En l’espèce, souhaitant protéger ses noyers contre l’invasion des cochenilles, un exploitant a acheté, en mars 2012, 645 litres d’un produit insecticide dit huile blanche auprès d’un vendeur professionnel. A la suite du traitement de ces arbres par ce produit, un retard dans le débourrement des noyers traités, un manque de feuille, un déficit de récolte ainsi que le dessèchement des extrémités des rameaux se traduisant par des brûlures ont été observés. Ceci a poussé cet acheteur à saisir en référé le tribunal de grande instance de Grenoble d’une demande d’expertise. Autorisée par le tribunal, l’expertise a mis en avant le lien de causalité existant entre le désordre des végétations et le traitement aux huiles blanches. L’exploitant a ensuite assigné le vendeur en réparation devant le tribunal de grande instance de Grenoble. Cette juridiction a reconnu la responsabilité du fournisseur et a condamné ce dernier à la réparation du préjudice subi par le demandeur.
Contestant sa responsabilité, le vendeur a interjeté appel de cette décision, soutenant l’impossibilité de prouver que le traitement des noyers par l’insecticide litigieux est à l’origine du retard dans leur développement. De même, il se fonde sur l’admission par l’expert des limites des connaissances scientifiques relatives à la lutte contre les cochenilles. Également, l’appelante reproche à l’acheteur un comportement fautif quant à l’utilisation du produit litigieux en période de basse température et s’oppose à la demande tenant à la réparation du préjudice économique, en l’absence de preuve de ce dernier. De son côté, l’acheteur réclame la confirmation du jugement de première instance ainsi que la condamnation du vendeur à l’indemniser de son préjudice moral et du préjudice lié au comportement fautif de cette société consistant en sa résistance abusive. En effet, il s’oppose à ce qu’une faute lui soit imputée quant à l’emploi du produit litigieux et reproche à la société appelante en sa qualité de professionnel un manquement à son devoir de conseil. Il se prévaut d’ailleurs du rapport d’expertise et justifie son préjudice économique, notamment la perte d’exploitation, par le fait que, malgré l’augmentation du nombre d’arbres entre les deux années 2011 et 2012, le rendement total demeure équivalent.
Partant de l’obligation du vendeur de délivrer un produit conforme, la Cour d’appel de Grenoble a retenu la responsabilité de la société et l’a condamnée à la réparation du préjudice économique se manifestant par la perte de récolte de l’exploitant. Toutefois, elle a débouté ce dernier de sa demande en réparation du préjudice moral et du préjudice résultant de la résistance abusive de l’appelante.
Ayant été conclue en 2012, la vente, objet du litige demeure soumise aux articles du Code civil antérieurs à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats1. Par application de l’ancien article 1147 du Code civil2, la responsabilité du débiteur peut être engagée en cas d’inexécution de son obligation contractuelle non justifiée par une cause étrangère. Cette obligation se présente dans le cas d’une vente par la délivrance d’un produit conforme à ce qui a été convenu entre les parties selon l’article 1604 du même code3. Dès lors, lorsque le produit délivré s’avère non-conforme, le vendeur risque d’engager sa responsabilité pour inexécution de son obligation contractuelle. Néanmoins, la charge de prouver le lien de causalité entre la non-conformité ou le défaut du produit et le préjudice incombe à l’acheteur. Il s’agit en effet de prouver un fait juridique. Etant soumis au principe de la liberté probatoire, l’établissement de ce lien peut se faire par tout moyen, notamment par le recours à des présomptions graves précises et concordantes, surtout lorsque les connaissances scientifiques présentes ne permettent pas d’établir de façon certaine un tel lien4. En l’espèce, les limites des connaissances scientifiques dans ce domaine et admises par l’expert n’ont pas constitué un obstacle à la Cour d’appel de Grenoble pour la formulation de sa décision. Cette juridiction a pris en considération divers facteurs pouvant justifier que l’emploi des huiles blanches était à l’origine des dommages causés aux noyers et par conséquent du préjudice subi par l’exploitant, notamment l’absence d’antécédent concernant les manifestations de désordre avant son application, la proximité temporelle entre cette application et ces manifestations mais également la similitude des réactions constatées dans d’autres affaires relevant de l’application de ce même produit litigieux sur des noyers durant cette même période. En outre, elle a refusé de constater l’existence d’une faute imputable à l’intimé quant au non-respect des conditions de température nécessaires à l’application du produit et a écarté la possibilité selon laquelle le changement des conditions climatiques postérieures à l’usage du pesticide litigieux, cause étrangère, était à l’origine de ce sinistre. Ainsi, la Cour d’appel de Grenoble a privé la société de toute possibilité de s’exonérer de sa responsabilité.
Une fois affirmée la responsabilité du vendeur pour manquement à son obligation de délivrance conforme, il fallait se prononcer sur la question du montant du préjudice économique lié à la perte des récoltes. En effet, les indices pris par l’expert afin d’évaluer le montant de réparation dû à l’intimé, tels que le préjudice par arbre et non par surface, la baisse du taux de rendement de ces noyers, étaient suffisamment convaincants pour la Cour d’appel de Grenoble pour décider de confirmer la décision du tribunal de première instance sur ce point. D’autre part, c’est par une application rigoureuse de l’article 1150 du Code civil5 que l’acheteur s’est vu débouté de sa demande tenant à la réparation de son préjudice moral. Le demandeur, qui prétendait avoir été obligé de s’expliquer devant ses clients, se plaignait d’une image professionnelle dégradée. En réalité, l’article précité limite la réparation en matière de responsabilité contractuelle au seul préjudice prévisible au moment de la conclusion du contrat sauf cas de dol ou de faute lourde, contrairement à la responsabilité extracontractuelle qui suppose la réparation intégrale du préjudice. Partant, le préjudice moral allégué, même si établi, fut estimé comme une conséquence imprévisible sans lien direct avec l’inexécution de l’obligation de délivrance conforme.
En revanche, à l’instar de la responsabilité contractuelle, l’engagement de la responsabilité délictuelle d’une personne suppose le cumul de trois conditions : un fait générateur, un préjudice et un lien de causalité entre le fait générateur et le préjudice. L’attitude dilatoire de la société se présentant par son abstention à adresser une offre indemnitaire à l’intimé, n’ayant pas donné lieu à un préjudice prouvé, la responsabilité délictuelle ne peut être retenue. En conséquence, l’exploitant, en vertu de l’application de l’ancien article 1382 du Code civil6, fut débouté de sa demande de réparation.
Au final, la Cour d’appel de Grenoble a procédé dans son raisonnement à une application stricte des textes relatifs aux questions de droit susvisées. Que ce soit une action en justice sur la base de la responsabilité délictuelle ou contractuelle, la nécessité de démonter l’existence cumulative des trois composantes est indispensable. La causalité étant l’élément le plus difficile à établir, l’approbation de la possibilité de preuve par présomptions graves, précises et concordantes7 en cas d’incertitude scientifique, assure une certaine protection à la victime ayant subi un dommage et une garantie de son droit à voir son préjudice réparé. Par sa décision, la cour d’appel de Grenoble s’est conformée à une orientation jurisprudentielle française8 qui a accueilli cette idée en matière de produits défectueux9. La possibilité de recourir aux présomptions engendre une grande vigilance de la part de l’autorité judiciaire dans l’examen de la fiabilité du rapport d’expertise afin d’engager la responsabilité d’une partie et de déterminer par la suite le montant de l’indemnisation y correspondant.