Preuve de l’appréhension des revenus dans l’application du 2° du 1 de l’article 109 du code général des impôts (CGI)

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Décision de justice

TA Nîmes, 3ème chambre – N° 2203861 – M. E – 18 décembre 2024 – C+

Juridiction : TA Nîmes

Numéro de la décision : 2203861

Date de la décision : 18 décembre 2024

Code de publication : C+

Index

Rubriques

Contributions et taxes

Textes

Résumé

M. et Mme E se sont vu assigner des suppléments d’imposition à raison des revenus regardés distribués entre les mains de M. E par la SAS E, à la suite d’une vérification de comptabilité. L’administration a entendu fonder l’imposition sur le 2° du 1 de l’article 109 du code général des impôts. Le tribunal a rappelé que l’administration ne pouvait se prévaloir de la maîtrise de l’affaire qui restait sans incidence sur l’application de ces dispositions. L’administration faisait valoir par ailleurs que M. E détenait 100 % des parts sociales, qu’il était associé et gérant depuis l’origine de la SAS, qu’il assurait les relations avec les clients et des fournisseurs, qu’il prenait les décisions quotidiennes et qu’il avait été l’interlocuteur du vérificateur. Le tribunal a estimé qu’en faisant état de ces seules circonstances, ne permettant pas de tracer le flux des revenus en litige, l’administration n’établissait pas que M. E avait appréhendé les revenus en litige

19 Contributions et taxes

19-04 Impôts sur les revenus et bénéfices

19-04-02 Revenus et bénéfices imposables - règles particulières

19-04-02-03 Revenus des capitaux mobiliers et assimilables

19-04-02-03-01 Revenus distribués

19-04-02-03-01-01 Notion de revenus distribués

19-04-02-03-01-01-02 Imposition personnelle du bénéficiaire

Preuve de l’appréhension des revenus dans l’application du 2° du 1 de l’article 109 du code général des impôts (CGI)

Arnaud de Bissy

Professeur de droit privé - école de droit de Toulouse, université Toulouse Capitole - centre de droit des affaires (CDA)

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DOI : 10.35562/ajamont.249

Voici un jugement sans aucune originalité qui ne fait que confirmer une jurisprudence initiée par le Conseil d’État en 2020, au demeurant citée directement dans le corps de la décision.

Les faits eux-mêmes sont d’une grande banalité. Une entreprise de maçonnerie constituée sous forme de société par actions simplifiée unipersonnelle fait l’objet d’une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2016 au 31 juillet 2017 (date de sa dissolution anticipée). À sa suite, un rappel de TVA et d’impôt sur les sociétés (IS) lui sont notifiés et mis en recouvrement le 31 juillet 2019. Parallèlement, l’administration diligente une procédure de contrôle personnel de l’associé et dirigeant unique de la société (et de son conjoint), portant sur les revenus de 2016 et 2017. C’est ce qui nous intéresse ; l’administration considère, sur le fondement du 2° du 1 de l’article 109 du Code général des impôts (CGI), que le dirigeant est présumé avoir reçu de la société un revenu distribué qui doit être soumis à l’impôt sur le revenu (revenu de capitaux mobiliers) et aux prélèvements sociaux (CSG et prélèvement de solidarité, principalement).

Nous ne savons rien des sommes présumées distribuées. Peut-être sont-elles liées à une plus-value de cession d’immobilisation pour laquelle le contribuable entendait bénéficier de l’exonération prévue à l’article 238 quindecies du CGI (régime des cessions d’entreprises ou de branches complètes d’activité). Tout ce que l’on sait c’est que l’administration a considéré que les sommes réintégrées dans les résultats soumis à l’IS devaient être imposées entre les mains de l’associé unique au titre d’une distribution présumée de bénéfices. Selon l’article 109, 1 du CGI, en effet, sont considérées comme revenus distribués « toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices ». Et pour justifier une telle imposition, l’administration s’est exclusivement fondée sur la qualité de « maître de l’affaire » du contribuable, en faisant valoir qu’il était associé unique de la société et également son gérant (puis liquidateur amiable après sa dissolution) puisqu’il prenait toutes les décisions quotidiennes concernant la société.

Ce faisant, l’administration s’est – doublement – prise les pieds dans le tapis : d’abord en invoquant le 2° du 1 de l’article 109 du CGI comme permettant de faire présumer l’existence d’une distribution, ensuite en cherchant à prouver l’appréhension des sommes réputées distribuées grâce à une autre présomption reposant sur la qualité de « maître de l’affaire » du contribuable. Le tribunal de Nîmes ne se prononce que sur ce deuxième aspect de la problématique, mais nous les reprendrons tous les deux afin que le lecteur ait une vision cohérente du litige.

I – Sur l’application du 2° du 1 de l’article 109 du CGI

À vrai dire, nous ne comprenons pas très bien ce fondement, du moins à partir des seuls éléments figurant dans la décision de première instance. Pour rappel, lorsqu’un contribuable (en l’espèce, le dirigeant de la société) bénéficie d’un avantage qui lui est servi par la société, l’administration peut, alternativement, se fonder sur le 1° ou le 2° du 1 de l’article 109 du CGI.

Le 1 de l’article 109 pose d’abord une présomption d’existence du revenu distribué. Il dispose que sont considérés comme revenus distribués « 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ». Ces dispositions tirent les conséquences, en matière de distribution, d’une rectification du résultat imposable de la société : si le rehaussement ne se retrouve ni dans les réserves, ni dans le capital, c’est qu’il a été distribué1. Ce choix était rationnel dans l’affaire qui nous occupe puisque, si l’on en croit le tribunal administratif de Nîmes, un rappel d’IS (et de TVA) avait été notifié à la société. L’administration était donc à même de mettre en œuvre la présomption légale, en considérant que les sommes réintégrées dans les bénéfices de la société ont été distribuées par elle. Restait, bien sûr, à caractériser la mise à disposition de ces sommes, nécessaire pour l’imposition de leur bénéficiaire (V. sur ce point la seconde partie du commentaire). Mais ce ne fut pas le choix de l’administration fiscale qui préféra se fonder sur le 2° du 1 du même article 109, pourtant moins facile d’accès.

Le 1 de l’article 109 pose ensuite une présomption de qualification des sommes distribuées en disposant que sont considérées comme revenus distribués « 2° Toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices ». Le 2° du 1 de l’article 109 présente trois différences avec le 1° du 1 du même article2 :

  1. les distributions ne doivent pas avoir été prélevées sur les bénéfices ;

  2. les bénéficiaires de la distribution doivent être associés de la société distributrice ;

  3. l’administration doit prouver l’appréhension des distributions par les associés.

Ce choix n’était pas rationnel pour l’administration puisque cette dernière devait apporter la preuve de la qualité d’associé du bénéficiaire (ce qui n’était pas contesté en l’espèce), et, surtout, l’appréhension des sommes distribuées (ce qui était contesté par le contribuable).

On s’interroge, dès lors, sur les raisons du choix de l’administration. Certes, le 2° du 1 de l’article 109 présente un avantage : la situation de la société distributrice – bénéficiaire ou déficitaire – importe peu3, mais cela ne fermait pas, a priori, les portes du 1° puisque la décision commentée évoque bien un rehaussement d’IS, ce qui suppose la présence d’un bénéfice qui a été revu à la hausse, entraînant une majoration d’impôt sur les sociétés. Faute d’indications supplémentaires, nous pouvons donc en conclure que la condition liée à la situation bénéficiaire de la société distributrice était remplie en l’espèce. Le vérificateur pouvait donc légitimement se fonder sur le 1° du 1 de l’article 109 et s’atteler, ensuite, à prouver l’appréhension des sommes réputées distribuées. Son travail eût alors été facilité grâce à la théorie du « maître de l’affaire ». Il n’a pas fait ce choix, et mal lui en a pris.

II – Sur l’(in)application de la théorie du « maître de l’affaire »

Revenons aux sources de la théorie. Elle est généralement invoquée dans le cadre du 1° du 1 de l’article 109 du CGI précité, après que le vérificateur eut réintégré dans les bénéfices imposables une dépense de l’entreprise. En fait, cette disposition permet seulement de faire présumer l’existence d’un revenu distribué, mais si l’administration veut imposer le bénéficiaire de la distribution, elle doit encore prouver qu’il a eu la disposition du revenu, conformément à l’article 12 du CGI. Or cette preuve est difficile à rapporter car elle suppose que le vérificateur soit en possession d’un document prouvant l’appréhension des somme réputées distribuées par le contribuable. Dans le cas contraire, elle aura fait seulement la moitié du chemin.

Pour l’aider, la jurisprudence a construit la théorie du maître de l’affaire4. Le mécanisme repose sur une seconde présomption, une « présomption dans la présomption », selon Anne Iljic, celle selon laquelle celui qui contrôle la société (ie : le « maître de l’affaire ») est nécessairement celui qui a perçu le revenu du fait de sa position dans la société5. Dans notre espèce, ceci explique que l’administration s’était échinée à démontrer que le contribuable était bien le maître de l’affaire, dans la mesure où il possédait 100 % des parts sociales, qu’il avait été le gérant puis le liquidateur amiable de la société, qu’il était le seul interlocuteur de l’administration au cours de la vérification de la comptabilité, ainsi que des clients et des fournisseurs au titre des exercices vérifiés et prenant également toutes les décisions quotidiennes concernant la société (décision, point 3).

Pour autant, à supposer même que ces éléments suffisaient à caractériser la « maîtrise de l’affaire »6, l’effort déployé par l’administration dans son entreprise probatoire ne pouvait être récompensé. Le tribunal administratif de Nîmes rappelle en effet que « la circonstance que le contribuable que l’administration entend imposer est le maître de l’affaire est à cet égard sans incidence. Conseil d’État nº 433827 M. G du 29 juin 2020 » (décision, point 2).

L’explication réside dans la nature de la présomption posée au 2° du 1 de l’article 109 du CGI, très différente de celle figurant au 1°, comme l’expliqua parfaitement le rapporteur public dans ses conclusions sous l’arrêt sus-référencé7. Ainsi que nous l’avons nous-mêmes rappelé dans la première partie de notre commentaire, le 1° du 1 de l’article 109 pose une présomption d’existence du revenu distribué dont la mise à disposition doit encore être démontrée, alors que le 2° du 1 de l’article 109 pose une présomption de qualification d’un revenu distribué dont l’existence a déjà été démontrée. Dans le premier cas, on comprend que l’administration puisse invoquer la « maîtrise de l’affaire » pour faire la preuve de l’appréhension du revenu réputé distribué, alors que dans le second, la preuve de la distribution (et donc également celle de sa disposition) fait partie des éléments probatoires que doit rapporter l’administration ab initio. Il serait tout à fait excessif qu’elle puisse le faire à partir d’une simple présomption reposant sur la maîtrise de l’affaire, sans quoi tous les dirigeants associés de sociétés dont les résultats ont été rectifiés fiscalement pourraient être imposés sur des revenus imaginaires, sous ce seul motif !

L’administration, qui n’était pas ignorante de la jurisprudence précitée du 29 juin 2020, a pourtant « tenté sa chance ». En vain. La solution du tribunal de Nîmes doit être approuvée ; le 2° du 1 de l’article 109 du CGI n’est pas le matériau juridique idoine pour tirer les conséquences fiscales d’une rectification du bénéfice imposable. Il suppose que l’administration ait d’abord rapporté la preuve d’une sortie d’actif(s) au profit du contribuable (ce que le jugement appelle « tracer le flux des revenus taxables » ; décision point 3), ce qu’elle n’a pas fait.

Notes

1 V. de Bissy, Arnaud, « Dividendes et autres revenus distribués. Définition. Sommes réputées distribuées (sommes réintégrées dans les bénéfices de la société) », JCl. Fiscal, fasc. 4616, 2022, RCM. Retour au texte

2 V. de Bissy, Arnaud, « Dividendes et autres revenus distribués. Définition. Distributions présumées », JCl. Fiscal, fasc. 4617, 2022, RCM, § 1. Retour au texte

3 V. de Bissy, Arnaud, « Dividendes et autres revenus distribués. Définition. Distributions présumées », JCl. Fiscal, fasc. 4617, 2022, RCM, § 9. Retour au texte

4 Pellas, Jean-Raphaël, « La notion de maître de l’affaire en droit fiscal », Bulletin fiscal, nº 6, 2015, p. 325 ; Iljic, Anne, « Le maître de l’affaire », RJF, nº 5, 2017, p. 587. Retour au texte

5 V. CE, 20 octobre 1982, nº 23942 : Dr. fisc., n° 16, 1983, comm. 855. BOI-RPPM-RCM-10-20-10, 25 mai 2023, § 280. Retour au texte

6 La jurisprudence actuelle accorde surtout de l’importance au pouvoir de signature sur les comptes ; V. CE, 30 décembre 2011, nº 332088 : Dr. fisc., nº 16, 2012, nº 16, comm. 263, concl. Laurent Olléon. Retour au texte

7 CE, 29 juin 2020, nº 433827, préc. : Dr. fisc., nº 45, 2020, comm. 427, concl. Romain Victor. Retour au texte

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