (dit « PPE ») de renonciation à un « métier passion », et d’une perte de chance d’être sélectionné et de participer aux Jeux olympiques.
En première instance, le tribunal rejette la demande d’indemnisation de la victime au titre du préjudice exceptionnel lié à la perte de chance de « pratiquer un métier passion » (jugement du 25 octobre 2018). Cette décision est confirmée, dans un arrêt du 19 mars 2020, par la cour d’appel de Versailles. La victime forme donc un pourvoi en cassation.
Elle affirme, dans un premier temps, que la cour d’appel de Versailles aurait incorrectement refusé sa demande d’indemnisation. En refusant cette demande au motif que ce préjudice ne serait pas distinct d’autres préjudices déjà réparés, les juges du fond auraient violé l’article 706-3 du code de procédure pénale, et privé sa décision de base.
Dans un second temps, la victime soutient que « toute perte de chance ouvre droit à réparation ». En refusant la demande d’indemnisation de la victime au titre du préjudice exceptionnel tenant à la perte de chance de participer aux Jeux olympiques, les juges du fonds auraient violé de nouveau l’article 706-3 du Code de procédure pénale, défendant le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime.
La Cour de cassation a donc été conduite à se demander si la réparation d’un PPE pouvait être admise dans l’hypothèse d’une perte de chance de « pratiquer un métier passion » mais aussi de participer aux Jeux olympiques.
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, le 25 mai 2022, casse et annule la décision de la cour d’appel de Versailles du 19 mars 2020, mais uniquement en ce qu’elle rejette la demande d’indemnisation de préjudice exceptionnel résultant de la perte de chance de participer aux Jeux olympiques. En effet, la Cour considère d’abord qu’il n’y a pas de preuve de l’existence d’un PPE lié à la perte de chance de « pratiquer un métier passion » qui soit distinct des autres préjudices déjà réparés. Cependant, elle considère aussi que « toute perte de chance ouvre droit à réparation » et qu’en cela la cour d’appel, en exigeant de la victime de démontrer l’existence d’une perte de chance sérieuse de participer aux Jeux olympiques, a effectivement violé l’article 706-3 du code de procédure pénale.
Il convient de rappeler que le poste des préjudices permanents exceptionnels, consacré par la nomenclature Dintilhac, vise à indemniser tous les préjudices extra-patrimoniaux atypiques et permanents, directement liés aux handicaps permanents, qui « prennent une résonance toute particulière soit en raison de la nature des victimes, soit en raison des circonstances ou de la nature de l’accident à l’origine du dommage ». Ce poste avait donc pour objectif d’assurer une certaine souplesse à la nomenclature quant à sa liste des postes de préjudice corporel, en s’assurant tout de même qu’il indemnise uniquement et « à titre exceptionnel, tel ou tel préjudice extra-patrimonial permanent particulier non indemnisable par un autre biais » (V. Rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels, Groupe de travail dirigé par Jean-Pierre Dintilhac, 2005, p. 41). Ce double objectif est parfaitement identifiable dans cet arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 25 mai 2022.
Dans un premier temps, en refusant l’indemnisation de la perte de chance de pratiquer un métier passion, la Cour de cassation réaffirme le caractère exceptionnel du PPE. La Haute juridiction justifie cela en énonçant, comme elle le fait classiquement, que ce préjudice est en réalité déjà indemnisé par la mobilisation d’autres postes de la nomenclature Dintilhac tel que le déficit fonctionnel permanent ou les incidences professionnelles subis par la victime (en ce sens : Augier-Francia É., « Rappel du caractère résiduel du préjudice permanent exceptionnel », AJDC, 2017, n° 11 ; Bascoulergue A., « Nécessité de distinguer le préjudice permanent exceptionnel du déficit fonctionnel permanent », AJDC, 2014, n° 1).
Dans un second temps, en acceptant d’indemniser le préjudice résultant en la perte de chance de participer aux Jeux olympiques la Cour de cassation admet une certaine ouverture de ce poste. Effectivement, la Haute juridiction tranche avec sa jurisprudence habituelle en admettant la réparation d’un PPE dans les cas où « aucune autre catégorie de la nomenclature Dintilhac n’est apte à indemniser la victime » (V. Augier-Francia É., « L’indemnisation autonome du préjudice permanent exceptionnel n’est pas toujours illusoire ! », AJDC, 2022 [En ligne], n° 23). La Cour de cassation exprime ainsi la volonté de répondre et de respecter le principe selon lequel « toute perte de chance ouvre droit à réparation » (en ce sens : Civ. 2e, 20 mai 2020, no 18-25.440). En effet, ce principe, rappelé à de nombreuses reprises par la Haute juridiction, affirme que toute perte de chance, même faible, est indemnisable, à la condition que cette indemnisation recouvre uniquement la perte de chance et non l’entier préjudice (V. Traullé J., « Un rappel bienvenu : la distinction entre perte de chance et entier préjudice », Gaz. Pal., 2020, no 32). Il apparaît effectivement plutôt difficile d’approuver l’argumentation de la cour d’appel qui avait pu constater l’absence de probabilité pour la victime de justifier, qu’en poursuivant sa carrière, elle aurait « une chance sérieuse d’atteindre un temps de 3,38 mn pour le 1 500 mètres alors que son meilleur temps était jusqu’alors de 3,42 mn » et d’être ainsi sélectionnée pour les Jeux olympiques. Toute perte de chance ouvre droit à réparation, même minime (en ce sens : Cass. 1re Civ., 12 octobre 2016, no 15-23.230 et no 15-26.147). L’affaire est renvoyée par la Cour de cassation devant la cour d’appel de Versailles autrement composée.