Les observations définitives des chambres régionales des comptes (CRC) peuvent-elles être contestées directement devant le juge de l’excès de pouvoir ? À cette question, le Conseil d’État y a constamment répondu par la négative depuis plus d’un quart de siècle : les rapports d’observations définitives ne présentent pas le caractère de décisions susceptibles d’un recours pour excès de pouvoir1. Cette solution repose sur la nature administrative du contrôle de la gestion des collectivités et de leurs établissements publics, lequel ne saurait conduire à l’édiction d’une décision faisant grief mais seulement à une communication, dénommée « observations définitives »2.
Pourtant, « les progrès du droit souple au Palais-Royal pourraient conduire à un revirement ou un infléchissement de sa part » à l’égard de ce type d’actes dont il est difficile de nier les effets notables sur les comportements des personnes auxquelles ils s’adressent3. Il n’est dès lors guère surprenant que des collectivités publiques ou encore des personnes indirectement concernées comme des délégataires se revendiquent du courant jurisprudentiel Fairvesta-Numéricable-Mme Lepen pour d’obtenir l’annulation de rapports épinglant publiquement certains aspects de leur gestion.
La société Econotre, société ad hoc créée pour porter la délégation de service public (DSP) qui lui a été confiée par le syndicat Décoset le 31 juillet 1996, fait partie de l’une de ces personnes. Dans le cadre de cette DSP, la société délégataire a construit plusieurs centres de traitement et de valorisation des déchets ménagers issus des communes membres, dont elle assure en outre l’exploitation. Pour les exercices 2014 à 2020, la CRC Occitanie a procédé au contrôle des comptes et de la gestion de cette société, celui-ci se concluant par la notification, le 22 décembre 2021, d’observations définitives particulièrement critiques relatives aussi bien au caractère déséquilibré du montage contractuel – au regard de l’absence de risque supporté par la société – qu’à son manque de transparence dans la transmission d’éléments pourtant nécessaires au suivi de la qualité du service et du patrimoine composant la délégation. La société a décidé de former un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de ce rapport.
Sans surprise, le tribunal administratif de Montpellier a, par un jugement du 3 octobre 2023, rejeté le recours de la société pour irrecevabilité en reprenant la solution commune de La Ciotat. À la lecture des conclusions de la rapporteure publique en appel, l’espoir était toutefois permis puisqu’était proposé à la formation du jugement de considérer que ces rapports faisaient bien partie des actes de droit souple susceptibles de recours au regard des critères objectifs tenant à l’acte et à son auteur. Tel n’a toutefois pas été la solution retenue par la cour administrative d’appel de Toulouse dans l’arrêt ici commenté au motif que ces rapports
« s’inscrivent dans le cadre de l’examen de la gestion d’une collectivité territoriale […] procèdent de la mise en œuvre de garanties procédurales particulières et peuvent faire l’objet d’une demande de rectification, en vertu des articles L. 243-10 et R. 243-21 du Code des juridictions financières ».
Plusieurs raisons ont justifié la préservation de l’état du droit actuel.
D’une part, assimiler ces rapports à des actes de droit souple reviendrait à ériger le juge administratif « en censeur de la bonne gestion des collectivités territoriales »4. Or, et c’est sans doute la justification la plus solide à cette solution, cette mission de contrôle incombe, en vertu de la loi, non pas au juge mais aux CRC, ceci notamment dans l’objectif d’alimenter le débat démocratique quant à la bonne utilisation des deniers publics. Est donc ici réaffirmé l’avis Chabert de 2004 par lequel le Conseil d’État a considéré qu’il ne lui appartenait pas de se prononcer sur le bien-fondé de la position prise par la chambre concernant l’appréciation qu’elle a portée, dans le cadre de ses attributions législatives, sur la gestion de la collectivité ou de l’organisme en cause.
D’autre part, le principe du contradictoire est appliqué à toutes les étapes de la procédure du contrôle de gestion, avec comme point d’orgue l’inscription de commentaires de la personne contrôlée dans le rapport.
Enfin, le refus opposé par la CRC à la demande de rectification formulée par la personne contrôlée concernant le rapport peut d’ores et déjà être déféré au juge de l’excès de pouvoir qui contrôlera la régularité de la procédure suivie, l’exactitude des faits et l’absence de méconnaissance par la chambre de l’étendue de son pouvoir de rectification.
Tous ces éléments démontrent, selon nous, que l’incursion du juge de l’excès de pouvoir au stade de la publication de ce rapport ne serait, sans doute, que d’une utilité marginale.