L’ordonnance nº 2020-317 du 25 mars 2020 a institué, pour une durée de trois mois, un fonds de solidarité ayant pour objet le versement d’aides financières aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique particulièrement touchées par les conséquences de l’épidémie de covid-19. Ces aides étaient versées au vu d’éléments déclaratifs fournis par les bénéficiaires de l’aide, et l’article 3-1 de l’ordonnance prévoyait, en cas d’irrégularités constatées, la récupération des aides indûment versées. En vertu des articles 2, 3-1 et 3-3 du décret nº 2020-371 du 30 mars 2020 pris en application de cette ordonnance, les aides financières accordées prenaient la forme de subventions attribuées aux entreprises créées après le 1er mars 2019 ayant subi une perte de chiffre d’affaires d’au moins 50 % durant les mois de mars, avril et mai 2020 par rapport au chiffre d’affaires mensuel moyen sur la période comprise entre la date de création de l’entreprise et le 29 février 2020.
En l’espèce, le requérant exerce une activité de transport de voyageurs par taxi en qualité d’entrepreneur individuel. Il a contesté devant le juge administratif la décision par laquelle le directeur régional des finances publiques d’Occitanie et du département de la Haute-Garonne lui a informé par courrier que la vérification dont il avait fait l’objet avait révélé qu’il ne remplissait pas l’une des conditions d’éligibilité au fonds de solidarité afin de soutenir les entreprises particulièrement touchées par les conséquences de la propagation de l’épidémie de Covid-19 et du confinement et en a conclu qu’il avait à tort bénéficié des sommes perçues pour les mois de mars, avril et mai 2020. Le 2 janvier 2023, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande comme irrecevable au motif que la lettre contestée ne constituait pas une décision faisant grief susceptible de recours dès lors qu’elle se bornait à informer le requérant des résultats d’un contrôle de ses déclarations et de l’émission à venir d’un titre exécutoire qui pourrait faire l’objet d’un recours de plein contentieux. Il regarde ainsi l’acte attaqué comme une simple mesure préparatoire annonçant le titre exécutoire à venir, seul susceptible de recours contentieux. Le requérant interjette par la suite appel de ce jugement.
Conformément aux conclusions de la rapporteure publique, la cour administrative d’appel de Toulouse fait droit à la demande du requérant en jugeant que la notification de retrait d’une décision créatrice de droits est susceptible de recours, même si elle est accompagnée ou suivie de l’émission d’un titre exécutoire sollicitant le remboursement de l’aide allouée. En l’espèce la lettre en cause, intitulée « reprise de l’aide de 4 500 € », « doit être regardée comme rapportant la décision créatrice de droits révélée par le versement de cette somme » (§3). La décision par laquelle l’autorité administrative compétente notifie au bénéficiaire d’une décision créatrice de droits qu’elle retire cette dernière, même si elle est accompagnée ou suivie de l’émission d’un titre exécutoire, est susceptible d’être contestée par la voie d’un recours pour excès de pouvoir.
Cette solution est établie de longue date par le Conseil d’État par sa célèbre jurisprudence Lafage1, dans laquelle il a estimé que, hormis les recours indemnitaires, les recours relatifs à une subvention, dont les demandes de remboursement d’une somme déjà versée, peuvent être portés uniquement devant le juge de l’excès de pouvoir. Si les conditions d’octroi de la subvention ne sont pas respectées, celle-ci peut être retirée au-delà du délai de quatre mois prescrit par l’arrêt Ternon2, principe désormais codifié à l’article L.242-2 du Code des relations entre le public et l'administration. On précisera cependant que la récupération de l’aide dont il est question en l’espèce en cas d’irrégularités était prévue par l’ordonnance du 25 mars 2020.
La jurisprudence du Conseil d’État sur l’existence d’une décision distincte du titre exécutoire pour un courrier annonçant la récupération d’une somme n’est cependant pas sans équivoque. Il a pu admettre l’existence de deux décisions distinctes pour la décision de récupération d’une aide d’État, dès lors qu’elle retire une décision créatrice de droits3, tandis qu’il écarte ce raisonnement pour la récupération d’un trop-perçu de rémunération d’un agent public4. La cour administrative d’appel s’éloigne dans cet arrêt de la ligne jurisprudentielle tracée par d’autres juridictions du fond sur la question de l’aide covid-195, qui indiquaient que, dans la mesure où des courriers se bornent à informer le destinataire de l’émission à venir de titres de perception et à l’inviter à présenter des observations dans un délai déterminé, le recours n’est pas irrecevable puisqu’il s’agit de mesures préparatoires à l’émission des titres de perception perçus à tort. Plus précisément, la cour administrative d’appel a en l’espèce fondé sa solution sur l’arrêt du Conseil d’État Société coopérative agricole Vergt Socave qui précise que
« la décision par laquelle l’autorité administrative compétente notifie au bénéficiaire d’une décision créatrice de droits au sens de l’article 1er de la loi du 11 juillet 1979 qu’elle retire cette dernière, même si elle est accompagnée ou suivie de l’émission d’un titre exécutoire, est susceptible d’un recours contentieux »6.
La demande du requérant était donc recevable, contrairement à ce qu’avait jugé le tribunal, mais ne pouvait qu’être rejetée dès lors que le requérant n’a pu justifier du montant de ses chiffres d’affaires de référence afin de justifier l’octroi de l’aide. Le jugement de première instance est ainsi annulé en raison d’une irrégularité (irrecevabilité opposée à tort) et la demande de première instance rejetée. Il convient en ce sens de rappeler que le Conseil d’État a jugé à plusieurs reprises que l’attribution d’une subvention par une personne publique ne crée des droits au profit de son bénéficiaire que dans la mesure où celui-ci respecte les conditions mises à son octroi7.